Les mots bleus

14.7.09

Au hasard de mes pérégrinations bloguesques, je croise parfois des instants suspendus, des moments à part. Hier, je lisais ici et là quelques publications du week-end. Je m’extasiais devant de belles photos artistiques, me délectais de mots ciselés et me dépitais parfois de certaines arrogances littéraires enveloppées dans des mots bien pensants et trop alambiqués. Bref, je bloguais discret comme je le fais souvent quand j’ai du temps devant moi.

Quelques heures passées, fatigué de lire ces petits caractères pixellisés scintillants sur mon écran vieillissant comme ma vision de quadra, je décidais d’aller visiter d’autres sphères plus légères en mots mais plus riches en images saccadées qui bougent.

Je m’arrête un instant sur cette vidéo youtube. L’écran de démarrage avec la grosse flèche « play » est simple, noir et blanc diphasés, comme une image télé monochrome mal réglée avec un contraste minimal et une lumière maximale. Je trouve ça simple, beau et intéressant. Je clique et magie de l‘internet, le clip débute.
Le voilà mon moment suspendu. Les images se déroulent, le script s’enchaîne. Le titre est connu, reconnu. Il fait partie du patrimoine, tant cet air a été et reste encore fredonné par tous. Il me semble néanmoins le redécouvrir à la faveur de l’esthétique mais aussi et surtout grâce à l’interprète. Et quel interprète ! Je suis saisis, scotché par ses nouveaux mots bleus, par le timbre de sa voix, mais aussi par la souffrance qui se dégage de ce morceau revisité.

La musique redescend. Le râle chaud du chanteur retombe. Je reste figé un instant, ému par le talent de cet homme. Ce n’est pas la première fois qu’il me touche sans que je m‘y attende. Je gère habituellement ces émotions là. Je les vois venir, je les sens monter, s’immiscer lentement. Elles ne m’envahissent pas comme ça, les bougres ; je les dompte, les maîtrise, les plaque au sol pour qu’elles n’heurtent pas mon orgueil, qu’elles n’avilissent pas l’homme solide interdit de sensiblerie et pudique.

Face à l’Artiste à la voix toute en ruptures, en fêlures, je suis captivé. Il s’affranchit même de la mélodie routinière pour rendre plus vivante l’émotion et redorer le texte de l’auteur. Devant son talent, sa force et sa fragilité mélangées, je baisse les bras, je n’arrive plus à maîtriser quoi que ce soit. Je me laisse porter et repars loin en arrière. Je me retrouve enfant, tout juste adolescent. Je suis devant ma platine 33 tours rutilante, son album à la main, mon premier album. Je le dépose délicatement, glisse le diamant sur les sillons et devant mon miroir, je m’identifie à lui, en grattant frénétiquement ma guitare imaginaire. Je vois encore, posée sur le meuble en bois massif, la pochette bleue du disque de ce dandy rock des années 80.

Me reviennent alors de nombreuses images dépliées. Parfois sans liens entre elles, parfois plus claires, elle se juxtaposent à des moments forts de ma petite vie. Et, je survole ainsi quelques unes de ses chansons et des souvenirs qui les accompagnent. Je me prends de vertige sur mon premier amour. Je brocarde ma belle mère avec malice, « Oh gaby, gaby » . Je repense à ma dame d’avant, « Madame rêve ». Je regarde passer toutes les Joséphine que je n’ai jamais osé approcher. Je décroche même les étoiles masquées par ses écrans de fumées. Et je finis en spleen par m’enduire de son essence bleu pétrole.

Une fois la mélancolie sympathique estompée, je ne peux m’empêcher d’analyser. Alors, je dissèque, je décortique cet état. Trop, certainement. Mais la fulgurance de l’émotion me pousse à réfléchir. Quels peuvent être les sentiments déployés en moi par cet homme ? Pourquoi cette faiblesse, cette garde abaissée ? Est ce un transfert ?
Je reste là encore une minute mes yeux embués puis je m’abstiens de répondre à ces questions tant les réponses me paraissent évidentes. S.O.S. Amor Tu m'as conquis j't'adore. Je sais de qui cet écorché vif est le reflet. Je connais jusque dans sa déchéance inéluctable à qui il m’adresse. Même si la nuit je mens, je sais ma peine, je le vois dans le miroir, je connais mon manque de lui.

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Image de laurent blachier honteusement piquée chez m.





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