Au bistrot

19.8.09

Dans mon village, il n’y a guère d’activité pour nous, les jeunes ruraux coupés de la vie citadine. Les seuls véritables endroits de rencontres sont les bistrots. Trois bars pour être exact. Un jaune, un orange, un rouge. Un en bas de la grand’ rue, un au milieu, un en haut. Nous voilà cernés par des lieux d’abandon affable.

Chaque groupe a son bar, QG de prédilection. Les rugbymen quadras/quinquas se retrouvent au siège du club dans le café jaune, chez Jeannot. Les plus âgés se collent au zinc du café du milieu, celui du Vernazobre, du nom du cours d’eau qui jouxte l’établissement. Dans cet endroit, paradoxalement, l’eau n'a peu cours si elle n’est pas agrémentée d’un breuvage de couleur jaunâtre. Le troisième lieu de rencontres est le café d’en haut, le rouge. Il est l’endroit qui accueille en masse la jeunesse bruyante adeptes de flippers, baby-foot, jeux vidéo et concours de belotes à l’ancienne.

C’est donc là, au café du balcon, que je passe le clair de mon temps libre. Depuis quelques années, je squatte le flipper et le jeu du bomber man n’a plus de secret pour moi. Sur le tableau des records est affiché en orange sur noir mon pseudo de trois lettres, « tit » . Je suis Tito pour tout le monde ici. Chaque soir, je passe discrètement voir si le record est tombé et m’enorgueillis d’être toujours le héros du village, chasseur de boules noires. Papa arrive vers 18h, tous les soirs. Il est accueilli comme un Dieu dans ses lieux. Des « Marcellou ! » par-ci, des « Marcellou ! » par-là. L’endroit souffle une humeur bon enfant. Un grand sourire aux lèvres, il me jette un coup d’œil furtif. J’ai même parfois droit à un battement de paupières établissant ainsi la connivence père-fils.

Un, deux ou trois demis de bière plus tard, il décolle du tabouret pour venir me retrouver prés des jeux. Il me donne cinq francs, parfois dix pour jouer encore et encore. Il me commande une grenadine alors que je veux un coca. Peu importe, je suis bien là dans son élément qui devient le mien, le nôtre. Quelques vieux évadés du café orange viennent de commencer une belote. Ça braille, ça s’embrouille, ça triche même. Le tableau de Pagnol se multiplie aux tables voisines. Les plus jeunes prennent part au tournoi. Désormais, le pastis a remplacé la bière. L’odeur d’anis a envahi le bistrot et je ne m’entends plus jouer. Papa fait le tour des tables intimant à l’un ou à l’autre la carte qu’il doit jouer. La partie terminée, il engueule les mauvais joueurs et tape avec allégresse sur l’épaule des gagnants.

Cette atmosphère chaude, vivante, enivrante et enivrée dure parfois jusqu’à 22h. L’heure du retour à la maison est maintes fois repoussée à la faveur de la dernière tournée du patron ou de celle du dernier arrivé. Marcel, tu vas pas t'en aller sur une jambe ! Pourtant, il va bien falloir rentrer. De façon tacite, son regard vitreux se déporte sur moi m'indiquant de partir en éclaireur retrouver maman. Je finis la dernière partie, termine mon coca, que finalement un tonton de bistrot m’aura offert, et je rentre amortir l’arrivée titubante du chef de famille.

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