Et le démon s'évanouit

25.11.09

Gérard n’en était certainement pas à son coup d’essai. L’histoire a pris fin comme elle avait commencé, dans une incompréhension réciproque. Lui, le quinquagénaire à tendance patriarcale, elle, la jeunesse prise dans l’étau de ses sentiments contrariés.

Barbara a modifié peu à peu ses rapports professionnels en relations ambiguës. Le patron qu’était Gérard était pour un temps devenu l’amant. Et cet amour combattu a fait fondre toute perspective de retour à la normale dans le petit atelier. Comment pouvaient-ils allier amour et collaboration au travail ? Sans surprise, l’ambiance s’est délitée. Elle, jouant de l’attraction sur son aîné. Lui ne pouvant répudier ses œillades manipulatrices.

Que pouvait-il advenir de cette relation impossible ? Rien, cela aurait été le mieux. Mais, la fierté de Gérard était atteinte. La fuite de l’aimée vers un garçon de son âge fut trop insoutenable. Le jeune homme s’est vu soudain affublé de tous les défauts. « Il ne la connaît pas, il n’a pas les épaules, ce godelureau » me disait-il sans détour. Gérard se mit alors à trouver toutes les bonnes raisons pour ne pas admettre son échec.

Barbara, quant à elle, douta de plus en plus de la valeur professionnelle de son directeur. Sa confiance jusqu’alors sans faille se ternit. Leur belle complicité affichée aux yeux de tous disparut pour laisser place au doute. Incertitude étayée par une subite détérioration de leur qualité de travail respective. Barbara et Gérard ne s’entendaient plus, au sens propre comme au figuré.

Dans cette ignorance devenue pesante, je fus à nouveau le témoin et le confident de Gérard. A l’aide d’allusions à peine dissimulées, il me demanda conseils à plusieurs reprises. Je ne lui divulguai aucun commentaire, pas plus que d’avis qui aurait pu le satisfaire dans cette descente d’hormones. Il tourna, révisa maintes fois ses positions sans vraiment prendre en considération celles de Barbara. Il avait été bon avec elle, c’est certain, mais aujourd’hui, la vexation et l’atteinte pugnace de son ego altéraient fortement son jugement.

Il y a deux semaines, Barbara déposa au bureau des ressources humaines une lettre de démission en bonne et due forme. Sans avertir Gérard, elle partit le lendemain. Avant de franchir le seuil de l’entreprise, elle vint me saluer avec dans les yeux le regret de cette histoire déchue. La belle s’est enfuie. Gérard ne m’a jamais plus reparlé de Barbara.

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