Gérard s’emballe

15.11.09

image Barbara est entrée dans l’entreprise il y a peu. Jeune femme de trente ans, un look de garçonne mais néanmoins une jolie fille, elle porte toujours un regard timide sur les gens. Sa discrétion est appréciée et elle affiche inlassablement un sourire aimable. On l’a dit professionnelle, compétente et assidue. Gérard la glorifie depuis qu’elle officie sous ses ordres en tant que technicienne/assembleuse. Et de toute évidence, d’assemblage il est de plus en plus question.

Je le regarde, il me regarde. Un gloussement complice déborde. Je le complimente, clairement flagorneur, sur sa conquête de vingt ans sa cadette et tente de le détendre en plaisantant sur sa libido retrouvée. Il sourit, puis rit volontiers en ajoutant quelques commentaires graveleux proche de la misogynie. Il s’emballe et semble revigoré comme débarrassé d’un poids évident. Je ne le relance pas et l’écoute patiemment pour que cesse l’élogieuse escalade de sa virilité renaissante.

Il se tait enfin et son visage s'obscurcit à nouveau. Il hoche la tête et, sur un ton devenu grave, m’avoue être « raide dingue amoureux ». Je recule avec ma chaise et manque tomber de la petite estrade en teck rehaussant la terrasse de la pizzeria. Les deux moitiés de pizzas sont maintenant froides tandis que l’on peut voir clairement à travers la bouteille de Bordeaux. Gérard a la figure rosée et je ne me vois pas, mais la chaleur sur mon visage m’indique une couleur similaire. Il est 14h00. Nous sommes en retard.

Dans la voiture, de retour vers le bureau, il raconte tout feu, tout flamme, leur rencontre et leurs premiers ébats lors d’un voyage professionnel puis s’étend sur leurs « culbutes » répétées, un coup dans l’atelier, un coup dans la salle de réunion et un coup dans son bureau. Quelle forme ! Son discours est décousu, rapide mais je l’observe et il s’agit bien d’Amour. Gérard, cinquante ans, est une nouvelle fois amoureux. Il est heureux. L’homme puissant peut à nouveau briller de son sex-appeal, épater ses congénères, se rassurer sur sa beauté et se défaire auprès de moi de l’illégitimité culpabilisante de ses actes.

Arrivés devant l’entrée de l’entreprise, il me prend par l’épaule et me remercie chaleureusement de l’avoir écouté. Je le maintiens comme je peux pour éviter que nous traversions ensemble les couloirs en titubant. Notre soudaine proximité et les vapeurs d’alcool me gênent. Je m’écarte et lui souhaite une bonne après-midi avant de regagner mon bureau. Il me suit en me hélant. Je m’arrête, me retourne et le vois plaquer contre une cloison de son atelier, la tête baissée et les yeux clos. Le Bordeaux était bon mais un peu violent ! Je le rejoins pour m’assurer que tout va bien. Il marmonne quelques mots incompréhensibles, lève péniblement la tête et dans un râle dégoulinant en sanglots me lance : « ELLE ! La salope ! ELLE ! La salope ! ELLE ! Elle ne m’aime pas ».

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