La veillée

14.12.09

image [ le mini-barbu ] Je suis le benjamin de la famille. Dix-sept ans me séparent de ma sœur aînée et quatorze de ma sœur cadette. Je suis donc le dernier de la fratrie à croire encore au père Noël. Charmant mensonge qui parcourt les siècles et que tout parent s’astreint à maintenir le plus tard possible, même pour les enfants comme moi survenus trop tard et par erreur.

Maman a rejoint papa dans le salon. Elle le réveille sans ménagement. Je l’entends grogner depuis l’embrasure de ma porte. Je me tiens accroupi, les mains au sol et les yeux emplis de sommeil. Malgré la fatigue qui m’étreint, je surveille. Par chance, ma chambre donne directement sur le grand couloir au fond duquel trône le sapin. C’est là que le mini-barbu va jaillir de la terre pour que la métamorphose magistrale s’opère.

La maison s’endort. Posté dans la chambre d’à côté et après m’avoir soutenu dans cette aventure par quelques chuchotements excités, Bastien semble s’être endormi derrière sa porte. Déjà deux heures que je fixe les guirlandes clignotantes, seules lumières persistantes dans le sombre couloir. Les petites lampes scintillent dans une cadence parfaite et éclairent les trois premières rangées de carreaux noirs et blancs. Je suis aux premières loges pour le spectacle. Maintenant allongé, ma tête repose sur le sol dur et les ronflements de papa à l’étage me bercent lentement. Les illuminations du beau sapin se brouillent, s’estompent et finissent par disparaître. Je m’endors.

Un grand fracas me fait sursauter. La lumière du couloir se répand sur le seuil de ma chambre dans une couleur blanchâtre aveuglante. Il fait déjà jour. J’ouvre péniblement les yeux tandis que ma mère pousse brutalement la porte de ma chambre qui vient heurter mes genoux repliés. Elle me découvre avec stupeur, me prend par le bras et me remet dans mon lit. Tout est allé très vite. Je n’ai pas eu le temps de jeter un œil vers le sapin. Les bruits continuent. Le ballet monotone et ordinaire du matin.

J’entends les pas lourds de papa dans l’escalier, la machine à café qui siffle puis le tintement des petites cuillères dans les tasses. Impossible de me rendormir sans savoir. Il faut que je voie si le pied du sapin s’est garni de cadeaux. Et surtout si le sol garde des stigmates de la percée du mini-barbu. Maman va et vient dans le couloir, s’affaire sûrement aux préparatifs du repas de midi. Je ne peux plus me glisser hors de mon lit pour lorgner à la porte. A coup sûr, elle m’entendrait et me flanquerait une correction.

Je ferme les yeux et j’imagine. Peut-être Papa va-t-il, après son petit-déjeuner, combler le trou béant laissé par le père Noël. Il sera alors trop tard pour vérifier les dires de Bastien. Je me trouverai une fois de plus sans explication plausible. J’aurais beau posé la question, je n’obtiendrai aucune réponse tangible, comme d’habitude. Je me ravise. Mon neveu m’a expliqué. Il est minuscule, c’est un lilliputien. La trouée doit être imperceptible à l’œil nu. Malgré mes cogitations, je finis par me rendormir et me mets à rêver.

Tout petit, microscopique. Une percée, une déchirure, un éclat qui surgit. Puis, je grandis. Trop vite. Personne ne me voit. Un accident, une perforation. Je suis tout petit et je perce. Est-ce que j’existe ?

A suivre.

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