Au fond de mon lit

14.3.10

image Ce matin, calé au fond de mon lit, j’ai dix-huit ans. Hier soir et jusqu’à tard dans la nuit, je suis sorti pour fêter dignement cet événement. Il est déjà midi et les cloches de l’église résonnent. C’est dimanche et comme tous les dimanches le carillonneur tire avec peine l’épaisse corde reliée aux battants de la charpente. J’imagine ce vieil homme usé décoller du sol à chaque coup qui retentit dans ma tête endolorie.

Midi et je n’arrive pas à me lever. Ma mère cuisine. J’entends le souffle de la hotte aspirante. C’est fort et lancinant mais masque le silence. Elle doit être pensive, absente et seule comme toujours devant sa table de cuisson. Absorbés par la soufflerie, j’imagine s’évanouir ses rêves, pont des soupirs et amant transi envolés par le conduit. J’ai mal aux cheveux. Je repense à cette fille qui m’a pris la main hier soir attisant le feu sous mon bas ventre. Elle m’a fixé de ses yeux lumineux comme pour me signifier son analogue incandescence. Les cloches se taisent.

Midi passée et j’ai une sensation de vertige. Mon père entre du bistrot. J’entends ses pas lourds fouler l’escalier. Il s’assoit à la table de la cuisine. Je ne vois rien mais je le sais aphasique et enivré. Je le devine tirer sur sa cigarette qui de son feu cramoisi désillusionne son visage.

Les images s’empilent mais les couleurs restent ternes. Il n’y a guère que la fille émoustillante rencontrée hier qui pourrait me tirer de ma léthargie éthylique.

C’est déjà l’après-midi et j’ai soif. J’ai la bouche pâteuse et certainement l’haleine fétide. Si je pose un pied sur le sol, un théâtre silencieux et pernicieux m’attend. Pic et repic. Les cloches reprennent. J’ouvre les yeux et les referme aussitôt. J’avale ma salive pour humidifier ma gorge nouée. J’ai dix-huit ans. Je n’arrive pas à me lever alors je préfère dormir. Je préfère rêver.

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