Une si belle famille

1.3.10

image Je suis souvent de passage dans cette grande maison. En coup de vent, je dépose ou récupère mes enfants lors de leur séjour d’une ou deux semaines. Je ne veux jamais m’attarder dans ces lieux qui ont pourtant beaucoup compté. Lorsque j’ai découvert cette demeure contemporaine, je ne m’y suis pas senti à l’aise. Trop clinquante, bourgeoise, riche, en décalage avec mon univers et mon niveau social. Et pourtant, quel endroit familier elle deviendrait plus tard !

Car dans ses murs, d’extraordinaires personnes animent les éléments. Dans le creux de cet ostentatoire assumé, se trame l’authenticité qui crée la vraie vie, celle que j’ai pu apprécier pendant douze années. Dans cet antre protectrice, j’ai vécu trois ans puis j’ai participé tous les week-ends au rassemblement invariable de la famille au grand complet. Mais voilà, les choses évoluent, le temps passe, les plus beaux feuilletons se terminent et le divorce se prononce. Je me suis éloigné de ce cercle, de ce clan, de mon ex-belle famille. Dit-on vraiment « ex » pour une si belle famille ? Non pas que j’aie été chassé, loin de là, mais c’est moi qui n’aie pu accepter que les choses restent ainsi figées. J’étais sorti de mon mariage. La romance terminée, il fallait que je sorte de cette famille malgré l’évidente déchirure qui en résultait.

Alors, depuis six ans, je passe discrètement dans la grande allée bordée de pins. Je stationne ma voiture prés de la baie vitrée, fais rapidement les salutations d’usage puis enfourne mes enfants et tente l’échappée sournoise. Je suis poursuivi les bras ouverts avant que je ne referme la portière et m’en aille tout en esquivant l’invitation à déjeuner. L’entrevue est ardente, fugace, et teintée d’un plaisir frustrant pour tous.

Au fil du temps et fort de mon entêtement, ma famille de cœur s’est accordée sur ma fuite. Je ne suis pas certain qu’ils aient perçu le sens de mon embarras mais à défaut de le comprendre, ils l’ont accepté.

Néanmoins, ce samedi, une nouvelle invitation est arrivée par l’intermédiaire de la mère de mes enfants et j’ai accepté. Le temps d’un déjeuner, j’ai retrouvé les choses à leur place, les habitants inchangés. Ma belle-mère au fourneau qui régale la maisonnée d’odeurs séduisantes, mon beau-père dans son jardin qui répare la balançoire et attend avec impatience le printemps qui élèvera ses semis en œuvres d’art. Mon beau-frère et ma belle-sœur se soumettant leur dernière trouvaille diététique pour perdre du poids. Rien n’a changé. Légèreté et chaleur. Ils sont tels que je les ai laissés. Leur amour immuable, leur présence bienveillante m’ont offert une sérénité plaisante tout en déplaçant un petit nuage mélancolique sur les années passées.

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