Le commentaire d’Alvin (8)

18.4.10

image [ C. et si ce n’était pas elle ? (7) ] De jour en jour, de nuit en nuit, Alvin se perd, Alvin se meurt. Tragi-comédie idiote d’un homme seul. Parfois, il en rit, se frappe le visage pour réveiller son instinct de chasseur, de Casanova de la toile et ainsi sortir de cette obsession galopante pour trouver posture plus détachée. Mais il ne maîtrise plus rien, tout cela le dépasse. L’emprise des mots est plus forte. Il continue à arpenter comme un monomane les pages de Cassandre à la recherche de la clé, celle qui pourra lui faire franchir le pas. Pas une enjambée physique, même pas une mise en abîme dangereuse. Il ne s’agit pas ici d’affronter réellement, il n’en est pas à ce stade, cela ne l’effleure pas une seconde. Non, il aimerait simplement entrer en contact virtuel. Et il tourne mille fois dans sa tête ce blocage inconscient, cette pudeur effarante qu’il éprouve en lisant les mots de Cassandre.  C’est comme si elle lui tendait un miroir et que dans le reflet, il y découvrait son vrai visage. Il faut pourtant que cette transposition s’incarne, fut-elle éthérée. Alors, il répète inlassablement les mêmes gestes, les mêmes clics, retourne les pages virtuelles de l’univers de Cassandre pour déceler le billet opportun, celui qui sera le plus en accord avec ses pensées. Il cogite et rationalise sans cesse les effets boomerang de son cœur. Chaque oscillation sanguine qui tambourine sur ses tempes affole son épiderme et le fragilise encore un peu plus. Il dénie son corps pour remonter tout le sens dans sa tête. Il fume et fulmine. Son ventre se noue et ses idées débordent puis s’évaporent dans les effluves des cigarettes qu’il écrase une à une dans son cendrier. Il lit, dissèque chaque mot. Il étudie avec minutie le sens de la prose de Cassandre, sa portée et la corrélation délicate qu’elle pique dans sa vie.

Il est tard. La nuit allonge ses jambes et Alvin est toujours recroquevillé sur son ego, la tête collée à l’écran. Il ne se débat plus comme un beau diable dans cet univers parallèle qu’il affectionne. Le flux a cessé, il a échoué sur une île où toutes les contradictions comme tous les possibles sont admis. Sa paralysie, son manque d’accessibilité, son repli sur lui sont autant de barrières qu’il n’arrive plus à surmonter. Il sent que la moindre interaction avec sa belle inconnue pourrait le faire vaciller, le mettre en danger et casser le personnage qu’il a mis tant de soins à construire. Pourtant, il n’a qu’une seule chose à faire, se laisser porter par son instinct primitif. La décision est au bout de sa souris, posé là sous ses doigts sur les lettres juxtaposées de son clavier. Il n’a qu’une entrée à exécuter, une simple pression sur un lien hypertexte pour déposer une phrase laconique invitant à la discussion, au partage de ses perceptions troublantes. Mais derrière se cache l'affection suprême, il le sent et il a peur. Il ne veut pas s’adonner à une aubade désuète. Il n’a cure de ses représentations surannées de l’amour. Il n’aime pas ce mot, ne sait pas vraiment ce qu’il est, ce qu’il symbolise exactement. Il ne le connaît pas, le fuit, ne sait et ne veut pas l’apprécier. Il le met en scène pour le démystifier, le risque uniquement de son regard influencé par des romances improbables. Comme le poète imbu, il ne lui donne corps que pour choyer son narcissisme. Et pourtant, il sait que quelque chose se trame derrière ce blog, qu’une personne s’inscrit et vit comme lui, dans une réclusion sentimentale, une prison d’émotion qui se croit  libre par l’artefact de  l’écriture. Tant de perceptions similaires entre elle et lui ne peuvent rester aveugles l’une de l’autre.

Par discrétion, évitant le trouble que pourrait occasionner son entrée sur les autres lecteurs , il décide de s’enfoncer dans les archives du blog de Cassandre et sur son premier texte où il est paradoxalement question de la fin d’une histoire amoureuse, il dépose ses premiers mots, l'embrasure en exergue, le contre-pied de sa tempête cérébrale. Par un élan non contrôlé, éloigné pour un instant de ses dérobades, il jette la première pierre en espérant le ricochet.

Publié par Cassandre, le 17 janvier :
« Une fin, j'en voulais une. Quand l'absence de lui devenait usure, quand le silence devenait nuit, quand je ne savais plus où il était dans l'espace de ses fuites, je me diluais, me perdais. Alors grondait dans ces moments la peine immense de ne pouvoir lui donner, lui demander. Je ne pouvais qu'attendre ou me précipiter dans le futile et l'incertain. Il est parti. Il est parti comme un étranger, sans se retourner, pour ne pas dire au revoir, pour ne pas croiser, mon regard et je suis restée là. Belle lurette que je croyais avoir accepté cette histoire qui se finissait, et je voulais une jolie fin, et je ne l'ai pas eue... Aujourd'hui, j'accepte mais je suis prise parfois par un raclement comme du sable fin, là coincé dans ma gorge et je déglutis, je ravale, je zappe... »

image A suivre…
Illustration 

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