Entre vignes et télévision

15.5.10

image Je dois avoir une douzaine d’années, peut être un peu plus. C’est l’été et comme tous les étés, je me sens seul dans le village. Je pars rarement en vacances. Mes parents travaillent beaucoup et n’attachent pas beaucoup d’importance aux congés ou autres détentes comme si prendre du bon temps était pour eux une notion justement hors du temps. Leurs occupations extra-professionnelles demeurent simples mais m’ennuient profondément. Mon père possède quelques hectares de vignes dans lesquelles il passe l’ensemble de son temps libre. Débroussaillage, préparation aux vendanges de septembre, et quelques autres activités dont je ne saisis pas le sens ni l’utilité. Ma mère n’a pour ainsi dire aucun loisir à part regarder la télévision figée devant les chiffres et les lettres en admiratrice transie pour Patrice Laffont. Plus tard, elle lui préférera Julien Lepers et son « questions pour un champion » Entre deux émissions, elle complète sa pseudo-passion pour les lettres en faisant les grilles de mots fléchés de Monsieur Duclos. Tout un programme !

Et moi, au milieu, je les regarde vivre en parallèle sans grand engouement pour leurs occupations. Alors je sors beaucoup. Je vais traîner au bar du village. J’adore regarder les vieux jouer à la belote. Ils s’engueulent toujours copieusement pour un trèfle, un carreau ou un pique. Je ne comprends pas encore les règles mais leurs joutes pagnolesques me ravissent. A vingt heures maximums, il faut que je sois rentré pour le dîner. Fissa je grimpe à la cuisine au premier étage et je m’assois sagement à la table pour le repas sacré. Le silence se fait et nous mangeons en une demi-heure. Quelques copains comme moi esseulés viennent le soir après le dîner et sur le quai, en bordure de la rivière, nous rions bêtement. Nous plaisantons grassement en rivalisant comme des coqs pour savoir qui va sortir avec LA fille, starlette du camping voisin. Plus pragmatiques, nous nous questionnons parfois sur nos changements physiques, sur nos poils pubiens naissants ou sur notre acné cruelle.

Je regagne la maison vers vingt-deux heures. Papa est assoupi dans son rocking-chair. Il ronfle une fois sur deux, paraissant s’étouffer à chaque respiration. Sur son pantalon, des traces ocres de terre de vigne sont témoins de son labeur journalier. A la télévision, Interville touche à sa fin, St Amans va sûrement remporter le match face à Villemagnet. Maman avachie sur la table de la cuisine dort déjà sur son cahier de mots fléchés, un bras ballant, l’autre en guise d’oreiller. Elle va se réveiller plus tard dans la soirée avec la trace de télé7jeux sur la joue.

Je me faufile et sur la pointe des pieds, j’atteins ma chambre. Et là, dans mon repaire, accoudé à la fenêtre, je lève la tête au ciel à la recherche de l’air pur laissé au bord de la rivière. Entre la lune et le clocher, je rêve de vacances entre copains, loin des vignes alignées, des vachettes de Guy Lux et du « compte est bon » de Patrice Laffont.

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