La rencontre

18.5.10

image Début des années quatre-vingt-dix, par une décision brouillonne et à la suite d’une première expérience professionnelle hasardeuse, je décide de renoncer à la vie (trop) active et reprends mes études avec beaucoup de perplexité. Sorti bancal du monde des adultes, je me retrouve sur le banc de l’école en compagnie d’une cohorte d'adolescents attardés pour certains encore pré-pubères. Gonflé à bloc par l’envie de réussir, je fais pendant quelques mois figure d’élève sérieux et appliqué. Ce temps là ne durera pas longtemps. Après avoir connu les méandres de la vie professionnelle, je me délecte très vite de ce retour parmi les étudiants. Je regagne peu à peu ma nature de chahuteur cool, insouciant et bavard. Comme un poisson dans l’eau, je barbotte heureux dans cette classe de première bien parti pour deux ans de navigation à vue jusqu’au baccalauréat. Mes premiers temps d’élève consciencieux ayant porté leurs fruits, l'année est bouclée sans trop d’anicroches récoltant même au passage des félicitations de mes professeurs admiratifs de mon retour aux études.

En septembre de l’année suivante, tout va changer. Dans les couloirs bruyants, j’avais remarqué une fille très alerte, enjouée et charmante qui s’arrogeait l’ensemble des regards masculins. Excessivement courtisée, elle jouait très bien de ses atouts. Son sourire facétieux et communicatif faisait chavirer nombreux de nos cœurs. Et n’étant pas exempt de palpitant désireux, je n’avais pas résisté à sa puissance de feu. J’étais confondu par son charme. J’avais bien imaginé pour l’aborder quelques plans hautement romantiques mais cette armée de prétendants m’avait conduit à renoncer. Pourtant…

Jour de rentrée des classes. Nous sommes tous très beaux, très propres et habillés de vêtements flambants neufs. Rassemblés en rangs d’oignons sous le grand préau, j’apprends par la voix nasillarde du professeur principal que je suis placé dans la même classe que la belle. A cette annonce, le rouge me monte au visage. Je sens brusquement mon sang faire des pirouettes veineuses, me traverser le corps en diffusant quelques moiteurs sur ma peau puis remonter jusqu’à ma tête pour terminer sa course en électron libre entre mes synapses. Pour les plus fins observateurs, ma tempe vacillante témoigne du choc reçu. J’assèche mes mains humides sur mon jean et reprends lentement mes esprits. Pour me donner de la contenance, j’examine ma tenue, passe une main dans mes cheveux et allume nerveusement une cigarette. Avant l’entrée en classe, j’observe rapidement aux alentours si quelqu’un perçoit mon trouble et taille l’attroupement à la recherche de sa silhouette.

Je m’avance vers le bâtiment principal. Elle est là. Je l’aperçois dans le miroir du hall qui jouxte la porte d’entrée. Je suis de dos par rapport à elle et cette position me permet de l’observer sans qu’elle ne me voie. Sous ses cheveux noirs ondulés, s’affiche un visage rond et halé, traversé par une bouche pulpeuse. Elle avance vers moi, son déhanché aérien accompagne son corps souple et ondoyant. Sa poitrine n’est maintenant qu’à quelques mètres de mon dos quand, sans trop y croire, je sens ses mains me bander les yeux. Je sursaute et avant que j’ai le temps de me retourner, une voix forte et riante retentit jusque dans la cage d’escalier : « Devine qui c’est ? ». Je suis liquéfié, « amélie-poulinisé ! ».

De cette rencontre, mon année de terminale sera agréablement secouée. Je réussis toutefois à obtenir mon bac mais ma plus belle réussite est ailleurs. Elle et les trois enfants qu’elle m’offrira une décennie plus tard.

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