Les Platanettes

23.6.10

image Un creux au milieu de la rivière bordée de platanes, un gouffre, un dangereux gouffre: les Platanettes. Pourtant avec un tel nom amusant, cet endroit privilégié pour la baignade ne faisait pas peur, il n’impressionnait personne. Bien que lisse, avec peu de dévers et d’apparence inoffensive, le cours d’eau était pourtant bien dangereux. Les années de fortes pluies, les eaux dévalaient du Caroux à vive allure et choquaient les gros rochers pour plonger dans de profonds gouffres dans lesquels tournoyaient, en spirales aspirantes, de mortelles vis sans fin. Un piètre nageur, comme je l’étais, pouvait vite se faire happer vers le fonds et se noyer dans d’horribles souffrances, oublié à jamais dans la vase opaque. C’est pourquoi mes parents s’avisaient en premier lieu de la pluviométrie des six derniers mois et si celle-ci avait été abondante, il n’était pas question que j’aille me baigner. Dans le cas contraire, la rivière ne courant pas la vallée, il fallait s’enquérir de l’indice de pollution des eaux stagnantes afin que je n’attrape quelconque maladie cutanée.

Bref, aller aux Planettes pour simplement se baigner était toujours compliqué. Heureusement, cette vérification systématique n’avait lieu qu’au début de l’été et, une fois l’autorisation acquise, elle l’était pour le reste de la saison. Permission en poche, je pouvais revêtir mon short de bains flottant, prendre ma serviette éponge, parcourir quelques centaines de mètres sur les quais du Vernazobres et enfin rejoindre le gouffre. Mes camarades du village étaient soumis à la même règle, et c’est le même jour, celui qui marquait vraiment le début de l’été, que nous nous retrouvions sur les plus hauts rochers. Les plus téméraires sautaient les premiers, en bombes ou en plongeons d’esthètes ; les autres, plus timides, descendaient d’une marche pour rejoindre l’enclave rocailleuse plus basse. Il n’était pas question de rater son coup et de s’éclater durement dans l’eau sur le plat du ventre ou pis, jambes écartées sur les adducteurs ; les regards braqués et charmeurs des filles spectatrices en contrebas nous en alertaient.

Car c’est bien cela qui nous emportait : attirer le regard des filles. Il fallait être le plus beau aux Platanettes, en jeter plein la vue aux demoiselles tout juste formées. La rivalité des mâles pouvait éclater au soleil et reluire sur la rivière pour aveugler nos proies. Douces proies que ces filles aux frêles jambes couvertes de crèmes bronzantes. Elles étrennaient leurs bikinis et enlevaient même parfois le haut, laissant la chaleur piquer leurs jeunes et fermes citrons blancs. Nous salivions sur ces saillies naissantes et elles, rêvaient de se troubler sur nos torses encore imberbes. Malgré l’eau fraîche et vivifiante, il faisait chaud sur nos corps et dans nos têtes mais l’endroit se prêtait à merveille pour satisfaire nos velléités de séduction et nos lignes de désir. Les cachettes étaient nombreuses et propices à l’échappée romantique, dans les buissons en amont de la rivière ou plus bas dans le sous-bois où perçaient quelques clairières accueillantes. Après le spectacle des sauts de testostérones sur pattes, les plus chanceux main dans la main s’écartaient du banc de terre ocre qui nous servait de plage pour regagner ces alcôves naturelles. Et se jouaient les premiers sentiments exaltés, premiers frottements de corps à moitié nus aux effluves savoureux de la rivière, union d’algues vertes et de schistes rouges. Saison propice à l’amour, les gorges se voulaient friandes et de langoureuses pelles s’échangeaient à grands coups de langues dans des bouches trop petites. Mais dans le blanc des yeux des filles, aucune impureté, aucun danger, nos parents étaient rassurés, nous pouvions nous noyer paisiblement.

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