Non, non et non, je ne veux pas y aller !

7.6.10

Je venais d’avoir vingt et un ans et je revenais de mon service militaire. Douze mois dans la Base Aéronavale de Rochefort-sur-mer. Errant et adolescent attardé, je peinais à prendre des initiatives pour m’insérer dans une vie professionnelle pour laquelle tout le monde autour de moi semblait s’intéresser au plus haut point. Pourtant, j’étais armé d’une place que beaucoup m’enviaient. Un poste à La Poste ! Avant d’aller servir ma patrie, j’avais réussi avec brio le concours de contrôleur d’exploitation. Je m’étais frappé l’ensemble des capitales et des villes de plus de vingt-mille habitants du monde entier. Je connaissais par cœur, préfectures, sous-préfectures, départements et communes les plus reculées du territoire et tous les codes postaux exotiques des villes importantes de la planète. Comment avais-je pu assimiler autant de choses insipides ? Bref, j’étais à cette époque promis à une grande carrière administrative et mes parents étaient fiers d’avoir casé leur fils dans une entreprise aussi pérenne.

Mais voilà, le rebelle passif que je suis ne voyait pas les choses du même œil. Rien que l’idée de me retrouver à Trifouillies-les-oies dans un bureau de Poste gris et miteux à calibrer la machine à affranchir me donnait la nausée. On m’expliqua à grands renforts de lourdes et longues litanies que le métier était stable, sans crainte de licenciement, que la poste représentait la tranquillisante sécurité de l’emploi, que je ne pouvais pas refuser un tel travail et qu’en cas de refus, j’allais dépérir dans un monde sauvagement capitaliste qui allait me broyer puis me mastiquer avant que ma retraite ne sonne, si un jour encore elle devait retentir. Je tenais bon devant mes contradicteurs et n’adhérais nullement à leur laïus, fuyant le conformisme et la monotonie rassurante qu’ils voulaient m’imposer. Non, la Poste n’était pas compatible avec les soirées acid-house et les whiskies coca. Non, la célèbre administration, aussi protectrice et stabilisante qu’elle soit, ne pouvait concurrencer la formidable chance et incroyable liberté que j’avais de me trouver à vingt minutes des paillotes de plage surchauffées le samedi soir. Non, la Poste, anciennement appelée P.T.T. brocardés en Petits Travaux Tranquilles, ne parviendrait jamais à me faire oublier que je ne voulais pas être petit et tranquille mais grand et emmerdé par une vie trépidante. « Ah la jeunesse ! » s’exclamaient de dépit mon entourage et j’entendais dans cette interjection la clameur induite de leur renoncement à me convaincre.

Je ne voulais pas être contrôleur d’exploitation à la Poste. D’ailleurs, l’intitulé du poste m’était totalement étranger armé de sa connotation de contrôle, de pointage, d’épiage et pis, de son esprit d’exploitation, de production à vérifier et d’asservissement des masses ouvrières. Et mes parents de voir que je ne me pressais pas pour obtenir des renseignements sur St Quentin en Yvelines, lieu de ma première affectation. Je lisais dans leurs regards comme une hébétude. Mon père ne me parlait plus de la capitale du Burkina fasso, de son nombre d’habitants ou de sa situation géographique. Ma mère ne me vantait plus les bienfaits formateurs de son stage de standardiste aux P.T.T. dans les années cinquante et désormais se cachait pour coller ses timbres de collection sur son grand cahier à spirales. Il fallait que je trouve LA vraie raison pour faire admettre mon refus « d’expatriation » vers le grand Nord. Les arguments avancés ne faisant pas mouche auprès de mes géniteurs, je décidai de les prendre par les sentiments.

« Maman, Papa, je ne peux pas quitter ma chérie que je viens de rencontrer, il y a à peine un an. Si je pars, je lui brise le cœur ! Vous comprenez, n’est ce pas ? » Vil garçon que je fus. Mon excuse romantique fit mouche et je restai dans mon Midi adoré entre montagne et mer, entre soleil et « fiesta caliente ».

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