Pattemouille

14.10.10

image Je m’assois à la table rouge de la cuisine, il est dix-sept heures trente et comme tous les jours après le goûter, les devoirs m’attendent. Je racle avec mon crayon les interstices du damier en formica, rêveur sur mon cahier de brouillon et résistant à commencer.

Elle, elle s’installe tout en marmonnant quelques mots pour que je me mette au travail et que j’arrête de sortir les miettes de pain piégées dans les rainures. Elle traîne sur le sol sa table à elle, rien qu’à elle : la table à repasser encore pliée dans sa housse en plastique. Devant moi, afin de bien me surveiller, elle prépare sa séance, fer à vapeur, corbeille à linge, dépliage, rangement par type et couleur puis s’affaire à créer sa pattemouille.

Faussement studieux, je me penche sur mon cahier et observe du coin de l’œil le savoir-faire maternel. Elle découpe dans un vieux drap - à moins que ce soit une taie d’oreiller - un morceau de tissu d’environ quarante centimètres. Les ciseaux en action, elle lève la tête et s’aperçoit de mon intérêt. Prise par un excès de pédagogie, elle se met à m’expliquer la confection de la pattemouille.

Vois-tu, dit-elle, il faut toujours un morceau de tissu mouillé pour bien repasser. On le place entre la pièce à repasser et le fer, continue-t-elle joignant le geste à l’explication. La pattemouille permet de repasser à la vapeur les tissus fragiles, comme tes sous-pulls en matière synthétique ou les tricots de corps de ton père par exemple, sans risquer de les brûler ni de faire des marques.

J’ai pris un drap mais j’aurai très bien pu prendre un torchon, c’aurait fait l’affaire. L’essentiel est que ce soit du coton lisse sans nid d’abeille sinon ça accroche, comprends-tu ? Sans attendre ma réponse, elle trempe la pattemouille dans l’eau de l’évier, l’essore puis se retourne vers moi et en levant l’index : attention, elle doit être mouillée mais ne pas dégouliner ! Bien sûr.

J’ai rangé mon cahier dans mon cartable et l’écoute désormais dévotement les coudes sur la table et les mains sur les joues. Je règle ensuite le fer sur la température correspondant à la pièce à repasser. Tu vois ici avec ce petit curseur : soie, laine, etc. Ensuite, je place la pattemouille sur la pièce à repasser et passe le fer dessus, sans l’immobiliser : la vapeur se dégage. Voilà et maintenant je peux enlever la pattemouille. C’est simple non ?

Je la regarde éberlué par sa démonstration : c’est très bien mais, maman, je suis un garçon, je ne repasse pas, moi ! Et avec ses yeux bleus froncés, elle me réplique : tu sais, il vaut mieux que tu saches tout faire dans une maison. Tu sais, avec les femmes d’aujourd’hui…

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