Clin d’œil

image Je me souviens des mercredis après-midis dans la salle du foyer rural. Grande vide et froide, nous venions là, une dizaine d’amis, préparer la soirée du samedi. Une fois par mois, au foyer rural, il y avait LE bal. La mairie prêtait la salle - peut être la louait-elle, je ne sais plus - à l’association « Clin d’œil ». « Clin d’œil » c’était Jean Michel, Thierry et les autres. Et puis, moi, un peu groupie des grands qui étaient aux commandes de l’aventure. Car c’était une aventure dans les années quatre-vingt de monter une association et de la faire vivre. Alors, ils faisaient appel à nous, les bénévoles désœuvrés du mercredi, pour donner mains fortes. Il fallait faire les affiches, les photocopier, puis parcourir les rues et les villages aux alentours pour les coller sur les murs ou les agrafer aux platanes. La tournée terminée, nous passions au troquet du coin pour en parler : « Hey, tu viens toi au bal samedi hein ? Ça va être terrible, tu verras ! ».

Mais « Clin d’œil », c’était avant tout une disco-mobile : la discothèque itinérante de la région. Deux platines, une table de mixage et deux grosses enceintes remplies de watts. Le reste était fait maison, une caisse noire en contre-plaqué pour embarquer le matos qui, coté face, servait de décor pour masquer fils et rallonges, double prises et fatras divers du DJ. Et le Disc-Jockey, c’était Jean-mi, le seul maître à bord, la tête penchée sur les vinyles et le casque autour du cou. Il tapait du pied et enchaînait les tubes du moment, il était fier derrière son micro : « mmmmm, bonsoir et bienvenue ! Ce soir avec l’équipe de la disco-mobile clin d’œil, nous allons vous faire passer une nuit de folie. Est-ce que ça va ? » hurlait-il en ajoutant un peu de réverb. à la fin de chaque phrase. Il était toujours accompagné de son light-jockey qui balayait la piste à coup de spots multicolores et dégingandait les danseurs avec son stroboscope à décoller les rétines. Les débuts de soirée avec « Clin d’œil » étaient composés de grands moments d’émotion avec notamment l’intro de « 2001 l’odyssée de l’espace » pendant que la boule à facettes géante crachait ses mille copeaux de lumière. En suivant et sans un temps de répit, les tubes rocks, new wave et smili-punks se succédaient sur le dance-floor en ébullition. A chaque soirée, il y avait une ou plusieurs découvertes de Jean-mi, les imports comme il les appelait, maxi 45 tours directement venus des states ou d’Angleterre, petites perles qui n’étaient pas encore sortis en France et dont « Clin d’œil » nous donnait la primeur. Il n’était pas rare que nous passions à côté de la super-exclu-lulu, peut être trop vendue par l’animateur, d’un avant-gardisme ricain qui nous dépassait ou simplement parce que le titre n’était pas bon du tout.

La soirée retombait vers une heure du matin avec une série de slows romantiques. Nous tournions une dernière fois arrosés de néons violets qui faisaient ressortir les grains de poussière déposés sur nos vêtements. L’équipe remballait le matériel, nous nettoyions la salle et déjà se préparait la nuit d’enfer du mois suivant.

  • 29.11.10

Bleu de méthylène

image Bleu perçant de ton regard dans le mien. Prunelles intenses qui n’appartiennent qu’à toi, uniques dans une famille d’yeux doux verts marrons. Tu es seule, dans ton cintrage, vision obtuse, regard haut, froid, tu m’épies, me juges, ta façon d’aimer sûrement. Mais ce sentiment, si on peut le nommer ainsi, est circonscrit dans ton regard qui roule puis tranche, il est procureur de tes regrets, messager de tes reproches. Il est le bleu que tu verses sur moi, un méthylène qui me marque et me suit depuis toujours, il est l’oxydant qui nous ronge et nous sépare.

Et les marques perdurent, taches indélébiles de nos absences, traces qui colorent nos silences. J’en suis saturé au point de ne plus te voir, plus la force d'opposer ce regard requérant qui, à la moindre évocation de vie, viendra jeter une nouvelle fronde sur mes défauts. Pourtant, il faudrait que je t’affronte. Il ne tient qu’à moi de contrer ces éclaboussures, de soutenir ton azur planté dans ma tête, de refuser ta manière de répandre sur moi le bleu feutre de mes misères. Je n’ai rien à attendre de toi, tout est en moi, en contre, noir doux de mon regard dans le tien.

  • 27.11.10

Ma voisine

image Ma voisine était aussi ma bonne copine. Une fille pas comme les autres, une petite tête châtain avec des taches de rousseur, des cheveux courts et toujours vêtue de jeans larges et chaussée de baskets. Nous jouions souvent ensemble, aux cowboys et aux indiens, elle aimait aussi parcourir le quai prés de la rivière en skate-board ou en pantins à roulettes. Rien ne lui faisait peur à Brigitte, un vrai garçon manqué.

Je l’invitais souvent à dormir à la maison, le mardi soir ou les weekends. Mais Brigitte ne me conviait jamais chez elle, ses parents ne voulaient pas. Tu peux inviter des filles si tu veux mais pas un garçon, disaient-ils. Pour moi, et mes parents l’avaient compris, Brigitte était un copain, comme un autre, comme un garçon, je ne faisais aucune différence. Jusqu’à ce mardi soir, je me rappelle, c’était en hiver.

Nous étions si proches que nous prenions notre bain ensemble. Mes parents n’étaient pas fortunés mais nous avions le privilège d’avoir une baignoire sabot : la moitié d’une vraie baignoire avec un large rebord en guise d’assise et un rideau à fleurs pour pouvoir aussi prendre des douches. Ce soir là, le froid piquait au dehors. Et dans la salle de bains que mes parents ne chauffaient jamais, on se déshabilla en poussant des cris stridents. A chaque vêtement retiré, le froid nous transperçait davantage. Si bien qu’une fois nus comme des vers, nous n’étions plus que deux congères recroquevillées. Je me glissai le premier derrière le rideau et j’ouvris le robinet.

L’eau coula d’abord comme si elle avait arpenté les couloirs d’un glacier. Brigitte me rejoignit transie et poussa un cri d’horreur dés que son pied effleura le fond gelé de la baignoire. Elle s’enroula rapidement dans le rideau dans l’attente d’une température plus clémente. Quelques secondes de coulée et l’eau se mit à cracher une pluie brûlante. La vapeur nous envahit et nos cris se transformèrent en rires de stupeur.

A force de tâtonnement, je réussis à régler la température. L’eau devenue bonne, je lui tendis la main pour qu’elle me rejoigne. Et là blottis l’un contre l’autre, nous nous laissâmes emporter par la tiédeur. Accroupis dans cet espace réduit, j’entrepris de lui laver le dos, puis les cheveux avec un morceau de savon de Marseille. Elle fit de même après plusieurs retournements périlleux pour ne laisser aucune partie de nos corps sortir à l’air libre et froid. Nous étions trop bien dans cette eau chaude qui emplissait la pièce d’un voile qui masquait jusqu’à nos visages rougeauds. Nous y restâmes des heures, nous ne voulions pas en sortir. Il le fallait pourtant et je me décidai à tirer la bonde de la baignoire. L’eau descendit lentement découvrant nos bouts de pieds et de doigts flétris.

Elle sortit la première, gracile corps laiteux et juvénile, maculé de marques rouges. Elle s’enroula dans une serviette blanche et je la regardai un instant, émerveillé par son geste leste. Elle bleuissait désormais et claquait des dents. Je sortis à mon tour et la frictionnai énergiquement pour la réchauffer. Elle enfila sa longue chemise de nuit blanche et d’un air joueur, m’invita à vite la rejoindre dans la chambre.

Arrivé près du lit, je ne vis que ses cheveux en bataille dépassés de l’édredon moelleux. Je me glissai dans les draps tout contre son corps chaud et encore humide. Ma main sur son ventre, elle frissonna et je me mis à la serrer très fort tout en soufflant lentement de l’air chaud dans son cou.

Ainsi, ce mardi soir d’hiver, dans cette salle de bain exiguë, je pris conscience que Brigitte, mon copain, était une fille. Et pas n’importe quelle fille. La fille qui me donna mes premiers troubles érotiques.

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  • 23.11.10

Fictions et confidences – Nicolas Bleusher

image « Fictions et confidences » ne raconte rien ou si peu mais nous installe dans l’intime de l’auteur sans aucune voyeurisme, tout en pudeur. Des histoires courtes, une dizaine de lignes pour installer une ambiance douce, une tension ou une évocation d’un soir. Plusieurs de ces récits nous attrapent au plus profond et nous roulent paisiblement dans une mélancolie souriante. Que ce soit, une mémoire flash de l’enfance, un songe canaille, une illusion perdue ou un instant de bonheur, l’excitation de l’auteur est palpable, sa sensibilité aussi, il le définit très bien lui-même :

Ecrire, c’est voyager. Je n’écris jamais bien loin. Des souvenirs d’enfance, les mêmes peines, quelques amusements. La musique est cet embarcadère où marche, lente, mon inspiration. J’ai, parfois, la tentation de plaire, souvent le besoin de dire beau. Les soirs de clavier, moments heureux, rares heures, je suis, à l’extrémité du ponton, ce rêveur sous le vent, assis, au bord du sensible…

Nicolas nous propose ainsi un beau prolongement de son blog éponyme, les textes ont été retravaillés, mis en scène aussi, notamment dans l’ordre dans lesquels ils apparaissent, sans trahir la qualité originelle des textes. Les habitués ne seront pas déçus, les nouveaux lecteurs seront, sans aucun doute, emballés par cet agréable moment de lecture.

'Fictions et confidences’ de Nicolas Bleusher – éditeur: Numeriklivres – est disponible sur de nombreuses plateformes numériques et notamment sur feedbooks.

  • 22.11.10

Ronde lumière

image Je reste spectateur du vacarme du monde, lui qui va trop vite, me double, m’oublie, passe dans un trouble sans m’apercevoir. Contre, je lutte, en apnée, souffle intérieur de moi, extérieur des autres, évite le couloir sans fin des vents de l’univers. Point d’exaltation, je me protège, esquive les pluies, démystifie le flou et me drape des ombres qui vacillent. Trop près, trop loin, courte vue, longue distance, je ne suis plus d’eux, me dresse, oppose l'intuition au malaise. Hostilité sous cape, je me crée la paix du dedans.

Le temps expire, il n’est plus, et je respire, me sépare, inspire une autre temporalité. Mouvement plus lent, centré sur l’humain, philanthrope en chiffons, je fais front. Large, regard vers l’ailleurs, derrière moi le combat, la vitesse, le pouvoir, arrière garde de mon histoire. Déploiement du corps, je me libère, accroît les possibles sur des champs nouveaux, affranchi de l’agitation des plus grands. Droit devant, visage intense de la vie, je laisse les fossiles à la nuit, lisse mon crâne et plonge vers la ronde lumière.

Atelier d’écriture #2 de Juliette Mezenc : Ecrire à partir d'une image en s'interdisant de la décrire. Texte publié initialement sur son blog dans le cadre des vases communicants du mois de novembre.

  • 20.11.10

Maille

image A ton endroit ou à ton envers, je voudrais être une maille, me mêler à la bordure jusqu’à perdre pied dans le grand canyon de ton encolure. Là, délié, je filerai tout doux emportant avec moi d’autres mailles. Nous ferions le tour lentement, les unes après les autres, j’éprouverais l’étourdissement de ton paysage.

Je voudrais être cette maille, la première que ton ongle étirerait, que ton doigt entortillerait. Je serais un accroche-cœur de laine dans ton échancrure, tu devrais vite m’enrouler pour ne pas être détricotée.

  • 18.11.10

Inspiration

image S’écrire pour tout dire, quelle belle hérésie ! s’écrie-t-il quand soudain il comprit qu’elle s’était enfuie. Sur son pupitre, deux pages volées, un encrier empli de chimères liquides, ses coudes en contrepoids d’une tête prise par le vertige. Ah la belle ingénue ! Il lui a fait confiance, il l’a cru lorsqu’il s’attela à la tache, certain de tenir la bride de son histoire échevelée, persuadé d’avoir la trame de loin écrire et emballé qu’il fut par ses courbettes vertueuses.

Quelques lignes et remaniements évaporés, boules de papier froissé dans la corbeille, maintenant, il décrie, l’œil contrit, devant une série de pages d’un incorrigible blanc. Blanc et ses pensées noires du dedans, enfermées dans son corps, interdites de mots à retoucher, de synonymes à troquer, de verbes à malaxer.

  • 15.11.10

Ouvrez !

image Me voilà allongé sur ce grand fauteuil blanc dans cette pièce aux murs blancs, devant cette femme à la blouse blanche, tout est blanc et je suis à sa merci. Situation de stress que je tente de contrôler, je décontracte mes doigts, croise mes mains sur mon ventre, déglutit encore une fois cette étonnante et subite sécrétion de salive. Je ne la regarde plus. Elle ajuste ses instruments posés sur une excroissance du fauteuil, une branche automate qui monte, descend. J’entends le cliquetis métallique des ciseaux, extracteurs, spatules et autres lames de bistouris. D’un coup de pédale, elle baisse mon assise, je sens le dossier se dérober sous mon échine, mes pieds se relever, je m’ajuste, tourne des cervicales pour trouver mon aise. Elle avance, pointe sur moi une lumière blafarde sortie d’une articulation haute du fauteuil, décidément machine tentaculaire et infernale. Elle règle, m’aveugle et finit par trouver ma bouche.

Ouvrez ! Mes lèvres sèches se décollent difficilement, j’entrouvre sur un filet de bave qui fait résistance. Encore ! Plus grand ! Mes mâchoires se desserrent, j’obtempère et mon corps se raidit. Détendez-vous ! Les joues paralysées, je suis en position de cri sourd. Ses mains sont désormais dans ma bouche, doigts de caoutchouc blanc qui tâtent mes canines et branlent mes molaires. Elle se met à parler pour faire diversion tandis que s’approche de ma langue une spatule à fils crantés. Elle me questionne sur mes enfants, mon travail. Je ne réponds pas, évidemment, la bouche écartelée, j’éructe des onomatopées ou me contente de hocher de la tête. Ne bougez pas ! Ma nuque se contracte et du fond de ma gorge, je m’entends fulminer et lui crier d’arrêter alors de me parler sans arrêt. Vous pouvez refermer.

Juste un répit de quelques secondes pour me rincer la bouche. Ouvrez ! Mon reste de canine cassée n’en a plus pour longtemps. J’entends bourdonner l’engin qui va la transformer en poussière d’émail. La fraise approche, passe entre mes incisives et retorse, prend ma pauvre dent branlante par derrière. Désormais en apnée, je sens la tête vrillette cisailler jusqu’à la gencive qu’elle frôle parfois provocant une moue électrique sur mon visage. Ma langue bataille pour dégager ma bouche envahie de fins copeaux blancs. Cette torture semble durer des heures. Un temps infini où les vibrations parcourent mon corps de haut en bas.

L’outil pilon s’arrête enfin et sort de ma bouche en friche. Vous pouvez refermer. Un pansement en attendant la couronne, acte qui, après cette désintégration en règle, se passe en douceur. A la semaine prochaine !

  • 12.11.10

Absence

image J’arrive et on m’attend, souvent. Dialogues nourris, joyeusetés, entraînante conversation amicale que l’on espère de moi. Et je ne suis pas là, du moins pas à l’endroit où l’on me souhaite. On me patiente, me soupire, me veut au mieux de moi et je l’ignore ou feins de ne pas le percevoir. Corps réellement présent mais idées et pensées diffuses dans un lointain, je survole, me noie dans l’anonymat des relations, perce une nuit dans le jour qu’on m’expose. Détaché, distant et froid, je m’éparpille autour, entend sans trop écouter, écourte l’interaction quand elle se fait trop proche.

Et là, secret et taciturne, je me retrouve trop peu de mots en bouche, insipide compagnie qu’on subjugue. Aucune mauvaise volonté, ni autre dédain ne me côtoie. Bordé de personnes que j’aime, je suis pourtant ailleurs, incapable de maintenir la répartie exigée, je me dérobe sans reproche pour personne et me drape d’un silence incompris. Une absence douce pour moi, être entouré sans déployer la parole inutile, celle qui n’apportera rien de nouveau mais qui, au contraire, pourrait être tentatrice d’en dire trop. Une absence rebelle pour l’autre, le « on » qui me contient, les interlocuteurs surpris de cette langueur étrange déroulent alors paranoïa à leur encontre. Perdus dans mon aphasie inaccessible, ils se sentent coupables d’une rupture morale. Et pourtant, le lien demeure malgré l’absence, je suis simplement entre d’eux.

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  • 10.11.10

Gauloise

image Elle est effluve ancré dans ma mémoire, souffle sur ma joue. Enroulée à un air sec, elle est parfum mêlé de ses terres, âpre, rueuse en bouche, marque de l’autorité qui peut battre, de la voix éraillée que j’écoute, toujours. Elle est prolongement de sa nature, appendice clouée à sa bouche, contenance entre ses doigts jaunes et craquelés, sa main posée sur mon épaule. Elle est combustion, feu sacré à la commissure des lèvres, masque de ses fêlures comme le petit jaune qui coule dans son gosier, balancée sur le zinc, une tape dans mon dos. Elle est repère dans l’assemblée, virilité inculquée, phare rouge de mon errance, l’allumette qui craque dans la cuisine, la lueur dans ses yeux. Elle est fierté, appartenance au groupe, couleur d’un pays rural aussi dur que le casque aux ailes sur le paquet, liberté toujours, la pièce de cinq francs qui roule sur le comptoir. Elle est bleue, sans filtre, volutes du souvenir, brune comme sa peau tannée au soleil, son visage lézardé qui me sourit. Elle est pensée continue, émanation de lui dans ma vie, il me laisse tirer une taffe en paix.

  • 8.11.10

J’écris avec l’ordi sur les genoux #VasesCommunicants

En mémoire : cette espèce de mirador qui se trouve en face de la salle du Sufco, université Paul Valéry, Montpellier. Je l’ai pris en photo il y a deux ou trois semaines. Pris quelques notes aussi, à la va-vite, sur un carnet rouge. Photo et notes à l’origine de ce texte.

Les lieux où j’aurais aimé lire/écrire.
  • Dans la buanderie de ma mère, une pièce qui prolongeait le couloir, étroite et sombre, parfaite pour la table à repasser. Je la convoitais. Je m’y voyais déjà, planquée, incrustée coquillage dans les livres roses, verts, rouge et or. Je me rappelle avoir supplié, fait des pieds et des mains. Mon désir était violent. Ma mère ne voulait pas céder son coin repassage. Entre nous, c’était la guerre. J’ai fini par renoncer. Je me souviens très bien du trouble de ma mère devant mon insistance. Et de son inadmissible et incompréhensible résistance.
  • Dans la cave de ma grand-mère, la tête sous les grands bocaux de prunes, de cerises à l’eau de vie. Avec cette odeur de moellon humide qui me faisait écarquiller les narines. Là aussi j’ai dû insister. Mais je ne m’en souviens pas. Mes parents ont fini par aménager une petite salle attenante avec bibliothèque et fauteuil. Jamais vraiment investie. Trop confortable. Trop faite pour lire/écrire.
  • Dans un film de Bergman et plus précisément dans un bateau échoué dans un film de Bergman dont je ne me souviens pas le titre. Dans la prison, aussi, avec Roberto Begnini mais là je me souviens très bien du titre : Down by Law.
  • Quelque part dans un bâtiment immense et inachevé, posé en promontoire au-dessus de la minuscule baie de Cerbère. Sa forme évoquait un paquebot, il serait arrivé par les terres, il serait encore gris de fatigue.
  • Dans une datcha perdue au milieu de la campagne Russe, enfin l’idée que je m’en fais. C'est-à-dire dans les profondeurs de n’importe quel livre de Dostoïevski.
  • A l’intérieur d’un de ces minuscules coquillages gris qui peuplent jusqu’à la plus petite anfractuosité sur les parois des blocs, brise-lames, Sète.
  • Au creux des plis d’une sculpture de Stéphane Gantelet.
  • Au milieu d’une équipe de nuit – dans ce pli-là, lui-même enfoui dans un pli du Désordre – mais uniquement si Philippe de Jonckeere en fait partie.
  • Dans la partie commune située juste au-dessus de la banquette où souvent je m’installe avec mon ordi. Une pièce tout en longueur. Au bout : trois fenêtres et tu es cerné par le paysage portuaire, la mer et le Mont Saint-Clair. Mon jeune fils s’y installe parfois pour monter et peindre ses Warhammer.
  • Dans cette verrue posée sur le toit d’un bâtiment de la fac. C’est pourtant pas la guerre.
A chaque fois, un maquis.
Ce billet a été rédigé par Juliette Mézenc que vous pouvez lire sur son blog éponyme mais aussi sur publie.net. Je reçois son texte aujourd’hui dans le cadre des vases communicants et elle reçoit le mien ici, billet écrit à partir d’un de ses ateliers d’écriture qu’elle propose depuis quelques semaines à la librairie “l’échappée belle” à Sète.

Et voici la liste des autres participants à ces vases communicants de novembre (encore un grand merci à Brigitte Célérier pour la recension) :

  • 5.11.10

Le roman d’Arnaud (extrait)

image Voici par où tout a commencé...

« Constamment, Arnaud pense à vous. À tout moment, vous êtes dans ses pensées et ses rêves. Mais est-ce vraiment une bonne chose ? »

D'une existence vide, exsangue de tout sens, est-il possible de renaître, différent ? Je ne cesse de m’interroger. Suis-je le seul à ne pas voir mon reflet ? Est-ce seulement possible ? Ne me demandez pas pourquoi et encore moins comment une telle hérésie a pu se produire : je ne connais pas la réponse. D’ailleurs, comment pourrais-je savoir ?

Se pourrait-il que ma propre image ait été confisquée par quelques forces obscures ? Mon berceau, que j’imagine bruyant, aurait-il été enveloppé d’un sort ? Quelles basses œuvres ou esprits torturés se sont attachés à créer cet être difforme nommé : Arnaud ?

Arnaud, c’est mon nom. Mais je vous préviens, ne vous fiez pas à sa douce sonorité. Son étymologie est bien plus évocatrice, bien que légèrement erronée en ce qui me concerne. Du terme germanique « arn », l’aigle, je ne vois vraiment pas où ce majestueux oiseau de proie se retrouve en moi. Car l’être est repoussant. Oh oui, il l’est ! Si Dieu existe, il a bien dû se marrer le jour où ma tendre mère a eu l’idée de me nommer ainsi.

Possible que cela soit lui qui m’empêche de me voir, de m’observer dans ce satané miroir. À moins que cela ne vienne de cet endroit, de cette maison et de ce grenier poussiéreux.

Ce grenier : un bric-à-brac que je hais autant que je l’aime. C’est une vieille dualité entre nous. Il est mon refuge, mon repère. Une prison aussi. Une cellule pour ma conscience, un cachot pour ma laideur. Et la vieille en est le bourreau. La vieille... Je l’exècre autant qu’elle me méprise. Dire que c’est ma grand-mère.

Comment un tel être a-t-il pu enfanter une chose aussi merveilleuse que ma mère ? L’hérédité est parfois sournoise. Ma grand-mère n’a toujours eu qu’un seul rêve : avoir un garçon. Qu’il soit beau ou intelligent n’entrait même pas dans ses critères. Elle était issue d’une vieille, très vieille famille aristocrate. N’étant pas mariée, ce qui n’avait pas manqué de créer la polémique, cette vieille fille sûrement engrossée à l’emporte-pièce n’avait qu’une idée en tête, transmettre son nom. À vrai dire, c’était bien la seule chose qui lui importait.

…/…

Extrait du prologue du Roman d’Arnaud que vous pouvez télécharger gratuitement sur epagine.fr au format pdf ou epub. Sortie du Tome 1 fin novembre chez numeriklivres.

  • 4.11.10