Les bains-douches

24.1.11

image Au bout de ma rue, attenants aux murs de l’hospice et face au quai qui avance sur la rivière, se trouvent les bains-douches. Du moins, ce qu’il en reste. Seul témoin d’un tel emploi, le panneau crème et marron au-dessus de la porte : une surface rectangulaire taillée dans la pierre avec des lettres écaillées, un B majuscule en arabesque et les suivantes alignées en minuscules aux pattes fuyantes. Depuis qu’ils sont désaffectés, les bains-douches accueillent une association qui tient sa permanence tous les vendredis. Le reste du temps, le lieu est désert et digère lentement son passé.

Un passé pas si lointain où hommes et femmes venaient ici assurer une hygiène élémentaire. Je n’ai jamais vu l’endroit en activité, mais souvent je posais mes fesses d’enfants sur le pas de la porte pour rêver, le soir, avant le dîner. Avec les histoires des grands que je glanais ici ou là, j’imaginais ce que ce lieu avait dû être. Les va-et-vient, la file d’attente devant la porte les jours d’affluence, ma mère m’avait dit que c’étaient surtout les samedi que les ouvriers des domaines agricoles venaient faire leur toilette, surtout des algériens mais aussi des polonais et des espagnols pendant la période des vendanges. Il fallait qu’ils patientent des heures parfois avant d’atteindre la dame à l’entrée chargée d’encaisser le prix de la douche.

Quelques pièces dans une boîte en fer en échange d’un bout de savon. Je devinais ces gens à l’intérieur, serviettes à la taille, obligés de partager leur intimité à des lavabos si proches, contraints à une promiscuité désagréable dans des douches étroites juste séparées par des cloisons ouvertes en bas et en haut. Puis se devait être la grande marée, l’eau qui coule en grands jets et ruisselle d’un bac à un autre. Les pieds qui pataugent, les mains hasardeuses dans la brume opaque qui lèche le grand et unique miroir tiré sur le mur principal. Les odeurs d’eau de Cologne et de savonnette bon marché mêlées à celles de javel que la dame lance à plein seaux sur le sol aux petits carreaux d’émail blanc. Des fragrances piquantes qui imprégnaient la rue à chaque sortie d’un ouvrier propre comme un sou neuf et les regards de commisération des passants sur les nouvelles têtes.

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