Saint Laurent

16.3.11

image Et toujours en images éclairs, souvenirs évanescents, la vision de la fête qui transforme le village. Quatre jours d’intensité dans la vie plane de l’été, quatre jours d’août durant lesquels on célèbre le saint patron du bourg : Saint Laurent. Personne ne se souvient de lui, ni de qui il est et pourquoi il est ainsi célébré. Peu importe, ce n’est pas de lui dont il s’agit mais de nous, les habitants. De notre partage déchaîné autour de bières et de pastis au rythme de l’orchestre du bal et de l’oubli du quotidien pour se fondre dans notre communauté.

La scène est installée sur la grande place près de la rivière. Sur les berges, dans un halo de poussière au crépuscule, les dernières parties de pétanque se terminent et quelques boulistes peu à l’œuvre regardent le grand barnum s’ériger. Grosses caisses, amplificateurs, sonorisation, table de mixage et éclairages grimpent sur l’estrade, les gros bras à la manœuvre en t-shirts noirs moulants seront plus tard dans la soirée les stars de la fête. L’endroit paraît immense, longue piste de bitume que forme désormais la place débarrassée de ses autos en stationnement. Autour, des barrières métalliques placées en cercle créent l’arène et dessinent les contours d’un autre lieu. Des draps noirs sont tendus de part et d’autre des estrades, fines clôtures de l’espace pour délimiter le public du privé, les fêtards des artistes. Pour finir, on bloque l’accès aux rues adjacentes, le grand bar érigé en demi-lune servira de limite à la nouvelle enceinte. Tout est prêt, les camions finissent de déverser les comportes remplies de pains de glace et d’eau dans lesquelles sont jetées des centaines de canettes aluminium.

Les premiers tests sonores des micros, l’accord des guitares électriques, un, deux, trois, plus que quelques réglages et l’orchestre commence à jouer à faible volume pour accompagner les premiers arrivants de l’apéritif. On joue des valses, des paso-dobles ou des madisons et de courageux danseurs grisonnants font quelques pas timides dans le vide de la piste. Prés du bar, en masse compacte, les gobelets en plastique se remplissent d’eau jaune, la rumeur des bavardages augmente au fil des minutes et des rasades ingurgitées. Le soleil disparaît complètement et l’ambiance monte. A l’extrémité du bar, on allume le barbecue géant, la fumée capricieuse fait marmonner les convives ; bientôt ils n’y prêteront plus attention, les crocs plantés dans de gros sandwichs américains. Crescendo, le volume de l’orchestre augmente, la musique change, les tubes du moment sont interprétés avec plus ou moins de justesse mais le tempo attire et emporte la foule désormais nombreuse. La nuit finit par persuader les plus timides, elle noie le monde de la fête dans la jouissance pure de l’instant.

Et les ombres s’étireront jusqu’au petit matin. Masse de gens qui se connaissent tous mais que le bal aura rendu anonymes, la musique et l’alcool les auront déroulés en silhouettes informes, saccadés de stroboscopes. Au dernier titre, la dernière ballade ou le tube transformé en hymne ramènera tout le monde à la réalité. Chacun retournera chez lui, titubant sur l’aube dans la petite chaleur de l’été et les relents anisés.

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