Qu’elle revienne la putain

3.7.11

Qu'elle revienne la putain Elle, lui, la rue, c’était tout ce qui comptait depuis qu’il était seul. Dix ans déjà qu’elle était partie sans rien dire, sans rien lui apprendre la Marie. Elle aurait pu quand même, il disait, elle aurait pu me laisser la notice, suis perdu moi ! Maison vide, toutes ces pièces sans elle, vous vous rendez compte. Deux, la cuisine, la chambre me suffisent, le reste, je lui laisse, elle n’a qu’à venir faire la poussière, cette conasse !

C’est dans la rue qu’il s’épanchait. Tous les matins, à la fraîche, il sortait avec sa chaise pliante en tissu et rayures multicolores. Il dépliait sa fatigue là sur le trottoir, alpaguant le passant avec ses jérémiades. Vous vous rendez compte, quand même. Et des pourquoi, et des comment je fais, à tour de bras, il regrettait la Marie, la salope, il disait, me laisser comme ça, sans raison, à la rue ! Il balançait son amertume à qui voulait bien l’écouter et sa bile sur les murs de rebondir et se répandre en logorrhée délirante dans tout le quartier. Il invoquait tous les dieux, le blasphème entre les dents et les yeux en révulsion permanente. Nom de dieu, je vous jure, ces femmes ! Et c’était reparti pour un tour, des valses d’insultes répétées, la tristesse balayait tout, le verbe s’emportait, l’emportait vers une haine factice, la répulsion de la mort, la rancune du vide. Son visage au fil des heures blêmissait de l’épuisement, de la colère vaine qu’il faisait monter de ses couches de rancœur. Il tournait autour, expulsait tant qu’il pouvait mais rien ne le calmait, il s’enfermait dans sa soif de vengeance, singer parfois la lutte, battant des poings un ectoplasme de sa femme sur l’autre trottoir.

Et le passant d’essayer de le calmer, d’acquiescer ou de se boucher les oreilles devant la vulgarité. Certaines bonnes gens entraient en compassion pour le vieil homme, marqué au sang de la solitude. D’autres arguaient la miséricorde : la pauvre Marie, ne parlez pas d’elle comme cela, lui disaient-ils. Elle vous entend, vous savez. Et lui de rétorquer, si elle m’entend, qu’elle vienne la putain, qu’elle revienne, c’était à moi de partir avant elle, la gorge nouée, et enfin quelques larmes perlées sous ses yeux.

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