La ceinture

La connerie qui vrille et c’en est trop. Tu dois agir. Tu menaces. Toujours tu menaces de sortir la ceinture de ton pantalon. Tu vas même jusqu’au geste, ta main sur la boucle jusqu’à défaire le premier cran. Tu me toises. Toi, l’autorité incontestée, il faut que tu assumes, que tu assures devant moi et surtout face à ta femme, regard bleu acier, qui t'implore de sévir. 

Après avoir haussé le ton et être entré dans la colère des pères, tu singes désormais la violence à venir, le châtiment ultime : la flagellation à grands coups de ceinture en cuir. 

Tu simules si mal que tes mots s’engluent dans des semonces de plus en plus molles. Tu le sais. Je le vois sur ton visage. Tu perds pied. La menace, si elle n’est pas très vite suivie de faits, perd toute sa force. Peu à peu, au son de tes mots effilés, la colère s’évanouit dans ton impuissance à desserrer la ceinture. Ta main vissée à la taille ne parvient pas à tirer le coup sec qu’il faudrait pour la déloger ; celui qui me ferait fuir sous la table ou courir dans la maison en animal traqué à la recherche de son terrier.

Tu menaces. Moi je sais. J’attends juste que ta scène trouve sa chute, que les portes claquent comme dans tout bon vaudeville, que tu fasses bonne figure face à ta femme implorant la correction. Et le final arrive comme prévu, sans surprise, dans un excès de rage qui ressemble plus à de la frustration qu’à un courroux. J’attends la punition, la translation de ta représentation. Et c’est toujours la même sentence, la même issue pour ne pas perdre la face. Tu remets nerveusement le cran de ta ceinture pantelante et d’un bras dressé salvateur, tu m’envoies paître dans ma chambre jusqu’au prochain repas. 

  • 24.11.13

Saudade

Dans la lumière crue d’un matin de rien, il vole un espoir à la nuit pour ne pas s’essayer au jour. Il panse une à une les escarres de la veille. Les yeux en persiennes, il ravaude ce que son sommeil n’a pas su réparer : petites fêlures aux méninges, grains de sables sous la dent, rognures d’ongles coincées sous la peau. Il raccommode à gros filets ses pensées avec les restes d’un rêve heureux. S’essuie le regard sur la brume épaisse de novembre et sort de son sommeil le peu d’allant que le rêve a su tendre.

Par la fenêtre, la vie en coupe franche. Les plumes de la nuit jonchent les trottoirs suants de rosée fraîche. Les matutinaux les battent du talon et dévissent leurs jambes sur la torpeur du matin. Une mouette écrase un sourire sur ce théâtre gris. Il glisse un doigt sur la vitre glacée, fait disparaître la buée puis souffle son haleine fétide pour la reconstituer. Le dehors s’évanouit puis renaît ainsi de sa main et de sa bouche Sous l’épais le gros jaune tente désespérément de poindre. Lui restera figé là toute la journée, il le sait. Il restera là. A chercher des alternatives plus solides à ce jour au goût de beurre rance.

  • 17.11.13

Brèves

Brouillamini.

Il avance comme un zombie. S’étonne de nous, les voyageurs. Un hips. Un brouillamini de mots. Et le voilà, titubant, reparti vers d’autres lieux à hanter. Le train. Le bruit. Effacent son passage. Tout le monde l’a remarqué. Déjà personne ne s’en souvient.

Potron-​​minet. 

Je trébuche. Tous les matins, je tré­buche. Placé là sur mon chemin, dès la des­cente du lit, un pied à terre (le gauche tou­jours) et je le vois. Devant moi, prêt à me sauter à la gorge. Je pourrais l’éviter, faire un détour, me levais plus tard ou ne pas me lever du tout. Mais non, il est là, je le vois et ne peux pas l’empêcher de me per­forer. L’angoissant et lumineux scalpel du jour.

Bourrasque intime. 

Il aura hésité. J’aurai hésité. Des yeux qui fuient j’aurai affrontés. Un groupe. Des gens. Il se sera avancé. Comme si. Et puis non. Il aura tourné son attention vers l’autre. Pas vu ma main tendue. Et dans le creux la boule qui cherche la conte­nance. Garder le contrôle. Pour­suivre le geste dans un ample mou­vement. Visage rosi, plonger la main apeurée et faire mine de se recoiffer. Un vent.

Diarrhée verbale. 

Il ne s’en aperçoit pas. C’est ce qu’on se dit dans ces cas-​​là. Ce n’est pas pos­sible. Il ne le voit pas. Ça rassure, ça excuse. Ça le dédouane des mots blancs de sens. Puis c’est le drame. Le mot débraillé qui glisse. La phrase qui n’aboutit pas. Et ban ! La connerie brute. Et de la conver­sation ordi­naire ruis­selle en diarrhée la médiocrité crasse. Gratuite.

Grand vide. 

Elle arrive et elle s’entoure de ses manières. Des manières maintes fois répétées. Des petites manies qui tapent sur les nerfs. Elle glousse face écran, picore des textos, rabâche l’air du dernier morceau pêché sur youtube, pose ses pieds n’importe où, scie le silence par d’agaçants cris juvé­niles. Puis repart pour laisser place à l’harmonie. Et à un grand vide aussi.

Brèves initialement publiées chez Franck Thomas lors des vases communicants d'octobre 2013.
  • 4.11.13