Dents du bonheur

12.5.15

Tu es étendue nue sur le lit, les bras en croix, les yeux clos. Une légère respiration soulève ta poitrine tandis que je te regarde. Tu es belle à en crever. Je sais que tu me voies. Tu sais que je te regarde. Tu ne dors pas, tu m’épies. Tu fais mine de. Tu minaudes sans bouger. Je le vois à ton sourire pincé qui laisse entrevoir ton diastème. Je vois ta langue qui joue dans le creux, entre tes deux incisives. Elle se glisse à la commissure des lèvres. Je n’en vois que le bout, rouge et humide.

Plus je te regarde et plus tu me souris. Tu as les paupières basses comme si tes yeux étaient fermés mais tu vois à travers. Je pense à l’enfant. La petite fille qui fait semblant de dormir mais qui veille tard le soir, les yeux en persiennes, dans l’attente d’un sommeil qui ne vient pas. Dans le vide entre tes dents c’est l’enfant qui joue. Ta langue c’est l’enfant, la joie du jeu pour le jeu. Tu ne dis rien mais ton sourire me parle - viens, on joue à se désirer. 

Le jeu des dents, le jeu des grands enfants. Tu ne desserres pas la mâchoire. Tu la gardes tendue vers moi, la tête rehaussée par l’oreiller. Tu es fière, et de ton corps, et de l’effet qu’il provoque chez moi. Ta langue va et vient entre tes dents. Elle est un serpent qui veut me marabouter. Un reptile à sonnettes et tambours, un crotale aux dents du bonheur. Tu deviens à la fois docile et vénéneuse. Ta langue veut piquer au vif de l’émotion, au creux de nous. 

Je laisse le temps s’écouler. Le sourire devient carnassier. Je vois toutes tes dents s’aligner dans l’écrin de ta bouche. Le diastème fait loi, central sur ton visage. Il est point de convergence. Le jour fuit d’entre les volets et vient taper ta joue, ton épaule, ton bras puis ta jambe, laissant la moitié de ton corps dans la pénombre. L’autre jambe, une partie de ton sexe, un seul sein et une moitié de ton visage luisent dans la lumière confuse du matin. Le reste est noir de la nuit. Tu es coupée en deux avec pour jonction le creux joli entre tes dents et une demie-langue qui siffle le chaud.

Tu te redresses, t’étires et me verses sur la joue un baiser mouillé du bout de ton dard. J’ouvre en grand les volets. Tu as disparu.


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