Tirer le fil des visages #after #TFV #LesVisages

18.8.15

J’appuie sur la pédale, tire sur le fil du voyage. Je voudrais voir la mer, elle me manque. Mais cette sensation passe dès que Fafnerito s’emballe sur la bretelle. Une autoroute. Rien ne ressemble plus à une autoroute qu’une autre autoroute. Et pourtant, à chaque accélération dans la ligne courbe et étroite qui ressemble à une rampe de lancement de fusée, de celle qu’on peut trouver dans un parc d’attractions, j’ai la sensation de pénétrer dans un autre territoire. Impression de changer de vie pour une autre. Au bout de la rampe, le visage aura disparu, du moins ses traits, son appréhension physique ne sera plus et pourtant tout au dedans, tout autour, il restera avec moi sur le siège passager. J’emporte avec moi à chaque visite un visage de plus que je pose près de moi. Un copilote qui va m’accompagner jusqu’au prochain visage. Entre la voix du GPS et moi, bientôt plusieurs visages vont s’interposer, former un trombinoscope évanescent, un carrousel que je pourrai faire défiler de la main comme s’il s’affichait sur l’écran d’une tablette. 

J’actionne le clignotant, élance Fafnerito à 110 puis 130 km/h, bloque le limiteur de vitesse et lâche mon pied de l’accélérateur. Je roule et le besoin de m’arrêter se fait sentir dès les premiers kilomètres. Mes pensées se collent au pare-brise. Le pare-brise est ma tablette. C’est là que s’affiche le carrousel des visages et des souvenirs frais s'assemblent sur cet écran transparent. Autour de chaque visage, un monde de littérature, une vie, un mari, une femme, des enfants, un lieu, une maison, une cuisine, un salon, une chambre à coucher, des draps, une salle de bains, une ou plusieurs brosses à dents… Je tire le fil de la route et sur l’écran mon voyage s’emmêle aux visages. J’ai beaucoup pris et je laisse beaucoup. J’ai besoin de l’écrire.

Je ne peux rouler plus longtemps ainsi avec des visages et des vies qui se déroulent devant mes yeux, me laissant que trop peu de vue pour la route. La bande d’arrêt d’urgence est trop fine pour m’accueillir. L’arrière des voitures que je suis trop flou pour maintenir mon attention. L’envie de m’arrêter est trop pressante et dès la première aire de repos, je vais souffler les visages, les consigner par l’écriture. Dire, redire, raconter, poser le futile comme l’oppressant. 

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