Des oublis désirés

Tu as laissé un espace entre le temps et l’oubli. Un interstice où s’achoppent les sentiments et la peur. Aussi légère qu’un moineau, tu as posé un récit dans le coin de ma peau. Sur la grève, laissé un récif porter ton nom. Depuis, une trace de ta patte s’amuse avec les vagues et ma joue. Au grand vent et contre toute marée, tu as baissé mon col, sucé quelque veine, donné un coup de bec à mes lèvres pour allaiter le désir. Sur le miroir aux alouettes, tu as glissé un espoir comme on sème des cailloux pour retrouver le carmin. Une écharpe de laine grise, une barrette à cheveux, deux boules Quies dans une petite boîte carrée. Des oublis désirés. Puis tu as volé vers le silence.
  • 27.2.16

Les mots qui jaillissent

Tu ne transiges pas. Tu es là plantée dans tes bottes, à guetter l’instant, à fureter l’espoir. Tu bois pour te donner le courage, une clairvoyance en paradoxe. L’alcool défait les couloirs de brume aussi bien qu’il exsude des pensées confuses. Tu isoles les parasites qui font retourner l’esprit sur lui-même. La tête vacille, l’acuité redouble. Chaque mot est pesé, chaque parole enregistrée. C’est du mensonge dont tu as peur. Tu scrutes, empiles, dissèques, mémorises les mots qui jaillissent. Ma parole est fuite, faite pour aimer et s’envoler mais le mot pour le mot t’échappe. Tu construis quelque château en Espagne. Tu évoques des anecdotes et un bruissement de fougères éveille un cataclysme. Tu t’ouvres et chantes sur les frondaisons - belle, la fossette en cœur. Et moi, en mélopées sur un gazon désiré, je rêve de ta tête de panda repu.
  • 24.2.16

S06 #BioDuJour – Bernadette, Gabin, Aimée, Damien, Isabelle, Lazare et Modeste

Semaine 06 #BioDuJour : Biographie rapide et fantasque du personnage qui se cache derrière le prénom fêté du jour. Les courts textes de six lignes postés quotidiennement sur les réseaux sociaux sont repris ici le mercredi et accompagnés d'une historiette rassemblant tous les personnages de la semaine.


1.       18/02 – On fête les Bernadette #BioDuJour

Bernadette n’est pas la soubrette de Bernard
Pas non plus une suffragette, mais un buvard
Bernadette boit du Chivas et du chagrin
Qu’elle vomit le soir pour garder le teint
Bernadette est experte en soulographie
Trente-huit ans de beuverie sans un baby

2.       19/02 – On fête les Gabin #BioDuJour

Gabin ne sort jamais de sa gueule de brume
Il erre la nuit avec un chapeau à plumes
Gabin est transformiste ; la nuit il mène
Le jour, il n’est qu’une bête humaine
Gabin a vingt ans et une bouche enflée
Qui passe en revue les plus beaux tatoués

3.       20/02 – On fête les Aimée #BioDuJour

Aimée est l’ex de Valentin de la semaine cinq
Faut suivre sinon tu comprendras rien
Aimée l’a plaqué un dimanche matin
Jour de sa fête – c’est une sale catin
Aimée a quatre-vingt balais et des poussiers
De romarin dans le souterrain de sa pensée

4.       21/02 – On fête les Damien #BioDuJour

Damien n’est aise que dans les coins
Tête front entre les murs, il est bien
Damien n’aime pas les sans arêtes
Il vire et tourne sans fin – c’est bête
Damien grandit trop vite dans ce siècle
Seize ans à subir la quadrature du cercle

5.       22/02 – On fête les Isabelle #BioDuJour

Isabelle a vu passer du monde depuis
Qu’elle vit dans ce cloaque à sucer du bruit
Isabelle tient une maison close
Clandestine mutine – chacun ose
Isabelle n’a plus d’âge à présenter
Les années ont filé dans des regrets

6.       23/02 – On fête les Lazare #BioDuJour

Lazare a brulé des cierges toute sa vie
Qu’il compte au milieu du vide des pâquis
Lazare vit à Genève dans une sacristie
Les épaules nues à huer le saint esprit
Lazare a trente-six ans et une folie
Douce qui file de mélancolie en mépris

7.       24/02 – On fête les Modeste #BioDuJour

Modeste s’en est pris à Parfait
S’en est suivi un conflit d’intérêt
Modeste s’est retiré dans un abri
Dérobé dans la forêt des mélancolies
Modeste n’en veut pas à Parfait
D’arrogance et méfaits il est exaucé



Bernadette titube, titube de moi. Part dans un sens, puis dans un autre. Six heures, un matin de noirceur à la fenêtre, elle cuve son vin après une fête de la Saint-Valentin passée seule à se saouler. Elle sort sur le balcon et s'affale sur la rampe, la moitié du corps dans le vide à essayer de vomir ce que je ne lui donne plus.

Je suis Lazare. J’ai trente-six ans et j’ai quitté Bernadette au début du mois de février. Quitté pour la chandeleur, quelle dérision ! Je l’ai retournée comme une crêpe lorsque je lui ai annoncé que je partais. Je me suis installé à Genève dans un couvent, un endroit posé au milieu de rien, dans le vide des pâquis suisses. Ici, je vis reclus dans ma cellule, la plupart du temps, torse nu. Je me recueille, m’inflige une ascèse dure et soutenue. Le matin, au réveil, je pense encore un peu à Bernadette et à son haleine marbrée d’alcool ; alors, je prends un sarment et me fouette le dos.
Mon frère, Modeste, m’a soutenu quand j’ai décidé de quitter Bernadette. Voilà plusieurs années que lui a franchi le pas, qu'il a coupé tout lien avec le monde en se retirant dans une forêt perdue où il tance sa mélancolie. J’ai réussi à le contacter grâce à une vieille dame que j’ai rencontrée à l’abbaye. Aimée a bien connu mon frère. Quand nos visages se sont avoués, elle a cru que j’étais Modeste alors que je lui étais parfaitement inconnu. Je lui ressemble, paraît-il. Elle m’a guidé jusqu’à lui, les yeux bandés, pour ne pas que je reconnaisse les lieux. Je n’ai même pas vu son visage. Simplement entendu sa voix chaude et apaisée qui m’a guidée jusqu’ici, dans cette cellule où j'oublie. Mère Aimée est la doyenne du couvent. Elle aussi, il y a de nombreuses années, a quitté son mari pour venir se recueillir ici. Ensemble, nous parlons avec peu de mots et beaucoup de silence autour. Nous nous comprenons. Nous échangeons sur mon frère et ma femme, ressassons de vieux souvenirs et déplorons nos deuils. Nous parlons de l’isolement, de la peur qui nous ceint et de la folie qui nous tient.

Bernadette se redresse péniblement en s’appuyant sur la rampe, s’essuie la bouche du revers de la main puis ferme la fenêtre et sèche les larmes qui ont raviné ses joues. Elle se rince le visage dans l’évier de la cuisine et saisit une nouvelle bouteille de whisky dans le placard du haut. Elle se sert un verre bien tassé qu’elle boit cul-sec. Un verre qui va lui donner la force d’appeler son frère Gabin, qui, à cette heure-ci, doit rentrer de sa nuit.
Gabin est transformiste dans un club de province, un bordel maquillé en cabaret. Depuis que je suis parti, Gabin est le dernier lien social qu’il reste à Bernadette. Je suis rassuré qu’il soit auprès d’elle. Je l’aime encore, je le sens, mais je ne pouvais plus la supporter, elle et ses souleries, elle et ses pleurnicheries de pochtronne. Dix ans que ça durait, dix longues années où j’ai cru que le seigneur lui viendrait en aide. Des années de prières à solliciter la clémence du ciel, à sermonner Dieu de libérer Bernadette de ses démons. Rien n’y a fait. Aujourd’hui, je suis dans la maison de Dieu pour me punir – la maison d’un dieu auquel je ne crois plus. Je suis ici uniquement pour ne plus avoir à subir les reproches et les lamentations de Bernadette. Je ne veux plus entendre que les coups de sarment sur ma peau et la voix pure et délicate de mère Aimée.

Gabin voit apparaître le nom et la photo de Bernadette sur l’écran de son téléphone. Encore elle, se dit-il. Je suis fatigué. Que me veut-elle, encore ? Elle a bu, c’est certain. Je ne décroche pas. Il hésite. Puis, n’y tenant plus, il glisse son doigt sur l’écran.

_ Allo, Bernadette…
_ Hello mon Gabin, ça va ? (voix fripée, voix gorgée de glaire, voix saccadée)
_ Non, ça ne va pas… Mais je suppose que toi non plus ? (Voix lassée, voix enfumée)
_ … (silence de cendres)
_ Je ne suis pris la tête avec Isabelle, une fois de plus…

Isabelle est la patronne du bordel où Gabin se donne en spectacle toutes les nuits. Isabelle n’a pas d’âge. Elle est liftée jusqu'aux oreilles, la peau tendue comme la couenne d’un tambourin. Gabin ne connaît rien à la vie d’Isabelle. Il en essuie pourtant les dévers. Acariâtre et autoritaire, elle malmène Gabin, le traite de sale paumé et autres noms d’oiseaux et le paye chaque trente-six du mois. Elle lui en veut ne n’avoir rien fait.

_ Mon pauvre Gabin, raconte à ta sœur… Qu'y a t-il ?
_ Non, Bernadette, je n’ai pas envie d’en parler. Dis-moi plutôt pourquoi tu m’appelles ?
_ Lazare me manque…
_ Mets une croix dessus, ma chérie… Il ne reviendra plus.
_ Un croix dessus… Tu es drôle. Mais qu’est-ce qu’il est allé foutre en Suisse, dans ce couvent ? Franchement ? Pourquoi ?
_ Tourne la page, ce n’est qu’un malade, il est mieux là-bas. Après tout ce qu’il t’a fait, après tout ce qu’il a dit sur toi, je t’assure : maintenant, il te faut lâcher… Je viendrai te voir avant le boulot, ce soir. On en reparle. Là, je dois dormir.

Je suis rassuré. Gabin veille sur Bernadette. Je suis rassuré même si je ne comprends toujours pas ce qui nous est arrivé. Nous avions tout pour être heureux. Tout. Jusqu’à ce jour. Ce jour où tout a basculé. Ce jour où soudain Bernadette a fait comme si nous n’avions jamais eu d’enfant. Ce jour où, prise de folie, elle a décidé que nous n’avions pas eu de fils. Ce jour où, droit dans les yeux, elle m’a dit, déjà un verre à la main, qu’elle n’avait pas été enceinte. Que nous n’avions pas eu Damien. Que Damien était une invention. Que jamais elle ne s’était levée la nuit pour lui donner le sein. Que jamais il n’avait été à l’école. Que jamais il n’avait grandi. Que jamais dans la chambre près de la nôtre n’avait habité un adolescent boutonneux constamment en train de jouer à je-ne-sais quel jeu sur console. Que jamais Damien n’avait pris trop de médicaments, ce soir-là, où je m’étais fâché pour une raison obscure, une raison pour laquelle un père a le devoir de se fâcher ! Que jamais cette date n’avait existé. Que jamais Damien n’avait existé. Que jamais il ne s’était suicidé.

Gabin - 19/02

  • 24.2.16

Matin bas

Un cri dans le matin au visage blême comme s’il était soulé et flapi de la nuit. Un cri de goéland tel un appel au ciel à sortir le jour de la torpeur. C’est un potron-minet à terre et ciel boudeurs. L’air de ne pas y toucher et l’oiseau saisit le vol, soulève les toits pour réveiller les paresseux, maraude puis rebondit sur une flaque de brume, franchit la première ligne de toits, pique sur la plage et remonte dans le ciel enfumé. Du haut de son trône à pattes, le grand frère toise et met des vents. A la croisée, les cris racontent la mer, la houle et la douleur – ou bien est-ce la tristesse des nuages qui les prend et les jette au jour pour espérer en sortir.
Quoi qu’ils braillent, la brume gagne. Ils disparaissent sous la ligne d’horizon, descendent à la mer rase et montent et planent pareils à des suspensions végétales sur un fil invisible, un trait parallèle à la tension des ombres. Ils flânent le bec prêt à happer la lumière et se perchent sur d’autres lampadaires où le cri en dispute continuera leur monde. Il en sera ainsi toute la journée à traverser la mer par le large, à lui tailler des bavettes d’écume en espérant la nuit et ses toits en terrasses où, cachés sous les faîtes, ils se taperont les rires des mouettes qui jouissent.

Matin Palavas 21/02

  • 22.2.16

Nuit de Juillet #LaPiscine

D’un champ d’herbes hautes d’où une piscine sort sa parole – clapotis de l’eau, vent léger en métronome – une femme et deux hommes fixent la surface qu’aucun cillement ne vient perturber. La lumière du bassin éclaire les visages, passe l’eau en reflet sur les joues. Une étincelle de lune dressée sur deux cyprès vient serrer les mains, se mélange aux lampes noyées qui oscillent du vert au mauve, du jaune au rouge. 
La douceur de l’air déverse une odeur d’herbes chaudes, brûlées du soleil d’été. Derrière eux, un abri en bois craque sous un toit noir et ronronne en paix sous la mécanique du moteur qui épure le bassin.
Mécanique du cœur, ils ventilent les idées sur la margelle, soudoient le temps qui disparaît, s'embobinent aux colonnes qui entourent la piscine. La nuit est noire mais dans une clarté venue des eaux, les esprits sans mots conversent. Un mot puis un autre, une image puis une autre. Du graphique des arêtes et de la ligne de flottaison se tend le trait de leur rencontre. Du littéraire convoqué par la majesté des cyprès les soulève soudain de terre. Perchés dans un tableau de Monnet, perdus dans un poème de Rimbaud, ils imaginent passer en revue leur envie d’été, passer en revue le beauté du lieu, passer en revue la parole contemporaine, passer en revue la poésie, ses auteurs et ses artistes, la littérature et les arts qu’ils aiment.
C’était une nuit de juillet, une femme et deux hommes ont imaginé rassembler et créer. Aujourd’hui, au sortir de l'hiver, sous la patte douce et talentueuse d’un troisième homme, la revue La Piscine naît. 

Les trois hommes : Philippe Castelneau, Christophe Sanchez, Alain Mouton
La femme : Louise Imagine
La revue : revuelapiscine.com


  • 20.2.16

Loin par-dessus l'horizon

Il est des voyages comme des espoirs qui affolent, font battre le sang dans les veines et deviennent en retour des flèches pointées dans les nerfs. Ce sont des traversées immobiles, de celles qu’on dit qu’elles partent avec la tête ; déshérence psychique qui emporte le corps loin par-dessus l’horizon. On en revient sans en sortir, harnachés aux lianes putrides d’un rêve déguenillé. Les dendrites s’allongent dans une forêt de mots qui se disputent la place des désespérés, des plus doux aux plus ardents, des plus veules aux plus excités. Les valvules en redemandent, invoquent la passion comme un Christ dégagé de sa croix. Mais comme la raison est une putain qui gagne toujours à la fin, elle efface toute licence poétique et laisse mourir quelque allégorie magique d’un amour au-dessus de toute souffrance. En dix mots comme en cent, ça vous laisse sur le carreau sans jamais vous toucher le fond.

  • 18.2.16

S05 #BioDuJour – Héloïse, Félix, Béatrice, Valentin, Claude, Julienne et Alexis

Semaine 05 #BioDuJour : Biographie rapide et fantasque du personnage qui se cache derrière le prénom fêté du jour. Les courts textes de six lignes postés quotidiennement sur les réseaux sociaux sont repris ici le mercredi et accompagnés d'une historiette rassemblant tous les personnages de la semaine.


1.       11/02 – On fête les Héloïse #BioDuJour

Héloïse ne sait pas qu’on la fête aujourd’hui
C’est l’autre dame un peu lourde qui luit
Héloïse a deux ans et des parents fauchés
Qui sont heureux mais dans la mouise
Héloïse a un bec de lièvre et une mouche
Sur la joue qui tait les bruits de bouche

2.       12/02 – On fête les Félix #BioDuJour

Félix a quinze ans et un faim de loup
Mais des filles il n’y connaît walou
Félix rêve de galbes et au matin vit
S’essuie la main des pertes de nuit
Félix a des boutons et un minois joli
Quand il sera plus grand et défleuri

3.       13/02 – On fête les Béatrice #BioDuJour

Béatrice a dix-huit ans et un rire enjôleur
Elle balade les neuneus en chaleur
Béatrice n’est pas une fille facile
Elle ne juge pas qu’à l’érectile
Béatrice croit tout savoir de la nuit
A une peluche, confie ses amours démis

4.       14/02 – On fête les Valentin #BioDuJour

Valentin évite de sortir le quatorze
De février, jour de déplaisir où il dort
Valentin a soixante-dix ans et autant
De défaites d’amour à mettre dedans
Valentin sent le romarin la farigoulette
Les herbes hautes et la tête, ô oubliettes

5.       15/02 – On fête les Claude #BioDuJour

Claude est un vieux beau aux cheveux gris
Il cache sous sa kippa une jolie calvitie
Claude recolle des lambeaux de vie
en s’habillant jeune et dernier cri
Claude roule en cabrio et des mécaniques
Ce n’est pas pour autant qu’il nique

6.       16/02 – On fête les Julienne #BioDuJour

Julienne pleure des misères en salades
Toujours un maux de travers qui s’ballade
Julienne entre dans son trentième été
Et sous les ordres avant la fin de l’année
Julienne est sœur mais n’a aucun frère
Ni père pour vider sa rancoeur en prières

7.       17/02 – On fête les Alexis #BioDuJour

Alexis vit sous un toit où il lit
Matin soir et aussi à midi
Alexis sombre dans les livres et la peur
Oublie que dehors la peau affleure
Alexis n’a pas notion de vie ni d’heures
Il enfile reclus les légendes en leurre




Héloïse est arrivé un beau jour de juillet dans une famille fauchée. Ses parents, Alexis et Julienne, d’angoisse étranglés par sa bouche déformée, ont tenu à la garder. Dès la seconde échographie, ils ont su pour le bec de lièvre qu’Héloïse portait comme une balafre sur l’écran scintillant et ont très vite compris qu’ils étaient à l’orée d’une vie à couteau tiré.

Héloïse est née. Deux ans que ça dure et à cette allure, ils vont terminer leur vie de soulerie en biture. Sans surprise, c’est Alexis qui, le premier, a lâché prise. Il s’est enfermé dans une chambre, sous les toits de la maisonnée. A bu et boit, et boira pour oublier. Dans cette mansarde, engoncé dans son lit, il tire la lie du bec et lit. Lit, lit et relit des livres d’héroïc fantasy, des histoires légendaires de femmes-monstres à grande bouche pulpeuse combattant de preux chevaliers aux lèvres ourlées.
Félix, quinze ans, le neveu de Julienne, se moque d’eux et surtout d’Héloïse et de son bec. Il vient à la maison et pousse des cris stupides de canard en rut en tournant autour de la poussette de sa pauvre cousine. Julienne, maman éplorée, le chasse à grands coups de balai en le traitant de tous les noms d’animaux à bec. Une fois qu’elle a renvoyé le garnement dans ses pénates, elle culpabilise et se réfugie en prières. Julienne, la belle trentaine, est très pieuse mais ne croit plus à la vie, ainsi affublée d’un mari reclus et d’une fille aussi laide que débecquetante. D’ici la fin de l’année, c’est décidé, elle entrera dans les ordres. Sœur Julienne priera pour Alexis, pour Héloïse mais aussi pour Félix.

Claude, soixante-dix ans, est le père de Julienne. C’est un homme très affairé et versatile pour son âge. Il court après les demoiselles et, centré sur son nombril caché sous son gros ventre, ne se soucie guère de la vie de sa fille, pas plus que celle de sa petite fille. Il parade sur les quais de la ville en voiture décapotée, avec à ses côtés les plus belles filles du comté. Actuellement, c’est vers Béatrice qu’il a lancé son dévolu. Jeune princesse de dix-huit ans lassée des garçons de son âge qu’elle trouve débiles et carrément trop immatures, quoi (sic). Béa découvre la vie des oublis en compagnie de ce vieux beau chic et argenté, si argenté qu’elle brille de mille parures offertes comme un éclat de soleil sur le pare-brise de la Vanquish.

Julienne priera pour elle comme pour Claude, son vieux père perdu, dans son couvent de bénédictins qu’elle compte intégrer au mois de décembre prochain.
Elle suit actuellement une retraite et un jeûne à la grande cathédrale des Capucins. Père Valentin, vieil homme sénile, lui indique la voie du seigneur en laissant le droit à ses mains de s’égarer sur les parties charnues de Julienne. Elle ne s’en offusque point et même si la lubricité du prêtre lui rappelle des souvenirs douloureux, son chemin vers Dieu est tracé et rien ne la fera plus dévier.

Héloïse sera placée en institution spécialisée où les bruits de bouche se mélangent à la sonate des couverts lors de repas taiseux. Alexis se laissera pousser les oreilles et trouvera peut-être un rôle de Hobbit dans une série Z, un improbable remake du Seigneur des anneaux. Claude sera de plus en plus vieux, de moins en moins beau et Béatrice le quittera pour un acteur de cinéma au sourire enjôleur et au nez poudré. Félix se calmera et s’en voudra d’avoir ainsi maltraité sa petite cousine, ce sera trop tard. Il entretiendra sa névrose et assurera la richesse de plusieurs psys. Le père Valentin mourra dans une douleur atroce d’un priapisme sévère tandis que sœur Julienne courra plusieurs lièvres à la fois pour enfin trouver le chemin de la foi et s’y épanouir.


Béatrice 13/02

  • 17.2.16

T'amie

Le soleil tend ses bras
Par la fenêtre et vient
Fendre le voile en deux
Sur la table en formica
Rouge où des miettes
De pains sautent telles
Des puces à ton visage
Couperosé

Le schlass signe le pain
D’une croix d’athée
Griffe le bois méla-
Miné et ta paluche
Happe la large miche
Qui doute craque
Se fend et la mie colle
Tes yeux

L’ombre étire le temps
Loin du pain réparti
Loin des années salies
Loin du repas où t’amie
Coule un rêve éveillé
Rivée sur la miette nue
Au centre d’une flaque
Rouge mal équarrie
  • 12.2.16

Au matin de souffre

Au matin de souffre
Quand le soleil frise
Les toits de cuivre
Quand le jour hésite
De brise en grain
Tu descends à l’heur
Mouiller ton doigt
Murir l’humeur
A la force du vent

Au sentir du frimas
Tu iras pays en coeur
Souffrir les reins
A la vigne d’en-bas
Epandre la douleur
Qui soignera ton vin
Et ta fierté d’élever
En agapes Chasselas
Syrah ou Muscardin

Au matin d’Autan
Si la vague bleue
S’oppose au vent
Un voile au visage
Soufrera tes yeux
Levés au ciel mauvais
Tu seras le martyr
Implorant Dionysos
D’apaiser le chagrin
  • 10.2.16

S04 #BioDuJour – Véronique, Agathe, Gaston, Eugénie, Jacqueline, Apolline et Arnaud

Semaine 04 #BioDuJour : Biographie rapide et fantasque du personnage qui se cache derrière le prénom fêté du jour. Les courts textes de six lignes postés quotidiennement sur les réseaux sociaux sont repris ici le mercredi et accompagnés d'une historiette rassemblant tous les personnages de la semaine.


04/02 – On fête les Véronique #BioDuJour

Véronique est une quinqua qui aime les dames
Dans son lit toujours une demoiselle se pâme

Véronique aime les jeunes filles bronzées
Au visage émacié et un peu paumées

Véronique n’a cure des quolibets et jacasseries
Elle est heureuse, elle ne s’appelle plus Henri

05/02 – On fête les Agathe #BioDuJour

Agathe a seize ans et un amant
De vingt ans qui la prend pour une enfant

Agathe a le blues car c’est un amoureux
Qu’elle veut, pas une tête de noeud

Agathe fait le mur et sort jusqu’au matin
Ses parents ne savent rien de son chagrin

24. 06/02 – On fête les Gaston #BioDuJour

Gaston a huit ans et des frocs trop longs
Il marche dessus, tombe et a l’air couillon

Gaston s’habille d’idées larges et fières
Avec les haillons de son grand frère

Gaston se marre fort et sans raison
C’est crispant mais on l’excuse : il est mignon 

07/02 – On fête les Eugénie #BioDuJour

Eugénie a l’âge des fuites en avant
La ménopause et plus de continence

Eugénie a l’air réfléchi mais mauvaise haleine
Elle lave ses mouchoirs en tissu avec peine

Eugénie se mouche avec fracas et pleure
Ses années folles où elle tutoyait le bonheur

08/02 – On fête les Jacqueline #BioDuJour

Jacqueline est divorcée et isolée
Dans une maison où l’amour est déploré

Jacqueline démêle les mots croisés
de télé7jours en grattant des Dédé

Jacqueline est sourde comme sa peau
Plus caressée depuis des piges d’anxiété

09/02 – On fête les Apolline #BioDuJour

Apolline prend deux L et pas deux P
Combien de fois faudra vous le répéter

Apolline ne lit pas de poésie surréaliste
Ne saisit que goutte à ces élégies d’alcools

Apolline erre sur une île depuis dix ans
Sans pont ni mire à beau jeune homme

10/02 – On fête les Arnaud #BioDuJour

Arnaud a beau faire ce qu’il peut
Il n’arrive pas à ce qu’il veut

Arnaud n’a pas de grâce mais du charme
Sa coquille à l’œil lui fait une belle jambe

Arnaud a quarante ans et des brouettes
De casseroles qui lui gonflent la luette




Véronique, cinquante ans, traîne la nuit dans les bars. De longues nuits où elle cherche l’amour, enfin elle cherche surtout un bel et gentil homme, ce serait déjà pas mal. Qu’il l’aime, elle n'en demande pas autant. Qu'il l’accompagne jusqu’au matin, ce serait déjà bien.
Véronique a longtemps été Henri. Marié à Jacqueline pendant trente ans, il a partagé avec elle une vie d’apparences, une vie de gouttière où chacun jouait au chat sur le fil ténu d’un toit. Jacqueline vit seule désormais, recluse dans un meublé à ruminer ses errances, à se demander comment elle a pu épouser un homme qui est devenu une femme. Elle noircit des grilles de mots croisés ; ça occupe la tête. C’est ce qu’elle dit : ça m’occupe la tête. Quand sa voisine Eugénie frappe à la porte pour prendre des nouvelles, pour partager un cake aux yaourts – Eugénie fait de délicieux cakes aux yaourts. Gaston, son petit-fils en raffole – quand Eugénie veut simplement boire un thé et s’assurer que sa voisine est toujours vivante, Jackie répond, sans ouvrir la porte, que tout va bien, qu’elle fait ses mots croisés, qu’elle n’a envie de voir personne, aujourd’hui…
Aujourd’hui comme tous les jours. Alors, Eugénie baisse la tête, remballe son cake après avoir laissé une tranche sur le pas de la porte enveloppé dans du papier alu. Je t’en laisse une part sur le palier. Tu verras, il est encore meilleur que la dernière fois, j’ai ajouté un zeste de citron, c’est exquis. Un « Merci » traverse la cloison, un « De rien, ma belle » lui fait écho.

Véronique est assise sur un haut tabouret, dos au bar et sirote une Marie Brizard. Elle a mis sa robe fourreau, la noire, celle qui souffle un reflet bleu sur le tissu quand elle bouge. Elle est passée chez le coiffeur en fin d’après-midi pour raccourcir les pointes et faire une couleur. C’est Arnaud, la quarantaine hésitante, qui la coiffe ; un homme pas vraiment beau mais avec une coquille à l’œil qui lui donne du charme. Il y a son regard de travers puis tout le reste : une expression fermée par des maxillaires comprimés, des mains moites qu’il essuie sur ses jambes, une parole pauvre, des gestes mal assurés et un pli de nuit tenace sous la paupière gauche, tout cela trahit une tristesse latente qu’il a du mal à dissimuler. Il passe parfois au Wilk’s bar. Il y trouve Véronique, plantée au comptoir comme un réverbère. Tous les deux s’embrassent comme des vieux amis. Arnaud lui paie une Marie Brizard et prend un scotch avec de l’eau de Seltz. Il ne reste pas longtemps car il sait que Véronique est ici pour trouver un homme et, lui, il ne se sent pas vraiment homme.

Véronique mate toute la soirée des mâles aux couleurs sombres, ondule du bassin sur son siège, plie et déplie ses jambes, pousse une voix de crécelle quand elle parle au barman. Elle s’arrange pour se faire remarquer mais ce soir, ça ne fonctionne pas. Aucun regard, même des plus concupiscents, ne se pose sur elle.
Une heure trente. Elle fait la fermeture du Wilk’s, embrasse le patron en lui laissant un trace de rouge sur les joues. Véronique est sur le trottoir, allume une cigarette, tire sur sa robe pour effacer les fronces de nuit. Elle reste un instant sous l’enseigne du bar qui éclaire de vert son visage et sa moustache où quelques poils rebelles surgissent. Elle songe à Jacqueline en recrachant la fumée dans la nuit soûle, à son enfermement, à sa déception, à sa mélancolie qui perdure. Elle a peur qu’un jour, elle fasse une connerie. Des jeunes gens passent bruyamment dans une voiture, vitres offertes et musique à fond. Elle pense à ses enfants qu’elle ne voie plus. Agathe et Apolline, ces deux filles chéries, qui, un jour de mai, ont perdu leur père. Henri est mort, vive Véronique ! Ce jour-là fut le plus beau de sa vie. Enfin, c’est ce qu’il croyait.

Véronique 04/02




  • 10.2.16

Hier j'ai retourné la mer

Hier j’ai retourné la mer
Comme un gant un écrin
D’écume dans le grain
Une toison sous la main

Hier j’ai retrouvé la mer
Comme une peau de lapin
Le ventre déchiré du vent
D’Autan - je l’ai étreint

Hier j’ai ravaudé la mer
Comme un fou un âne bâté
Le corps agité des salins
D'un parfum - je l’ai aimée

Hier j’ai déformé la mer
J’ai vu des algues effacer
Un visage éploré noyé
Et un souvenir s’est vidé
  • 8.2.16

Vidanges

La pluie bat la vitre
Dans un ennui
De suie noire
Que le réverbère
Explose d’un regard
De travers

Le vent épèle
Des prières
A la manche
D’un jour gêné
Qui tend une obole
A la glèbe blanche

Le ciel absent
De goélands
Couvert d’ombres
Et de nuages lents
Fait son tour
Des vidanges

Le trottoir sue
D’une eau soûle
Le fond de vers
D’un alcool frelaté
Qui coule de l’aube
A la mer

  • 7.2.16

La vigne à atomiser

Lorsque la vigne, à force de pulsations à la terre, revêt sa toison verte, lorsque avant le bourgeon, elle s’habille de feuillages pour protéger son fruit à naître, le moment est venu d'occire les nuisibles. Mildiou, oïdium, virus de flétrissure de la fève, ou toutes autres attaques fongiques sont les ennemis du vigneron qui constate le délit dès les premières averses de printemps.

Bardé des traitements adaptés et par un matin sans vent, il prépare la riposte qui sera sans foi ni loi. D’abord, dans une comporte, le tâcheron fourbit son arme, mélange eau et bouillie bordelaise, surin de cuivre et de calcaire calciné, pour obtenir la potion bleue létale.

Les feuilles dévisagées par la maladie ont viré du vert au jaune cerclé de rouge sang. Les doryphores grignotent tandis que le mildiou soudoie le ceps pour inoculer son venin. Il pique aux nervures, s’infiltre dans les veines et les bouffe jusqu’à la rouille.

L’atomiseur, épandeur à moteur deux temps, est rempli de bouillie. Le bruit de l’engin casse le silence et se répand dans la colline comme une écho moderne et mécanique aux exactions sauvages. Tout le jour, le mercenaire atomise le feuillage. De rang en rang, il couvre les souches du bleu mortel dans un nuage de lait qui le suit comme un chien. La vapeur donne de l’asthme au soleil qui se voile et descend dans la plaine dans une brume de traîne. Sans sa chaleur, la vigne, baignée d’un azur chimique sent le sulfate et la chaux éteinte. Elle perd son odeur de serpillère, sa fragrance d’après les pluies. Elle perd l’innocence des fleurs à éclore, victime de la chimie gazeuse qui prend la gorge et étouffe le ceps dans son bleu.

C’est le premier traitement qui sera renouvelé. D’autres matinées à crever le silence pour décimer quelques microorganismes vivants, pour endiguer l’épidémie de maigres champignons. D’autres matinées à répandre un poison à retardement, à se tirer le tapis de feuilles sous les pieds. Encore plusieurs jours à sacrifier l’homme pour sauver le vin. 


  • 6.2.16

La peau a le souvenir

La peau a le souvenir
Des heures sombres
Où abandonnée
Elle pleurait au monde
Des manques
Brûlés

La peau a le souvenir
Des griffes du temps
Des caresses oubliées
Que l’histoire fardée
N’effacera
Jamais

La peau a le souvenir
Des rossées du matin
Des nues de mains
Que la tête dénie
Le soir à l’heure
Du chagrin

La peau a le souvenir
Des jours exilés
A ne rien faire
Que scander piper
Gâter bourrer
Son ego desquamé

  • 4.2.16

La vigne du pêcher

L’arbre est maigre, planté au milieu de la vigne, les racines engoncées sous un amas de pierres blanches. Il tangue au froid, il vire au vent. Noir d’écorce grenée de veines bleuies, comme calciné depuis des siècles, il étend de frêles branches courbées en bec. Le soleil frappe sa gangue par secousses violentes, lui offre un jus à vivre mais, à le voir ainsi penché sur la vigne, il est mort de corps. C’est un cadavre dans une lande de vigne où plus rien ne pousse qui puisse nourrir un homme. La nature mange la terre, la suce par le dedans.

L’hiver, le givre couvre l’arbre d’un drap de nuit. Durant des mois, il est en mort clinique, contraint dans une morgue où la sève suce un linceul. Le printemps le réveillera, lui inoculant une chaleur en intraveineuse, le laissant misérable arbre revenu des défunts, seul à tirer la force pour engendrer sa floraison. S’il pouvait bouger, il s’arracherait les racines plutôt que d’offrir ces rares olives de velours enfantées dans le supplice. Les pêches de vigne sont si malingres qu’elles ne tiennent pas aux branches, bousculées par la bise permanente, elle tombent sur les souches et s’éclatent sur la terre sèche. 

A la fin de l’été, l’homme viendra vendanger la vigne de son maigre fruit. Il s’arrêtera près du pêcher pour cueillir l’offrande gorgée d’amertume. Il y trouvera quelque sucre miraculeux, une peau ferme des vents, une chair fauve et un goût de glacis en bouche. Il partagera le fruit à l’Opinel comme un péché d’orgueil, en fera son caviar sur le désespoir d’une nature épuisé.

  • 4.2.16

S03 #BioDuJour – Thomas d'Aquin, Gildas, Martine, Marcelle, Ella, Théophane et Blaise

Semaine 03 #BioDuJour : Biographie rapide et fantasque du personnage qui se cache derrière le prénom fêté du jour. Les courts textes de six lignes postés quotidiennement sur les réseaux sociaux sont repris ici le mercredi et accompagnés d'une historiette rassemblant tous les personnages de la semaine.


28/01 – On fête les Thomas d’Aquin #BioDuJour

Thomas d’A. a six ans quand on le met au coin
Depuis il ne voit plus que le bout de son nez

TomTom d’A. a quatre sœurs et la misogynie innée
Il rêve d’en prendre une pour taper les autres

#ToToDa a vingt ans et la liberté capillaire
C’est avec sa tignasse qu’il pense plaire

29/01 – Gildas On fête les #BioDuJour

Gildas a trente-neuf ans et les pieds plats
Il a souvent le moral dans les chaussettes

Gildas porte des Mephisto™ depuis vingt ans
Il aimerait un jour s’acheter des Weston™

Gildas va chez le podologue et nulle part ailleurs
Sa vie est un panaris même quand il prend son pied

30/01 – On fête les Martine #BioDuJour

Martine a soixante-quatre ans et des souvenirs serrés
Une retraite de mots et des sentiments contrariés

Martine a un mari bien sous tous rapports
Qu’elle aimerait plus fréquents

Martine aime ses enfants et les tripoux
Et c’est tout, du vide dans un grand trou

31/01 – On fête les Marcelle #BioDuJour

Marcelle a vingt-neuf ans et de longs cils blonds
Elle est fermière en Lozère et tue le cochon

Marcelle trait les vaches et le mal en pis
Elle sourit un peu quand la neige fuit

Marcelle a la saillie facile et le nez troussé
Quand elle s’agace sur un mouton à peler

01/02 – On fête les Ella #BIoDuJour

Ella vise sa seconde année et les bibelots
Posées sur la table basse du salon

Ella est aimée plus que de raison
Par des parents qui ont tout lu Dolto

Ella peut mettre ses doigts dans le nez
Crier, insulter maman, c’est sa liberté

02/02 – On fête les Théophane #BioDuJour

Théophane est né mais ne sait plus quand
Il a un âge certain où on ne perd plus son temps

Théophane s’est marié avec une jolie pépée
Un jour il l’a perdue et jamais retrouvée

Théophane boit du thé le petit doigt levé
Sa goutte au gros orteil l’empêche de le plier

03/02 – On fête les Blaise #BioDuJour

Blaise se rend à l’évidence, il n’a plus vingt ans
Mais vingt-cinq et déjà se trouve vétéran

Blaise est un grand sportif intelligent
Un dieu du stade et un écrivain influent

Blaise dort nu sans drap sur son corps d’éphèbe
Il est adulé mais se rêve vieux et honni par la plèbe




Thomas d’Aquin somnole sous sa mèche, le cordon de son sweat à capuche à la bouche et des écouteurs vissés dans les oreilles. Il suce le bout du lacet en rêvassant qu’il étrangle sa sœur à l’aide de la sangle de son iPod.

Marcelle rentre de la traite de vaches, les bottes crottées de bouses fraîches. Le fumet pestilentiel emplit la cuisine, tournoie et se faufile sous les narines de Thomas qui sort brusquement de sa torpeur. D’un bond, il s’éjecte de sa chaise et attaque sa sœur à la gorge - genre Jet Li dans « Danny the dog » - les crocs en avant et la bave aux lèvres. Etonnant de voir comme ce garçon à la chevelure improbable passe en un éclair de la douceur d’une loutre se baignant dans un fjord en Norvège à une bestialité de Rockweiler en rut. La Marcelle, il faut l’avouer, n’est pas la plus propre, ni la plus belle, ni la plus intelligente. Mais ce n’est pas parce qu’elle pue et qu’elle est laide, qu’il la déteste. Ce n’est pas non plus parce qu’elle est fermière et que Tom doit se coltiner le tintamarre dès l’aube, les récoltes de foins, la traite des vaches et la mise en mort du cochon ;  non, c’est juste que Marcelle est conne. Voilà ce que pense Toto, Marcelle est une conne. Il dit « conasse », parfois, mais jamais en présence de Gildas, le petit ami de Marcelle, un vieux de dix ans son ainé qui a les pieds plats et des pompes semblables aux bouses des vaches de Marcelle.

Gildas parle peu et c’est tant mieux. Il est professeur de SVT au lycée professionnel de Mende. Il vient tous les week-end voir la Marcelle. C’est le genre patibulaire mais presque. Un gars strict, grand, sec, aux os saillants et aux cheveux en cire noire auquel tu n’as pas envie de chercher des noises. Alors, quand Gildas est là, TomDaq, il la met en veilleuse. Ce qui ne l’empêche pas de jouer au voyeur quand Gildas et Marcelle se tapent une « petite vite » dans le grenier à foin. Il a souvent envie de la tuer, la Marcelle, mais il doit bien se l’avouer : elle a un pétard de malade !

TotoDaq aime bien quand sa soeur voit Gildas. Il a l’impression que l’amour la rend moins conne. Elle est toute douce et roule des yeux pendant que Gildas lui caresse le ventre et parle de lui faire un enfant. Si c’est une fille, ils veulent l’appeler Ella comme l’association des handicapés parrainée par Zidane. Trop la classe ! Remarque avec les parents qu’elle aura, il vaut mieux qu’elle ait d’entrée un handicap pour se faire aimer.
La Marcelle, ça la met en émoi quand son Gildas lui cause de faire un bébé. Elle en bave sur sa robe à grosses fleurs jaunes et lui roule des galoches à ne plus en finir. Elle est si heureuse que, parfois, elle parle même à Martine, la voisine. Cette sexagénaire, un tantinet acariâtre, est à la retraite mais toujours à la tête d’un cheptel de vaches que la Marcelle jalouse. Des bestiaux élevés à la dure qui impressionnent tout le village. Alors, elle l’invite à manger les tripoux à la maison. A contre cœur mais, sait-on jamais, une femme qui a su élevé des bêtes aussi bravement, il faut se la mettre à la bonne. La ferme de Martine a été reprise par son neveu, Blaise, mais la patronne, c’est toujours elle. Faut dire que Blaise ne fait pas grand-chose dans l’exploitation. Il a mis de l’argent comme Gildas trempe son biscuit dans la Marcelle ; puis basta, il s’enferme toute la journée dans la chambre du haut et il écrit des livres en se regardant dans un miroir.

Le Blaise, c’est un beau garçon, comme elle dit, Marcelle, musclé et avenant, un gars de la ville qui a su allier talent et séduction. Gildas lui répond qu’il n’a rien dans la tête, que ces livres ne valent rien, qu’il a eu de la chance et puis c’est tout, que, de toute façon, on vit dans une société d’apparence et que c’est toujours les plus beaux qui prennent leur pied dans la vie. C’est vrai que, lui, avec ses panards qu’on dirait des barques, ses Méphisto et son regard chelou, enfin bref…

#ToToDac relâche la pression sur le cou de la Marcelle dont le visage a viré du rouge au jaune en passant par le vert. Il ne supporte plus d’être dérangé par le remugle de ses bottes pleines de merde et, un jour, il la tuera ; il se l’est promis.
Il se laisse tomber sur une chaise, les yeux révulsés et, haletant, bredouille un truc ressemblant à « quelle grosse conasse… » tandis que Marcelle récupérant son souffle avec un reste d’effroi dans les yeux, jette ses godillots sur le perron d’un geste brusque et hargneux.

Théophane, en promenade du soir, passe en cet instant et se prend les pieds dans les chaussures souillées balancées par Marcelle. Il pousse un cri d’animal qui alerte le pâté de maisons, un hurlement aussi strident que celui d’un verrat sur le billot. Théophane, c’est le doyen et le sage du village, tellement sage que personne ne sait l’âge qu’il a, tellement il est vieux, tellement il est hors d’âge. Il est bouffé par l’arthrite qui ronge ses os ; alors le moindre choc le fait choir comme une figue mûre. Le voilà parterre, tout rabougri, le nez collé à la bouse dans l’impossibilité de faire le moindre mouvement. Marcelle l’aide à se relever et, appuyé sur son épaule, elle le traine jusqu’à la cuisine.
Théophane reprend ses esprits (s’il en reste un peu) prés de poêle à bois que Gildas, tout juste arrivé de la ville, réapprovisionne de deux gros rondins. Marcelle s’applique à nettoyer son visage maculé d’excréments avec un gant de toilette humide. Gildas est gêné, Gildas a l’air toujours gêné et fait mine de chercher sa pipe dans son baise-en-ville. Blaise, alerté par le cri du vieux et la vocifération de Marcelle, sort furtivement la tête par la fenêtre et se ravise quand il s’aperçoit qu’il n’y a rien d’anormal dans la rue. Martine, depuis le pré d’en face, caresse une de ses vaches comme si c’était de la soie, elle n’a rien vu ni entendu, d’ailleurs elle s’en fout. Tom d’Aqui s’est apaisé et planqué sous sa capuche, il sourit enfin en convoquant la chute de Théophane comme une photo GIF. Un peu d’animation dans ce bled de conasses, songe-t-il en remettant ses écouteurs aux oreilles et le lacet de son sweat en bouche.


Ella - 01/02


  • 3.2.16

Lectures de janvier 2016 #SlowReading

Cinq romans, un recueil de nouvelles et huit recueils de poésie. Conclusion, je lis court. N'arrive plus à trouver des romans qui m'absorbent vraiment. Parler seul, Pas liev, la fête de l'insignifiance, la bonne part et le silence sont les exceptions du mois. Avec en haut du panier, le roman de Philippe Annocque - à lire absolument.
Partance de Pierre Anouilh est inégal. Certaines nouvelles donnent le tournis tellement son style fait dans la purée de vocables nobles. 
En poésie, remarquable recueil de Pierre Rosin illustré de ses propres peintures. Excellent Animots aussi de l'ami Jean-Jacques Marimbert. Grand sourire de bout en bout pour le petit recueil d'aphorismes de Pierre Autin-Grenier. Grande émotion sur les deux titres de Brigitte Giraud et respect absolu pour la poésie de Michel Butor.


DateTitreAuteurGenreEditeurVidéo
01/01/2016Parler seulAndres NeumanRomanBuchet Chastelhttps://youtu.be/-NVJV2-ihi8
02/01/2016Pas lievPhilippe AnnocqueRomanQuidam éditeurhttps://youtu.be/F_UaNJ4HCoA
03/01/2016A l'ombre du silencePedro CarmonaPoésieAuto-édité-
06/01/2016La nuit se sauve par la fenêtreBrigitte GiraudPoésiePleine page, N&Bhttps://youtu.be/ia-_sRdfJog
06/01/2016Des ortolans sinon rienBrigitte GiraudPoésiePleine page, N&Bhttps://youtu.be/ia-_sRdfJog
16/01/2016La bonne partSophie Renée BernardRomanEditions des vanneauxhttps://youtu.be/TG-RDxyoDhs
17/01/2016AnimotsJean-Jacques MarimbertPoésieCarnets du dessert de lune-
17/01/2016Le poète pisse encore dans son violonPierre Autin-GrenierPoésieCarnets du dessert de lune-
23/01/2016Jardin doux et AmerPierre RosinPoésieAuto-éditéhttps://youtu.be/lwsloRz8Jo4
23/01/2016RessacClaude DonnayPoésieEditions M.E.O.-
24/01/2016La fête de l’insignifianceMilan KunderaRomanFoliohttps://youtu.be/MzeuDyrpdMM
30/01/2016Le SilenceJean-Claude PirotteRomanStockhttps://youtu.be/kB1iynTirH4
31/01/2016PartancePierre AnouilhNouvellesAuto-édité-
31/01/2016OctogénaireMichel ButorPoésieEditions des vanneauxhttps://youtu.be/2lkmKsa5L6A

  • 2.2.16

Nu brun

Le vent revient
Dans le goulet
Entre les étangs
Il lisse le temps
Des débris
De bois flotté
Il ceint l’hiver
Bat l’épaule
Des fourrés
Donne piaille
Au doum
Qui se fâche
Au sterne
Qui se terre

La tramontane
Toise l’élan
Des flamants
Cannes pliées
Dérive le vol
Du goéland
En plan figé 
Sur le faite
Des embruns
Il soulève
Un nu brun
De sable fin
Qui grippe
Les têtes folles
  • 1.2.16