Je n’ai plus peur puisque je t’attends

Désormais, je n’ai plus peur d’être seul puisque je te retrouve partout. La montagne baigne dans un sommeil si profond qu’elle me permet de rêver éveillé. Je suis son long cou qui toujours me ramène à toi.
L’été, le champ scintille comme des milliers d’yeux rouges. Ils semblent porter ta joie jusqu’à moi. Battements après battements, une danse électrique, une transe dans la douleur.
J’entends encore, à l’automne, dans le bruissement des herbes hautes, cette chanson dans laquelle tu parles du vent et des bêtes que tu as apprivoisées.
Je sens aussi, l’hiver venu, dans la friche gelée tes doigts qui œuvrent à recoudre le passé, à faire des manches longues à mon corps saisi par le froid.
Je sais enfin qu’au printemps, tu disparaîtras à nouveau dans le champ, que l’arbre devenu ma maison saura me faire tenir jusqu’au prochain cycle.
Je n’ai plus peur puisque je t’attends.
  • 29.2.20

Je gravis chaque jour la montagne qui enserre le champ

Je gravis chaque jour la montagne qui enserre le champ. Comme on remonte le cours d’une histoire. À chaque pas, je t’aperçois sur le chemin qui serpente dans la mémoire et entaille la vue ; dans un fossé, dans un ruisseau ou même sous un caillou avant que mon pied ne se pose sur lui, sur toi.
Les images passent et s’écrasent, à l’envers. Tu reviens des herbes hautes, marche arrière puis marche avant. Tu es la fuite sans cesse renouvelée.
Un jour sans fin.
Pourtant, je m’endors toujours à la même heure. Je subis le temps comme tout un chacun. Sous l’arbre, mes nuits sont sans partage. Seuls les oiseaux viennent me raconter ce qu’ils voient lors de leur survol du champ. Il paraît qu’ils t’ont vu brasser la friche, donner à manger à ma peine.
  • 26.2.20

Pourtant, toi, tu as bien franchi le champ

Pourtant, toi, tu as bien franchi le champ. Malgré les herbes hautes, malgré les bêtes dont on entend le râle sous les taillis.
Tu es bien passé de l’autre côté et n'es jamais revenu.
Pourquoi n’ai-je jamais trouvé ta trace, ton élan ? Pourquoi n’ai-je jamais eu ni l’envie ni le besoin de te rejoindre ?
Toi, la bravoure et la brûlure.
Est-ce ici le courage qui s’enfuit quand trop de nuits sont tombées ?
Est-ce là le manque qui me prend dans ses bras, si proche qu’il me fait du bien, bien loin ?
Ou est-ce simplement l’histoire qui doit s’écrire sans toi, avec le souvenir comme personnage principal ?
Je ne traverse pas.
L’herbe est trop haute sous le cœur, trop de bêtes dans le ventre. Mon ombre est devenue une forêt.
Je garde la ligne sous l’arbre, j’attends le vagabond qui, pris dans le chant des oiseaux, voudrait te rejoindre. Je dois lui montrer la voie, faire toujours le tour du champ, continuer jusqu’à devenir le chemin.
  • 24.2.20

L’herbe est trop haute pour traverser le champ

L’herbe est désormais trop haute pour pouvoir traverser le champ. Vaste champ que tu as décidé un beau jour de laisser à l’abandon. Friche devenue interdite, il faut la contourner pour éviter les pièges qu’elle nous tend. Bestioles cachées à l’affût de nos mollets, insectes avides aux pattes velues ou au dard aiguisé.
On prend alors le chemin qui ceinture la montagne, celui qui rallonge notre parcours de plusieurs kilomètres. Ça monte et vire, longe d’autres champs tout aussi touffus.
Soudain, tu t’arrêtes, la tête dodelinant comme un mante religieuse et plonges dans les hautes herbes, me laissant en plan au milieu de nulle part.
Le temps passe, des oiseaux au regard noir me surveillent du haut d’un arbre sous lequel je me suis décidé à t’attendre.
Cela fait aujourd’hui vingt ans que je suis là, vingt ans que je refais le chemin, contourne la friche et te perds. L’herbe est toujours trop haute pour traverser le champ.
  • 22.2.20

J’éponge le soleil qui traverse la rue

J’éponge le soleil qui traverse la rue. Un ciel blanc se dresse comme une ardoise pour à nouveau écrire. Encore faut-il trouver la bonne craie.

Encore faut-il comprendre ce qui se passe quand s’effacent les nuages. À quoi ou à qui ils laissent la place.

En attendant, je tends mon visage à son invite, prends la rue en maîtresse et mon bloc-notes en confident.
  • 20.2.20

Je retiens un peu de la nuit

Je retiens un peu de la nuit
sous mes yeux en persiennes.

Un nuage gros du rêve
coincé dans la gorge du temps,
des mouvements de coupe
dans la forêt des pensées,
une entaille dans le contrat
entre le jour et ses affaires.

Rien finalement qui ne se voit
sur mon visage de coton,
juste une brume vieille
qui parfois revient de la fièvre.
  • 18.2.20

Survivre au chemin

Le trottoir soudain s’allonge
sous un soleil nouveau.

Dans la rue, les cols s’ouvrent
et les visages se relèvent.

Mon pas est lent pour suivre
la direction des sourires.

Rien de mieux qu’un sourire
pour survivre au chemin.
  • 15.2.20

Franchir le pas

De la haute fenêtre tombant sur la rue, des ombres sous un ciel de traîne tirent des chevaux.

Mon grand-père au collier d’une bête de trait va le corps penché creuser des sillons.

Je suis trop petit pour atteindre la fenêtre mais j’entends clairement sa fatigue franchir le pas.
  • 12.2.20

Sous un couvercle en fonte

Le rideau entrouvert laisse passer la lumière.
Un rire de la rue en profite pour se glisser dans la pièce et dissiper l’amertume du matin.
Le café est passé dans le gosier comme dans une chaussette sale. Rien n’est venu perturber les ombres qui creusent les joues.
Le rire redouble tandis que la lumière diminue. Il est midi, presque nuit. Il reste un peu du repas d’hier sous un couvercle en fonte.
  • 9.2.20

Parution de « La ligne sous l’œil » aux éditions Gros Textes

Plaisir de vous annoncer la parution de mon nouveau recueil « La ligne sous l’œil » dans la collection La petite porte aux éditions Gros Textes, avec une illustration de couverture d’Olivier Sada.

Le livre est disponible sur le site de l'éditeur ou par courrier postal à Gros Textes, Fontfourane, 05380 Châteauroux-les-Alpes (chèques à l’ordre de Gros Textes).

Extrait en quatrième de couverture :

Une peur s’ouvre se ferme,
paupière sur l’œil de la mer.

A cette idée dans le vent,
rabattre vite le caquet.

Avant que ne fore la vague,
il me faudra cligner des yeux.



ISBN : 978-2-35082-440-6
ISSN : 2645-9469

102 pages au format 10 x 15, 8 € 
  • 7.2.20

Ces heures de bête

J’ai ouvert la nuit au couteau,
sorti du ventre des rêves
quelques regrets entêtants.

Et ce matin a l’odeur
du sang mêlé à trop de sueur.

Le jour a éclaté lentement,
bulle de buée sur la bataille
pour cicatriser ces heures de bête.
  • 6.2.20

Tu as peur de sortir

Tu as peur de sortir de ta chambre. Dans le couloir, tu perçois un danger aussi impressionnant qu’il est invisible. Si tu sors, si tu ouvres la porte qui donne sur le couloir, si tu décides d’affronter l’air qui tourne à l’extérieur de la chambre, une falaise t’attend et à ses pieds, un océan, un vaste océan ; pas une mare, ni même un lac paisible, non, un grand et vaste océan déchaîné et peuplé de vagues infinies, de rouleaux meurtriers, de mammifères marins à grandes dents, d’oiseaux aux ailes tranchantes mais aussi de navires battant pavillon noir et dont le pont est rempli d’hommes édentés, aux ventres ronds et aux rires carnassiers.
Tu as peur de sortir de ta chambre. L’étendue de l’océan dans le couloir, le battement des oiseaux le long des murs, le grain qui peut survenir à tout moment et t’emporter. C’est la tempête entre deux portes et cet escalier au bout du couloir comme la promesse d'une écoutille n’est qu’un leurre pour masquer l’abîme. Il y a hors de ta chambre trop de bruits et d’incertitudes, trop de peurs. Aucune rampe à laquelle s’accrocher pour te sauver des eaux. Personne pour te secourir, le passage est trop étroit, le niveau de l'océan trop haut.
Des flots et un raffut immenses dans un si petit couloir. Quand tu y penses, ce n’est pas possible. Derrière cette porte, il ne peut y avoir que ces murs dont tu connais l’existence. Deux murs parallèles qui forment à l’évidence un couloir tout ce qu’il y a de plus normal, une banale coursive qui dessert ta chambre et les autres pièces. Pas d’océan, ni de précipice, pas plus que de danger à ouvrir la porte qui donne sur ce couloir. Mais voilà, dans ta chambre, une courbure du temps te joue des tours. Un ange dans ta tête attend que s’émeuvent les sirènes : tu ne peux pas sortir.

01/02/2018
  • 1.2.20