J’ai lu, relu les perles que tu as laissées avant de partir. Quelques mots griffonnés sur un bloc-notes publicitaire avec un gros logo jaune d’une marque d’anisette. Des perles, j’appelle des perles tes lettres toutes en rondeur séparées par des fils de crin, des liaisons mal ficelées qui laissent passer les blancs de ta pensée. Tu as écrit avec un stylo à encre bleue mais de couleur jaune, raccord avec le logo. Il barre les mots. Il est posé là en oblique comme pour marquer la détermination et la fin résolues de ton propos. Tout s’impose comme une finalité. La brièveté, trois lignes. L’absence de fioritures, des mots bruts. Le choix du support - le bloc-notes, petite page, petite vignette – t’évite le débordement de phrases trop longues et laisse couler un alambic de mots maitrisé.
Tu ne t’es même pas relu. Les mots filent raides et le va-et-vient de tes boucles ne souffre d’aucunes ratures. Tu étais convaincu, ça coulait fluide en toi. C’est clair, directif, sans ambages. Les mots sont simples. L’écriture souple et la graphie fluide. C’est bien toi, un concentré de toi. Une pensée opaline sans émotion apparente. Tu n’as pas tremblé, pas hésité à sauter les points, à scier les virgules pour que ça circule. Direct de la tête aux mots. Un train d’enfer qui ne t’aura pris que quelques secondes : un jet puissant sans calcul, sans scrupules.
J’ai trouvé ton bloc-notes, après. Après. Tu sais, quand c’est déjà trop tard. J’ai lu, relu les perles que tu as laissées. Etudié chaque lettre, respiré chaque liaison blanche, bu chaque mot avec ta voix dans ma tête, ramassé chaque césure maladroite avec ma gaucherie à moi jusqu’à redresser des pans de mémoire pour comprendre le vol de nos mots. Mais voilà, je n’ai pas compris. Trop tard. Me reste le stylo jaune et le goût tourné d’une anisette.
- 22.9.13