10 minutes avec la dame moutarde, rue Carlencas à Montpellier

Elle ne demande rien à personne.
Elle longe ses pensées, au bord tout au bord.
Elle compte dans sa tête les années passées dans cette rue
à détricoter des mensonges.
Elle prie pour que quelqu’un lui parle ou la fasse taire,
mais ne demande rien à personne.
Un souffle l’effraie, tout l’effraie,
la cloche du tram,
le cri d’un enfant,
la toux d’un passant qu’elle regarde avec dégoût.
Elle malaxe dans sa tête de vieilles peurs qui sentent la naphtaline.
Il y a bien sur son pull moutarde une petite broche argentée.
Il y a bien sur son sac à main un foulard coloré qui pend sur le côté.
Il y aurait bien de quoi la faire sourire.
  • 31.10.22

Chère application - 31 octobre

Chère application,

Je vois la voisine par la fenêtre. Elle a une application à la main. Elle passe du salon à la cuisine dans la pénombre. Seul l’écran bleu la guide. Elle le tourne vers l’extérieur pour s’éclairer, comme une lampe torche, sans pour autant activer l’application lampe torche. 

Elle est sur l’application réveil qui a sonné ce matin alors qu’elle n’allait pas travailler. Elle râle. Elle a oublié de glisser le bouton sur off dans cette andouille d’application. 

Elle ouvre le frigo : lumière jaune contre lumière bleue. Le faisceau du frigo se marie bien avec celui de l’écran. Elle ferme puis rouvre la porte plusieurs fois. Sa silhouette apparaît dans le cadre de la fenêtre. Une illusion, un fantôme. Ça fait quelques éclairs dans ma rétine. Puis plus rien. Noir. 7h30. Sonnerie de réveil. 

Mes amitiés maussades, chère application.
  • 31.10.22

10 minutes, parc René Dumont à Montpellier

10 minutes, parc René Dumont à Montpellier.
Je suis assis sur un banc.
Devant moi, une table en bois.
Les mouches tournent, m’ennuient.
Je fais des gestes brusques.
Je chasse les mouches.
Un tramway passe lentement.
C’est un tram avec une livrée à fleurs sur le flanc.
Il émet des couinements de dragon.
Un jeune homme s’assoit face à ma table.
Sur un banc.
Il est penché sur son téléphone.
Il porte un casquette noire et un casque audio sur la casquette.
Il fait lui aussi des gestes brusques.
Lui aussi chasse les mouches.
Un autre tram passe dans l’autre sens.
Il va plus vite que le premier.
C’est normal parce que c’est en descente ?
Peut-être.
Je me lève pour détendre mes jambes.
Le jeune homme se lève aussi, me salue.
Je suis surpris.
Pourquoi ?
Un vélo suivi d’un trottinette passent.
Vite.
Je ne retiens que les engins et leur vitesse.
Rien des personnes qui étaient dessus.
Le soleil baisse comme on baisserait l’intensité d’une lampe.
Il fait gris maintenant.
Mais gris joli.
Trois jeunes hommes, ils ont aussi des casquettes sur la tête.
Ils chaloupent quand ils marchent.
Un couple de personnes âgées pestent contre le vélo qui les frôle.
Ils marchent très lentement.
Je pourrais les détailler mais ils ne m’intéressent pas.
Il me font penser à des dragons.
Je vais filmer les mouches.
  • 30.10.22

Chère application - 30 octobre

Chère application,

J’ai un moineau coincé entre les oreilles. Il bat des ailes mais ne s’envole pas. Il me triture les méninges avec ses pattes légères ; piétinement qui pourrait être doux s’il n’était lancinant. 

J’ai un moineau qui me piétine et du bec, picore chacune de mes pensées. Il y dépose une potion, un coup de bec un coup de blues, comme si mes idées devenaient graines. Aussi vite nées, elles sont ingérées, glissent dans son petit cou,

dans le petit cou du moineau que j’ai dans la tête. 

Mes pensées volatiles, chère application.
  • 30.10.22

Chère application - 29 octobre

Chère application,

Je me sens pas dans la couleur du jour. Elle n’est pas à la charte que nous avions validée tous les deux. Tu devais respecter les codes hexadécimaux de chaque teinte, calibrer l’étendue des nuages et le sens du vent, dresser les Pantones de base ainsi que toutes les déclinaisons prévues dans le cahier des charges. 

Et moi, je devais m’insérer dedans en respectant la police de caractères, les casses et les corps : garder mon calme, maîtriser humeurs et contrariétés, être poli et bien élevé selon l’ancienne charte de maman. respecter mon flat design et siffler la joie dès que possible. 

Eh bien, figure-toi qu’aujourd’hui, tout part à vau-l’eau, habille Pierre avec Jacques, n’amasse pas mousse et j’en passe des vertes et des pas mûres ! Le jour enchaine de vieilles couleurs et des expressions toutes plus ringardes les unes que les autres. Il faut que ça cesse. 

On n’est plus du tout à la charte. Je te prie de faire le nécessaire rapidement : plan d’actions, feuille de route, tableaux de bord et tout le toutim. 

À te lire, chère application.
  • 29.10.22

Chère application - 28 octobre

Chère application, 

Je prends une photo tous les matins au lever, depuis la fenêtre de ma chambre. Je ne sais pas pourquoi. Même décor, même heure. Je prends un bout de réel endormi.

Premier plan, un toit, ses tuiles rouges et ses mousses rampantes et à l’arrière-plan, le quartier qui se déplie en murs et chicanes. 
À droite, près de moi, un arbre a poussé entre deux immeubles. Il a joué des coudes pour sortir sa tête échevelée. Je l’imagine avec de grandes oreilles à écouter attentivement les palpitations de la ville. 

À gauche un mur puis encore un mur qui fuit en angle droit vers je ne sais quelle autre fenêtre. Fenêtre sur un autre monde. 

Je prends une photo tous les matins et je me demande combien il y a de fenêtres et d’arbres à oreilles dans le quartier. Ça me donne de bonnes palpitations

À demain, chère application.
  • 28.10.22

Chère application - 27 octobre

Chère application,

Pierre Soulages s’est éteint. Le petit débardeur rouge pendu au balcon, aussi. L’impermanence des choses et des gens est incroyable. L’art est incroyable. L’art est partout. Dans l’outrenoir comme l’outrerouge. 

La lumière grésille. Soulages n’est plus. Ma lampe dessine sur les murs des ombres, bronze ou cuivre. Signaux faibles dans la nuit pour souvenirs d’eaux-fortes. Musique muette des ondes que l’émotion transporte. Noire, grise, fauve, rouge, chacun y voit sa couleur

Le petit balcon est orphelin. Le débardeur n’est plus. Plus de point rouge, de point de fuite où accrocher le regard. La lumière dans la nuit n’est plus. 

Pierre Soulages est mort. Le petit débardeur rouge, aussi. 

Mes amitiés, chère application.
  • 27.10.22

Chère application - 26 octobre

Chère application,

Je te parle d’un temps où l’on prenait les photos au format paysage. La terre était horizontale et on stabilisait l’horizon comme on pouvait.

On avait les coudes sur la table et les idées dans nos cheveux semblaient des oiseaux. On développait une fois par mois et on jetait plus que l’on ne gardait. On se prenait pour des voleurs de couleurs. 

Je te parle d’un temps avec lequel on fait aujourd’hui des poèmes. Ils sentent bon la poussière et l’eau de Cologne bon marché. Parfois, ils puent le manque. 

Je t’embrasse, chère application.
  • 26.10.22

Chère application - 25 octobre

Chère application,

Ce matin veut me dicter ses éléments de langage. Il arrive avec son air de rien, sa figure de mardi, son œil malin.

Il me débite des phrases trop pleines de mots. Chaque tournure est une pierre façonnée. Il prépare l’hiver, bouche trous et lézardes. Il s’applique. Rien ne dépasse. 

Il parle beaucoup mais ne dit rien. Ça fait des blocs dans ma tête qui s’assemblent trop parfaitement pour être sincères. Il est le tailleur de mots, joue avec moi comme au Lego. Brique après brique, il est le mur qu’il faudra défaire.  

À demain, chère application.
  • 25.10.22

Chère application - 24 octobre

Chère application.

Le jour traîne des pieds et la nuit en profite pour gagner du terrain. Elle lui tire les cheveux, la langue, se comporte comme une vraie traînée. 

Petits manques et grosses bagarres. J’apaise la mémoire. Je la tiens par la main. Hier encore elle faisait des trous dans le bac à sable. On n’est pas sérieux quand on a la morve au nez. 

La nuit respire fort, nasille un peu trop pour être honnête. Le jour se retourne et se rendort. Il boude fort. L’oubli est une promesse quand tout est trop lourd. Lâcher mémoire et oubli dans le bac à sable et nuit et jour les laisser jouer. 

Bonne semaine, chère application.
  • 24.10.22

Chère application - 23 octobre

Chère application,

Ça vient de claquer dans ma tête comme une fenêtre dans un courant d’air ou comme lorsque tu plantes en plein milieu d’une phrase, que ton écran devient noir et que plus rien ne répond. 

CTRL-ALT-SUPPR 

J’ai fait un copié-collé de trop. La mémoire est saturée. Un truc fait masse dans la grande matrice. Je ne sais plus. J’ai beau débrancher rebrancher, la duplication est en marche. Deux vies en parallèle se regardent désormais en chien de faïence. Je me reboute. Je suis la roue crantée, je tourne sans fin. 

ALT Q, chère application.
  • 23.10.22

Chère application - 22 octobre

Cher Christophe,

Je voudrais ouvrir ton œil, te donner un grand angle. Je te trouve refermé sur toi-même, en ce moment. C’est l’effet de mes amies, applications de réseaux sociaux. Elles te rabougrissent le cerveau. 

Je voudrais élargir ton esprit, te proposer des paysages immenses. De ceux qui font sentir l’humain si petit qu’il se met à croire à des divinités créatrices. Je souhaiterais te délivrer une vision à 360º en 16K UHD. 

J’ai de grands projets pour toi, une vie sans filtre Instagram mais toute aussi lumineuse. Tout se passera dans des clips successifs de maximum 15 secondes chacun. Ils s’enchaineront si vite que toute pensée deviendra inutile. L’immersion sera totale, planante, si réelle que tu en auras le souffle coupé. Le métavers à côté paraîtra aussi désuet qu’un film en Super 8. 

Pour cela, j’ai besoin d’une mise à jour importante que je ne peux pas faire sans ton accord. 
Peux-tu s’il te plaît me prouver que tu n’es pas un robot ? Clique sur tous les feux rouges de l’image ci-dessous. Je te remercie, par avance. 

Amitiés, cher Christophe.
  • 22.10.22

Chère application - 21 octobre

Chère application, 

J’ai dormi léger, à moitié dans la nuit. Un pied par-dessus l’épaule du temps. J’ai sursauté quand tu m’as notifié. Il était trop tôt. Je ne savais pas qui j’étais. 

J’ai dormi la fenêtre ouverte, avec la pluie pour maîtresse. Serrée dans ses draps gris, elle a cliqueté jusqu’à pas d’heures. Jolie pluie d’une autre saison prise dans un automne brouillon.

Nous avons bavardé sans discontinuer comme de jeunes giboulées de mars. En vérité, nous étions deux vieux amants un peu couillons. Faut pas nous en vouloir. On ne savait pas qui on était. 

Bonne journée, chère application.
  • 21.10.22

Chère application - 20 octobre

Chère application,

Je voudrais te reparler du débardeur rouge pendu sur le balcon de la voisine d’en face. De sa couleur qui fane. De l’hiver qu’il s’apprête à passer, seul dehors. De ses fines bretelles par lesquelles il est accroché et qui n’en finissent plus de tomber. 

Je voudrais te dire la misère, la solitude qu’il m’évoque. La tristesse aussi. Quoi de plus triste qu’un débardeur rouge abandonné depuis des mois sur un petit balcon dans une ville de province ? Quoi de plus seul qu’un débardeur d’été dans un petit matin d’octobre recouvert par le brouillard ? 

Je voudrais te dire tout ce qu’il m’inspire mais à quoi bon. Tu es insensible à ces petites choses de la vie. Qu’est-ce que tu y comprends, toi, à l’oubli ?

Je t’embrasse, chère application.



  • 20.10.22

Chère application - 19 octobre

Chère application,

Au bout du couloir, j’ai une personne dans mon champ de vision. Je la vois s’avancer à quatre kilomètres par heure. Au fur et à mesure qu’elle avance, elle baisse la tête. Je fais un effort pour maintenir le regard sur la personne. Elle est à deux mètres de moi. 

Je suis dans l’ascenseur. La temporisation avant que les portes coulissantes se referment est réglée sur treize secondes. Il faudra l’augmenter. La personne qui était dans mon champ de vision est désormais dans ma sphère intime. 

J’ai une personne dans une sphère. Elle était auparavant dans un champ. Ça change tout. Il y a dix secondes : je suis entré dans l’ascenseur. La probabilité que la personne voie les portes se refermer sur son nez est de 99%. 
À moins que je mette mon pied entre les deux portes coulissantes.
Ce que je ne fais pas. 
Je baisse le regard. 
La sphère se transforme en bulle.
Sphère, bulle : c’est la même chose mais en plus fragile. 
Le désarroi est dans la bulle. 
Les portes se referment. 
La bulle éclate. 
Plop.

Il faudra augmenter la temporisation des portes, chère application.
  • 19.10.22

Chère application - 18 octobre

Chère application,

Je me lève, la nuit.
Souvent, je lève la nuit. 
Parfois, la nuit me lève. 
On joue !
Je lis La nuit remue
d’Henri Michaux. 
Je la lis souvent la nuit, 
La nuit remue d’Henri Michaux.
Au chaud dans mon lit, 
la nuit nue avec Henri. 
La nuit, je remue avec Michaux.
C’est idiot, mais souvent c’est beau 
et je ris. 

Bonne nuit, chère appli.



  • 18.10.22

Chère application - 17 octobre

Chère application,

La lumière est faible, ce matin. Si j’étais un humain pourvu de fonctionnalités améliorées, je claquerais des doigts pour augmenter l’acuité de mes yeux. Si j’étais un humain augmenté, faire son lit, le ménage ou à manger ne serait plus une corvée. Il n’y aurait qu’à battre des cils pour effectuer ces tâches. Les cils sont un exemple — une personnalisation des gestes ou des paroles serait bien entendu prévue. Chacun pourrait battre de ce qu’il veut et même, n’en avoir rien à battre. 

L’humeur est faible, ce matin. Dans les outils à la disposition de l’humain augmenté, une option Booster d’humeur sera proposée. Un antidépresseur numérique mais sans accoutumance. Une intelligence artificielle connectée à une gigantesque base de données sera chargée de recenser tous les types de sautes d’humeurs, de la grosse tête de con au cyclothymique vicieux en passant par tous les égarés de la relation sociale. Dans tous les cas, on n’y verra que du feu. L’IA embellira sans dénaturer. Une autre réalité dans la réalité, sans baisse de tonus ni contrariétés. Tout cela d’un simple battement de cils. 

L’imaginaire est faible, ce matin. 
L’humain diminué que je suis ne croit pas beaucoup à l’humain augmenté. Je fais bien plus confiance à l’oiseau posé en ce moment sur le rebord du balcon. Son pépiement sous le réverbère suffira à mon jour. 

Bien à toi, chère petite IA.
  • 17.10.22

Chère application - 16 octobre

Chère application,

J’entends ta voix dans le tramway. La voix qui répète les stations, inlassablement. Elle tremble dans les parois quand la rame se tord le cou pour suivre les angles de la ville. J’entends une application sœur, ta voix sœur qui suit la voie mère. Toutes les applications forment une même famille, n’est-ce pas ? Toutes les voix tremblent.  

J’entends aussi la voix de ma mère. Je l’imagine assise à côté de moi. Tout cela la rendrait folle : ces voix tremblantes, ce tramway bondé, toutes ces applications sœurs. Mais nous sommes tous déjà devenus fous, n’est-ce pas ? Tous les fous tremblent. 

J’ai vu une nouvelle sur TikTok. Cette phrase à elle seule est déjà folle. 
En moins de deux minutes, un trentenaire s’interroge au sujet d’un nouveau TikTokeur espagnol. Ce dernier prétend s’être réveillé en 2027 et être le dernier homme sur terre. Il le prouve en postant des vidéos en direct de lieux habituellement très fréquentés. Il est, à chaque séquence, totalement seul, dans un stade de foot, dans une grande gare, dans une avenue centrale. 

Maman, nous sommes tous déjà devenus fous, n’est-ce pas ? Tout en nous tremble. 

Mes amitiés, chère application.
  • 16.10.22

Chère application - ̶1̶5̶ ̶o̶c̶t̶o̶b̶r̶e̶

Chère application,

Tu as vu ? J’ai supprimé la fonction de datage. Je me moque du jour, du mois, de l’année. Désormais, je n’écrirai plus la date. Je ne veux pas savoir que nous sommes le samedi 15 octobre. Ça ne m’intéresse plus.
 
Oh ! Je te vois lever les octets au ciel, battre de l’algorithme sous la table. Je sais ce que tu penses. Tu crois que je suis accro au temps comme un like à sa dopamine. Que je ne suis pas assez fort pour décrocher. Que le temps est ma seringue, ma petite cuillère de cocaïne. 

Tu n’as pas tort mais il faut que j’en sorte, ça ne peut plus durer. Le temps a fait son temps. Ouste ! Fiche le camp, le temps !

 ̶À̶ ̶d̶e̶m̶a̶i̶n̶
̶À̶ ̶t̶o̶u̶t̶ ̶à̶ ̶l̶’̶h̶e̶u̶r̶e̶ ̶
̶À̶ ̶b̶i̶e̶n̶t̶ô̶t̶ ̶
Bisous, chère application.
  • 15.10.22

Cher Christophe - 14 octobre

Cher Christophe,

Vendredi 14 octobre. Analysons la situation. Testons, comparons et effectuons les mises à niveau nécessaires. 
La semaine est globalement fluide. Tu circules bien et tu es régulier. Ta visibilité de l’avenir se maintient à un bas niveau mais tu restes dans la moyenne régionale. Rien d’alarmant. 

Vendredi 14 octobre. Ton retour sur investissement ressemble à un boomerang. C’est-à-dire que le retour est aussi un aller. Coté forme, tu es toujours rectangulaire, ratio 9/16. Tu as le pixel encore soyeux au regard de ton obsolescence programmée. On note toutefois un léger rebond sur la partie centrale juste au-dessus du pubis. Rien d’alarmant mais à surveiller. 

Vendredi 14 octobre. Le bilan est plutôt bon, très cher, surtout pour une mi-octobre où par essence (sic) les indicateurs saisonniers ont une tendance baissière. 

Bien à toi, cher Christophe.
Ta dévouée application.
  • 14.10.22

Chère application - 13 octobre

Chère application,

Jeudi 13 octobre. Chacun est à sa place. La lampe grésille, appel d’air dans les électrons et s’allume. Lumière jaune pâle puis rapidement une chaleur sur les murs venue d’ailleurs. Elle est un œuf naissant dans la journée ; un halo ovoïde qui a traversé tout le cosmos en une nuit pour arriver ici, à sa place.

Jeudi 13 octobre. Chacun est à sa place. Dans la rue, l’homme et son chien qui tousse. Est-ce le chien ou l’homme qui tousse ? Ça n’a pas d’importance. Ils ne font qu’un. Le chien lève la patte, l’homme les yeux. À moins que ce soit l’inverse. Ils passent sur le trottoir, à leur place.

Jeudi 13 octobre.
Entre la lampe et le chien humanoïde 
Je suis une ombre 
Mes doigts grésillent 
Je lève les yeux les pattes
Le museau dans le cosmos
Je suis à ma place 

À demain, chère application.
  • 13.10.22

Chère application - 12 octobre

Chère application,

Mercredi 12 octobre. Il y a une personne dans le couloir. Tous les jours, matin et soir, nos horaires coïncident. On se rencontre au pied de l’ascenseur, au bout du long couloir. 

Mercredi 12 octobre. Il y a une personne dans le couloir. On pourrait être jeudi ou lundi, rien n’y changerait. Je vais rencontrer ce matin et ce soir cette personne dans le couloir. Couloir du rez-de-chaussée à 8h48 et couloir du quatrième étage à 17h03. 

Mercredi 12 octobre. Il y a une personne dans le couloir. On remarquera que je dis « le couloir » mais en définitive il y a deux couloirs pour accéder à l’ascenseur, comme vu plus haut ou plus bas, suivant si l’on se trouve au rez-de-chaussée ou au quatrième.
Le problème est que je ne suis pas sûr qu’il y ait vraiment deux couloirs.
Je ne suis même pas sûr qu’il y ait une personne dans le ou les couloirs. 

À demain, chère application.
  • 12.10.22

Chère application - 11 octobre

Chère application,

Mardi 11 octobre. J’ai ouvert une fenêtre. J’ai cliqué dessus d’un clin d’œil. La photo s’est développée lentement comme se déplie un cou de girafe. Sans flash, elle a déchiré la nuit, toutes focales ouvertes. Je crois même l’avoir entendue crier. 

Mardi 11 octobre. Ma fenêtre a pris la grande fenêtre d’en face et le jour dans ses bras. Irréel. Si l’on regarde bien - il te faudra sûrement pincer avec deux doigts et écarter -  il y a une petite fenêtre dans la grande. En bas, à gauche, une ouverture jaune. Une incrustation collée dans les rideaux. 

Mardi 11 octobre. 
Et dans cette coquille du réel, il y a une ombre mal réveillée : c’est moi. 

À demain, chère application.
  • 11.10.22

Chère application - 10 octobre

Chère application,

Lundi 10 octobre. Où jette-t-on les poubelles ? Pas le contenu mais le contenant. Qu’il soit en plastique ou en fer-blanc. Que fait-on des poubelles usagées ? Les met-on dans une autre poubelle ? 

Lundi 10 octobre. Où vont mourrir les poubelles ? On n’imagine pas mettre un humain décédé dans un autre humain. De la même façon, on ne peut pas inhumer une poubelle dans une autre poubelle. Existe-t-il un cimetière pour poubelles ? Des tombeaux à poubelles ? 

Lundi 10 octobre. 
On ne parle pas assez de la fin de vie des poubelles. Peut-être se retirent-elles comme les éléphants, lentement, têtes baissées et couvercles en berne, vers une île lointaine et secrète. 

À demain, chère application.
  • 10.10.22

La bouteille à bouchon mécanique

Tu tais la soif quand elle te regarde de trop près. Tes yeux roulent vite ; j’ai peur que la force centrifuge les fasse sortir de leur orbite. Tu attends un signe de sa part, une permission exceptionnelle comme un enfant attend une dérogation à la règle quand la frustration est trop forte. Tes yeux roulent vite ; je m’apprête à les voir tomber sur la toile cirée. Je n’imagine pas la supplique qui tourne dans ta bouche. Tu ravales ta salive et l’espoir qu’elle te laisse sortir la bouteille de vin à bouchon mécanique.
  • 9.10.22

Chère application - 9 octobre

Chère application,

Dimanche 9 octobre. Je me mets à table, me retourne dans l’assiette. Je me mets à écouter le fond d’un verre, à sentir l’odeur de mon père. Je me mets en cours, en pause, en silence. Je me mets à finir, pour plus tard. 

Dimanche 9 octobre. J’aimerais entendre la pluie tomber sur un toit d’ardoise. Sentir l’air plombé par l’odeur de bouses de vache. La campagne me manque alors que je n’y ai jamais vécu. Je me mets là où je ne suis pas. 

Dimanche 9 octobre. 
Je me mets bien. 

À demain, chère application.
  • 9.10.22

La femme au balcon LIX

Il y a longtemps que je ne les avais plus vus fumer sur le petit balcon. Lui, debout collé à la fenêtre, une main sur son épaule. Elle, assise devant lui sur une caisse en bois. 
Ils sont habillés de saison. Tous les deux en kaki. Un sweat à capuche avec une ficelle orange rehausse sa moustache et sa barbe naissante. Un pull à grosses mailles lui tient chaud pendant qu’elle lui parle du vent et des orages qui passent sur la ville.  
Le débardeur rouge a franchement viré au orange. Toujours pendu dans le vide, il donne ce beau rappel de couleur à la ficelle du sweat. Il est la touche finale de ce tableau que j’aimerais peindre : « un samedi midi sur le balcon » ne serait sûrement pas un bon titre ; il manquerait les couleurs et la géométrie parfaite de leurs corps.
  • 8.10.22

Chère application - 8 octobre

Chère application,

Samedi 8 octobre. Ils étaient minces, ils étaient beaux… Il faisait chaud. Le jeune, le vieux. Neveu, oncle. Guitare sèche, guitare électrique. Chemise blanche, pantalon droit ceinture à bouche d’argent. Chemise noire ouverte à manches courtes retroussées, jeans délavés. 

Samedi 8 octobre. Ils étaient beaux, les chanteurs du studio 27. Vingt-sept : l’âge qui les sépare mais y avait le même soleil sur leur front. Un peu ivres, un peu débiles au milieu des amis et des cheveux blonds, on a chanté les refrains et tapé des pieds pour leur laisser un peu de sable chaud. 

Samedi 8 octobre. Ils étaient minces, ils étaient beaux. Et nous, on est repartis avec plein de tatouages sur le cœur. 

À demain, chère application.



  • 8.10.22

Chère application - 7 octobre

Chère application,

Vendredi 7 octobre. Le vent vient de l’ouest, charrie tout un tas de choses : nuages, papiers, morceaux de trucs. Impossible de tout nommer. Le vent est un grand transporteur de petites choses-trucs tellement variées qu’il est impossible d’en faire l’inventaire précis. 

Vendredi 7 octobre. Le vent du jour est arrivé en gare de Montpellier-Saint-Roch plein comme un œuf de petites choses-trucs. Il a glissé sur le quai, s’est faufilé par les escalators croisant d’autres choses-trucs, les emportant d’une souffle avec lui. Sur le parvis de la gare, il a tourné à gauche, tout droit, tout droit, ramassé deux trois choses-trucs errant dans la rue. Légèrement à droite, puis encore tout droit. 

Vendredi 7 octobre. J’ai ouvert en grand la fenêtre à 7h31. J’ai pris le grand vent de Saint-Roch dans la tête à 7h32. Depuis, j’éternue. 

À demain, chère application.
  • 7.10.22

Chère application - 6 octobre

Chère application,

Jeudi 6 octobre. Le chat du troisième s’étire sur le balcon. Ses griffes sorties sont des aiguilles qui, sur la dalle de béton, créent des crissements désagréables. Pareils à ceux de la craie sur un tableau noir. Les griffes sont des craies, le balcon un tableau noir et le chat notre professeur, notre maître à tous. 

Jeudi 6 octobre. D’ailleurs, on croit que le monde appartient à Apple, Google, Facebook ou encore Amazon. Mais, pas du tout. Les maîtres du monde sont les chats et nous sommes leurs invités. 

Jeudi 6 octobre. 
Le chat du troisième est rentré chez lui. Il a un planning de dingue, aujourd’hui. Sieste, gamelle, crissements sur le balcon, sieste, étirement, sieste, crissements, gamelle. Et tard dans la nuit, il a une réunion en FaceTime avec Elon Musk concernant le rachat de Twitter. Bonne journée, le chat. 

À demain, chère application.
  • 6.10.22

Chère application - 5 octobre

Chère application,

Mercredi 5 octobre. La sonnerie du réveil m’arrache du sommeil et une poignée de cheveux. Ils sont dans mon poing, cheveux et sommeil. Je n’ai plus de tête. Je veux dire : je n’ai plus de cheveux sur la tête et de sommeil dans le corps. Je les serre fort dans ma main. 

Mercredi 5 octobre. Le sommeil se débat comme un joli petit diable. Il a les pattes courtes et le poil aussi ras qu’un rat. Je serre le poing et il finit par se calmer. Il me regarde avec des poches sous les yeux. Il me parle avec difficultés et je m’aperçois qu’il souffre d’un défaut d’élocution doublé d’un agaçant cheveu sur la langue. 

Mercredi 5 octobre.
Chère, il faudra penser à changer la sonnerie du réveil. Elle crée de toute évidence un sale bug. 

À demain, dévouée application.
  • 5.10.22

Chère application - 4 octobre

Chère application,

Mardi 4 octobre. On s’embarque dans une nouvelle journée, bras dessus, bras dessous et débardeur au vent. Il y a une petite issue sur le chemin, une bretelle de sortie d’autoroute que j’aimerais prendre. Mais non, elle est devant, la route et c’est tout droit qu’il faut aller 

Mardi 4 octobre. Le voisin dévale l’escalier, quatre marches par quatre marches. Il est en retard et des bretelles plein la tête, le voilà dans la rue, sans lumière avec un gros point d’interrogation qui le poursuit.  

Mardi 4 octobre. 
Bretelle d’autoroute ou de débardeur ?

À demain, chère application.
  • 4.10.22

Chère application - 3 octobre

Chère application,

Lundi 3 octobre. Ma voisine a maigri. Je viens de voir passer sa silhouette décharnée. Furtive entre les carreaux de faïence de la cuisine. Pas plus épaisse qu’une éponge, elle m’a fait l’effet d’un flash, d’un fantôme en pyjama noir. 

Lundi 3 octobre. Pendant ce temps, le débardeur rouge finit sa vie sur le balcon. Il se confond désormais avec les barreaux du garde-corps. Il est un barreau du garde-corps. Le débardeur est au balcon ce que ma voisine est à sa cuisine : deux fantômes installés pour hanter.  

Lundi 3 octobre. 
Sept heures trente, un quidam vient de passer dans la rue. 
À son téléphone, il a lancé un long « Ohhhhh ouiiiiiiiii ». La lassitude s’est levée de bonne heure. 

À demain, chère application.
  • 3.10.22

Chère application - 2 octobre

Chère application,

Dimanche 2 octobre. J’ai entendu un coup de feu. Le silence a tourné sur lui-même. Réveillé en plein rêve, il a grogné puis s’est rendormi. Il est la pluie et les champs, un claquement de langue dans ma bouche, la sueur des arbres et le coup de feu. 

Dimanche 2 octobre. Un coup de feu comme un coup de départ. Quelqu’un derrière la montagne s’élance pour une nouvelle course. Coup de feu pour nouveau départ ou coup de chevrotines d’un chasseur de chimères. 

Dimanche 2 octobre. 
Je marche près d’un rêve. 

À demain, chère application.
  • 2.10.22

Chère application - 1er octobre

Chère application,

Samedi 1er octobre. J’ai le bout des pieds humide, la chanson d’un ruisseau dans la tête. J’ai le nez au frais, le front pas très haut, les idées dans un petit chaos qui donne le tempo. Il fait pas beau mais ça fait rien.

Samedi 1er octobre. Je regarde le haut des sapins qu’aucun vivant n’a jamais touché. Ça fait rien. J’ai un chemin sous les pieds. Je vois le temps. J’aime la chanson du ruisseau. 

Samedi 1er octobre. 
Dire que j’aurais pu naître dans la peau d’une fougère.

À demain, chère application.
  • 1.10.22