Que chercher à cette heure

Que chercher à cette heure
où le jour n’est pas encore né ?

De la poursuite des mains
avec les ombres sur le mur. 

Des mots qui déjà pointent
sous la lampe affolée. 

Le corps n’écoute pas la tête,
tant qu’à dormir autant écrire.
  • 31.3.22

La femme au balcon XXXIV

Aujourd’hui, tu es venue sur le balcon. Fumer, toujours. Cigarette en bouche, tu as apporté ton nécessaire pour le soin des pieds. Une petite trousse avec coupe-ongles, lime, coton et vernis. Tu fumes par petits à-coups synchronisés avec le bruit sec de tes ongles qui tombent sur le balcon. Clic et tu tires. Re-clic et tu souffles. Pliée en deux dans une position inconfortable, tu finis par poser la cigarette dans le cendrier. Après avoir limé les angles trop aigus, c’est au tour de la peinture délicate ; tu secoues la petite fiole, en sors le petit pinceau rouge vif et tu t’appliques à le glisser sur chaque ongle. Plonges et peins. Plonges et peins, un bout de langue sorti de ta bouche pour ne pas dépasser comme le ferait un enfant affairé à son dessin.
Plusieurs va-et-vient sur dix orteils qui désormais brillent autant que le bout incandescent de ta cigarette. Tu la termines d’une dernière taffe brûlante. Tes pieds bien posés à plat, tu glisses des petits morceaux de coton entre tes doigts de pied et rentres chez toi en marchant sur les talons tel un canard rejoignant sa mare.

  • 30.3.22

It’s my home, home, home, home, home, home, home

Ce matin j’ai cru avoir le COVID
comme le mois dernier et celui d’avant. 

Benjamin Clementine se lamente
dans mes oreilles tandis que 

j’espère lentement vivant
la patience solide. 

Je suis seul, seul dans ma propre boite, 
et c'est mon lieu, qui m'appartient maintenant. 

It’s my home, home, home, home, home, home, home.


 

  • 29.3.22

La femme au balcon XXXIII

 
Dimanche. Il y a la valse des autos qui dansent dans la rue. Un pas de deux avec les balcons, une deux la voiture qui passe, la fenêtre qui claque. Bat la mesure dans le matin ni gris ni jaune. Un entre-deux sans couleur franche sinon celle qui vient dans nos têtes nicotiner le jour. Comme des échappements. La rue est en travaux et nous aussi. On fume toujours pour boucher des trous. Il faudrait arrêter. Peut-être que la danse infernale arrêtera elle aussi de claquer le bitume. Ne nous mettons pas martel en tête. Rentrons chacun chez nous. Refermons les fenêtres. Laissons la rue à son travail de sape.
  • 27.3.22

La femme au balcon XXXII

Tu as peut-être remarqué que depuis plusieurs nuits, je ne dors pas. Je réfléchis. Intensément. Je tourne dans l’appartement comme un lion en cage. Ça m’épuise jusqu'à en perdre mes repères dans l'espace. Je crois être dans mon salon, je suis en fait dans la cuisine ; sur le balcon alors que je suis dans ma chambre. Depuis mon lit, je ne peux évidement pas te voir. Alors, cette nuit-là, je suis sorti sur le balcon pour me sentir dans mon lit. Et je me suis assoupi. 
Clair de lune dans mon demi-sommeil qui n’était en définitive que le réverbère pris de convulsions. L’effet stroboscopique qu’il plaquait sur ton balcon m’a sorti de la torpeur. L’endroit m’est apparu alors comme une scène de comedy-club sur laquelle tu t’apprêtais à entrer, micro à la main, pour me raconter ta vie à grand renfort de punchlines subtiles et drôles.
C’était la femme au balcon. Merci, c’est tout pour moi. Lâcher de micro. Tu retournais dans ton salon, à moins que ce soit dans ta cuisine ou dans ton lit. 
J'ai le souvenir que cette nuit je réfléchissais à ça.
  • 26.3.22

La femme au balcon XXXI

Depuis quelques mois déjà, c’est un peu comme si nous vivions à deux. Je nous fais l’effet d’un vieux couple qui ne se parlerait plus. Et je me surprends parfois à penser que ta voix me manque alors que tu ne m’as jamais parlé. L’effet d’un couple qui, au fil des années, garde un attachement mais fait balcon à part. Tu comprends bien que cela ne peut pas durer. Il faut qu’on se convoque autour d’une table. Il faut parler. Crever l’abcès. On ne peut plus continuer comme ça. Je propose une réunion avec tes enfants. On leur parlera calmement mais clairement.
On pourrait commencer par leur dire ces mots, cette phrase simple : « Les enfants, je sais, ça va être dur, mais les deux inconnus des balcons doivent se séparer ». Il faut se rendre à l’évidence et à notre liberté. Nous, les balcons, les cigarettes, les regards croisés, les hésitations, les faux-semblants, les « je t’ai vu mais je t’ignore » : c’est fini.  C’est mieux comme ça. Je ne regarderai plus par la fenêtre. Et toi, si tu pouvais arrêter de fumer, ça m’aiderait.
  • 24.3.22

Dimanche sous la pluie

Dimanche tend ses jambes
mais elles sont trop courtes 
pour courir après la pluie. 

L’heure du thé approche,
avec elle une envie de sucré
sur la langue de l’après-midi. 

Dimanche sous la pluie, parfait 
pour tremper des gâteaux secs 
dans la petite tasse de l’enfance.
  • 20.3.22

la femme au balcon XXX

On a marché cette nuit. Dans la rue. Elle était bleue. Un peu irréelle. Avec des ombres étranges, glissant sur les murs pour mettre en valeur les balcons. À chaque fenêtre se tenait une lumière. Des veilleuses qui nous aidaient à traverser la rue. À traverser le bleu. Les réverbères éteints semblaient nous faire des révérences. Des bras tendus rasant le sol pour nous inviter à traverser. 
On a marché longtemps en fumant. La rue puis une avenue longue avec son cortège de veilleuses aux balcons. Personne d’autres que nous. Tu te tenais sur un trottoir tandis que je prenais celui d’en face. J’avais le côté pair, de deux en deux, je te regardais : silhouette surplombée de lucioles, ombre de la rue, parfois tu levais la tête vers les balcons comme une terre promise.
  • 20.3.22

La femme au balcon XXIX

Il y a sur la vitre un coeur dessiné. Un cœur dessiné par un enfant au feutre rouge. Ton fils ou ta fille. Son anniversaire. Un jour particulier où tu auras tout bien préparé. Proposé à tes enfants de décorer l’appartement, guirlandes et ballons de baudruche un peu partout dans le salon. Dans la cuisine, des dessins pour relever la tristesse des vieux murs. Sur les tables des assiettes en carton avec des confiseries, mille couleurs, des boissons à l’orange, au citron, de belles bulles qui piquent dans du champagne pour de faux. Prévu de la musique, plein, pour de vrai danser. Puis, tu auras proposé qu’on décore les fenêtres, fleurs dans les rideaux et cœurs sur les vitres. Il y aura eu copines et copains, cris et joie mêlés autour des cadeaux. Tu auras eu les yeux un peu humides au moment de la photo, ton grand, ta grande, déjà plus un bébé. La fête aura été belle pour célébrer quoi, cinq ou six ans, peut-être un peu plus, de la vie de ton enfant. 
Il y a sur la vitre un coeur dessiné. Un vieux coeur au rouge passé qui se voit depuis ma fenêtre. Il est là depuis la fête, délavé par le soleil et mille poussières du temps. Mais il s’accroche, seul survivant à témoigner.
Tu penses souvent à cette fête, quand tu viens fumer sur le balcon, les yeux un peu mouillés.



  • 19.3.22

La femme au balcon XXVIII

Nous avons nos deux fenêtres entrouvertes sur la rue. Face à face, on évolue chacun chez soi, sans se connaître. On voit nos gestes, nos va-et-vient, nos visages du matin que l’on préférerait cacher, nos peurs et nos joies se blottir ensemble le soir quand nos cigarettes au balcon se croisent. On entend nos voix, nos bruits quotidiens et dans nos pensées volatiles, nos renoncements comme des claquements incontrôlés passent d’un balcon à l’autre. Tant de choses filtrent et traversent la rue sans que l’on en soit partie prenante. Quelques mètres de vide seulement nous séparent et cela suffit pour nous donner une illusion de protection. La proximité est une présence que l’on préfère ignorer. On la sait là, impossible à éviter, mais on souhaite préserver notre intimité, du moins on fait comme si on pouvait. On se voit tous les jours dans un miroir. Le reflet ne nous renvoie pas notre image mais à notre refus de voir l’autre, de l’intégrer dans le paysage. Plus le temps passe et plus cette absence s’impose. Nous, la femme au balcon et l’homme derrière la fenêtre, formons une seule et même solitude, rien de plus proche ne peut nous arriver.
  • 17.3.22

La femme au balcon XXVII

Entre deux averses, elle a ressorti son cahier à spirale. Bleu, un Clairefontaine, il me semble. Cigarette au bec, bien installée au balcon sur sa caisse en bois, elle écrit avec un stylo quatre couleurs. Comme tout le monde, elle n’utilise que le noir. Bleu noir et le rose du balcon. Elle pourrait utiliser le vert. Mais personne n’utilise le vert. Elle réfléchit, un instant, cherche une inspiration en remplaçant dans sa bouche la cigarette par le stylo. Un tour de langue et elle revient à sa page pour tracer des lignes avant le retour de la pluie. 
Le cahier posé sur ses genoux glisse parfois, voudrait s’échapper dans la rue pour aller chercher d’autres couleurs. Elle le rattrape de justesse et continue à griffonner jusqu’à ce que la fumée de sa cigarette, toujours accrochée à ses lèvres, lui pique les yeux. Elle lâche tout, cahier, stylo, cigarette et toutes les couleurs qu’elle voulait écrire.
  • 15.3.22

La femme au balcon XXVI

On annonce une semaine de pluie continue. Et ce matin, j’ai du mal à voir les balcons. À travers la pluie, ils sont flous. Leur peinture rose bave sur ma fenêtre. Il faudrait éclaircir la vue comme on règle l’autofocus d’un appareil photo. Ou bien repeindre les balcons pour qu’ils se fondent avec la couleur du temps. Finalement, qu’ils disparaissent.
Avec ce temps, la femme au balcon ne sort pas. Je me demande si elle a un plan B lorsqu’il pleut. Un autre endroit pour fumer à l’arrière de son appartement. Une autre fenêtre sans balcon mais qui donne sur une petite cour. Ou peut-être qu’elle s’autorise ces jours-là à fumer à l’intérieur. Une entorse à son règlement. Il se peut qu’elle aussi ne voie plus très bien le balcon à travers les plis de l’eau. Qu’elle pense que son balcon disparaît les jours de pluie.
Il se peut qu’on annonce cette semaine la disparition des balcons.



  • 12.3.22

La femme au balcon XXV

Tu parles fort ce matin. Alors que la pluie menace, tu prends le balcon comme siège d’une petite colère. Tu cries ce matin. Tes mots s’élèvent dans la brume, téléphone en porte-voix. J’entends ton correspondant essayer de répondre tant bien que mal à ton énervement. Mais rien n’y fait, il ne peut pas parler. 
Ton corps se met à bouger dans tous les sens, nerveux, piqué de tics, de mains dans les cheveux, gesticulations vaines, bras levé au ciel à plusieurs reprises comme une alerte à la rue. C’est la seconde cigarette que tu allumes. Tes paroles se déchirent dans le combiné, à ne rien comprendre de ton propos. Je ne veux de toute façon pas savoir de quoi il en retourne. De quelle blessure vient cette soudaine colère, ni à qui tu t’en prends à l’autre bout du fil. 
Tu cries ce matin et la rue ne réagit pas. Je n’espère rien d’autre que le calme. Que ton visage revienne, que tu te rassoies sur ta caisse en bois, que tu fumes lentement, apaisée. Tu lèves encore une fois le bras. De la cendre tombe sur tes cheveux. Tu raccroches. Il pleut.
  • 10.3.22

La femme au balcon XXIV

Il faut bien l’avouer la plupart du temps le balcon est vide. Comme tous les autres balcons de l’immeuble d’en face. Les garde-corps rose foncé qui les entourent gardent les corps bien à l’intérieur. On voit bien, de passage à travers les fenêtres, quelques silhouettes trembler mais des appartements, de ce qui s’y trame, rien ne dépasse. 
Il faut bien l’avouer, la plupart du temps, c’est l’absence qui est la plus présente. Balcons vides avec leurs traces anciennes, leurs vestiges que l’on a sortis car ils encombrent le dedans. Vieilles boîtes, poubelles, gros cendriers, vieux aspirateurs décatis, plantes sèches, morceaux de meubles qui fondent sous les pluies. Tout ce qui gène ou ne trouve pas de place ailleurs est déposé là, donné en offrande à la rue. L’absence dans ces rebuts montre tout de même que derrière les fenêtres, il y a bien une vie calée dans son empilement de solitudes. Alors évidemment quand s’ouvre une fenêtre, qu’un corps s’expose, c’est comme une renaissance. Comme si, pour un instant, on rhabillait de propre les balcons.



  • 8.3.22

La femme au balcon XXIII

Hier soir, elle est sortie avec un verre de vin blanc. Un joli verre à pied, bien rond comme elle. J’ai vu qu’elle était un peu saoule car elle parlait plus fort que d’habitude, plus fort que les jours ordinaires lorsqu’elle murmure à son téléphone des choses qu’elle ne veut pas que la rue entende.
C’était une soirée entre amis. Les allées et venues sur le balcon étaient nombreuses. Ça défilait deux par deux pour fumer laissant la fenêtre ouverte sur la musique diffusée dans le salon. Un musique de fond, de ces playlists que l’on trouve toutes faites sur des applications dédiées. Et ils se sont appliqués à danser lentement avec leurs verres à la main, à venir fumer sur le balcon, un peu gais, un peu saouls. 
Hier soir, elle est sortie avec un verre de vin blanc. C’était la fête à la maison. L’ambiance était chaleureuse. La musique faisait dodeliner les têtes. L’alcool chassait les guerres. 
Ce matin, à côté du cendrier plein, deux verres à pied joliment ronds sont restés sur le balcon. J’ai l’impression qu’ils chuchotent entre eux, des choses que la rue ne veut pas entendre.
  • 7.3.22

La femme au balcon XXII

Je vois son visage éclairé de bleu, son pouce tapote sur l’écran du téléphone. Ses mains se déplient, ses doigts s’affolent avant de valider un message ou un commentaire. La droite remonte pour tirer sur la cigarette. La gauche reste sur le téléphone. Le bout incandescent se reflète sur l’écran bleu. Retour sur le défilement des pages après un passage par le cendrier. Scroller, toujours plus, le pouce est un ascenseur à sensations. Elle attend la réaction de son correspondant : une réponse, un like ; juste la dose d’adrénaline qui accompagnera celle de nicotine. Je vois la cendre, molle, qui tombe dans la rue. Son corps toujours courbé puis une seconde cigarette allumée avec le mégot de la première. La bouffée pour démarrer le feu du tabac est toujours la plus longue, la plus intense. Elle tire fort et sa poitrine gonfle avant de souffler tout aussi longuement la fumée comme une délivrance. Le voilà le like, petite éclipse dans les yeux. Affolement des doigts sur l’écran. La nuit épaisse et vaine autour d’elle l’ignore. Le lampadaire grésille. Le téléphone s’éteint, son visage aussi. Je vois la femme au balcon tousser en se relevant, un œil sur ma fenêtre. Elle se tourne dans un déplacement furtif et rentre chez elle comme si elle ne m’avait pas vu.
  • 4.3.22

La femme au balcon XXI

Je me suis levé trop tôt. Trop tôt pour qu’elle soit déjà là. Elle dort encore paisiblement. Seule ou avec son homme, je ne sais plus. J’ai perdu le compte des semaines, celles seule avec ses enfants et celles sans enfants où elle peut accueillir son amant. Semaines paires avec et semaines impaires sans. Ce devrait être simple mais il me semble que cela change tout le temps.
Bref, elle dort, n’a pas envie de fumer et donc de sortir sur le balcon. Je me demande à quoi elle rêve en ce moment. Pour ma part, souvent, je rêve que je fume et ce faisant, je me réveille avec dans la bouche une irrésistible envie de fumer qui me pousse à me lever. Quelle que soit l’heure. Peut-être que c’est la même chose chez elle. Je ne sais pas. Je ne sais rien d’elle, de toute façon. De ses habitudes, de sa vie en général. Je sais qu’elle fume au balcon, assise sur une caisse en bois, qu’elle a deux enfants certaines semaines, un homme d’autres semaines. C’est peu mais assez. Je ne demande pas plus. Je ne veux finalement pas savoir de quoi elle rêve, ni quelle est sa vie. Je veux juste continuer à fumer quand j’en ai envie, qu’elle continue à sortir sur le balcon et imaginer le reste.
  • 3.3.22

Kif-kif

On commence une discussion puis on regarde ailleurs.
 
Par la fenêtre, une ombre sur le mur comme une aile.
 
Il s’agit de savoir si l’on dit Kiev ou Kyiv.
 
Ou si sur le mur la guerre avance.
 
C’est kif-kif, dans nos têtes que du bruit.
  • 2.3.22

Mardi Gras

Mardi Gras sur un banc en face des bureaux, un pigeon finit un reste de sandwich américain.

Mardi Gras dans les bureaux, nous sommes restés masqués pour l’occasion.

Mardi Gras et le pigeon un peu plus gros s’envole tandis que tombe un peu de confiture sur mes souliers.

  • 1.3.22