Le râle

La maladie te tenait et tu la combattais d’un râle régulier comme si à chaque seconde tu devais faire l’effort de vivre. La douleur devait déjà t’envahir mais tu n’en disais mot. Avec quelle langue tu aurais pu mettre des paroles sur ce qu’il se passait alors qu’aucun mot, même pour dire le bonheur, ne te venait en bouche ? Personne ne savait que ce cri étouffé entre tes lèvres était ton langage, ta parole enfouie, ta seule expression pour ne pas avoir à dire. 

Ce soupir éraillé, c’était toi, ta marque de fabrique que tu mettais dans la lutte. On prenait ça pour un sale tic, un mâchonnement dans ta barbe, le résultat de ta puissance d’homme, de ta force poussée à bout. Comment aurions-nous pu comprendre, alors que juste après tu esquivais un sourire, un éclat de bien-être aussi transparent de vie qu’un baiser offert ?  C’est que ça devait te soulager d’ainsi cracher un morceau, aussi infime soit-il, de ce qui te prenait le ventre, te cadenassait encore un peu plus du dedans.

Et lorsque d’efforts tu ne fis plus, le vide de toi s’est creusé dans nos joues. Le râle disparu, c’était toi qui disparaissais. Comment aurions-nous pu savoir que vous étiez si intimement liés ? 

  • 31.8.13

La chambre oubliée


C’est par quelques trous que le jour entre. Au travers des vieux volets vermoulus rabattus en clé sur la chambre. Par le vieux bois aux interstices bedonnants, la lumière se fraye un chemin, une lumière refoulée et grise à cause de la réverbération du mur d’en face laissé à l’état brut. Le ciment grossier qui le patine avale la lumière pour la recracher comme mâchonnée de tristesse.

C’est là que le temps passe à deviner dans les nuances de gris la couleur du jour. Les lignes souriantes, celles des après-midi les plus clairs, enduisent la pièce d’une gaieté frelatée. Chaque rai de soleil gonflé par l'envie de luire tape le bord du lit pour rebondir sur la tapisserie à grosses fleurs fanées et finit sa course au creux de la grande armoire vide, se retrouvant ainsi piégé par excès d’orgueil. Les anonymes, les réguliers, ceux que l’on devine dès leur entrée comme des gris insipides se prennent les pieds dans la poussière et disparaissent en fumée avant même d’avoir pu dégager une quelconque clarté. Seul le noir des plus gros nuages arrive à percer la fenêtre pour napper un peu plus de pénombre la chambre oubliée.

C’est là que la vie se trempe dans les ténèbres, pièce réceptacle à solitude et turpitudes. Tout semble rassembler pour broyer le gris, seul admis à passer la fenêtre. Il y fait bon enliser tout cafard boiteux qui n’arrive pas à se dissoudre dans la lumière vive du dehors. C’est là la chambre oubliée, celle qu’on a délaissée parce qu’inusitée. La chambre du petit qui est parti.


  • 17.8.13

Ce sont des nuits

Ce sont des nuits, des nuits fraîches à remonter la couette roulée en boule au fond du lit. Des nuits au sommeil agité, interrompu par le bruit dans le couloir, des pas lourds qui tapent les marches noires. Lumière éteinte, à tâtons, il entre. Ce sont des nuits qui ressemblent à des rêves, l’angoisse engourdie au bout des pieds. L’escalier dit ce qui ne se voit pas. Les marches projettent sourdes les images qui se combinent pour créer la scène. Et yeux clos, elle se déroule cinétique et muette.

Ce sont des nuits glaçantes, en noir et blanc. Un pas pour chaque marche, un souvenir pour chaque bruit. Il entre. Sa tête en cinémascope, gueule de bois et cheveux en lutte. L’étrangeté du rêve et le vivant mêlés composent, décomposent par séquences précipitées. En haut des marches, la caméra subjective filme depuis le plafond, tourne sur le haut de sa tête, file le vertige au spectateur endormi comme le réel se prend à tituber sur son intempérance.  Il entre. Reste figé sur la pellicule du rêve, tousse pour de vrai dans le souvenir puis s’en retourne à dégriser. 

Ce sont des nuits à remonter le temps, à cingler la couette à grands coups de regrets.  Des nuits à se repasser le film en boucle, du couloir à l’escalier, du palier à la salle de bains, des nuits à refaire le passé. Pour finir réveillé et écœuré à vomir son manque sans lever la lunette des WC.

  • 11.8.13