Rien

Un crocodile doit bien bâiller quelque part, un orang-outan s’étirer entre deux arbres, une mouche éternuer en se réveillant, une libellule roter après son petit-déjeuner, un moustique désespérer devant une peau couverte de la tête aux pieds, un coléoptère doit bien cligner des yeux sous le soleil, une petite antilope courir dans une herbe gelée de rosée, un rhinocéros se limer les cornes contre un tronc flottant, un lion rugir de solitude dans la savane… Et j’en passe. Tandis qu’ici je ne fais rien, mais alors vraiment rien.
  • 30.8.23

Des fois que

J’écoute à la fenêtre tomber la pluie, petites lignes qui s’étirent avec plus ou moins d’élégance. Elle part, revient. Je sais que je ne peux rien en retenir. De sa rectitude béate, de sa fraîcheur, de son odeur un peu aigre, je me repais. Et quand je dis qu’elle manque d’élégance, ce n’est que pour la pousser un peu plus loin ; qu’elle vienne, vexée, parler à ce qui pleut en moi. Des fois que l’on se comprenne.
  • 27.8.23

Petites lâchetés

Aujourd’hui aura son lot de petites lâchetés que l’on n’avouera qu’à nous-mêmes. Compromissions comme des prisons dont les barreaux imbéciles nous encerclent. Évidemment, les sourires seront là pour masquer les visages. Les étirements répétés des sourcils feront taire les questions. Quelqu’un passera une main dans les cheveux, juste pour se donner de la contenance, ne pas répondre à ce qui engonce. Un autre changera de discussion, jouant du contrepied avec une dextérité qui ne trompera personne. On se dira la météo, tout juste le nez relevé de nos smartphones. Rentrée de septembre, il fait chaud pour la saison. Comment va le petit dernier ? Et on pensera à tout autres choses. Tous un peu pleutres.
  • 25.8.23

Copier-coller

Une longue robe sort de la nuit
Trainant son sac et des colliers
De paroles orphelines à voix haute
S’adresse à la rue fait de l’ombre 
Aux murs pleins de brume chaude 
Je vois dans la robe la femme
Sans qu’elle me voie il faudrait
Découper sa silhouette avant
Qu’elle se disperse la copier-coller
Dans un carnet pour ne pas l’oublier
  • 24.8.23

Un peu d’eau

On prend un peu d’eau dans l’air figé
L’été paresse dans les allées de jambes
Le sang qui nous traverse change de bord
Gargouille sous les toits une chanson douce
Sa petite mélancolie pique un fard  
L’eau se charge d’en diluer le charme
  • 22.8.23

Au plus fort de l’été finissant

Là, au plus fort de l’été finissant, sous un ciel blanc 
Alors que je suis assis à retaper de vieux moulins à paroles
Un vieil homme passe, me voyant courbe l’échine
Ses yeux cherchent le vide dans le vide 
Là, me lance au plus fort du finissant, un regard blanc
Comme une invitation à partager sa mort
  • 20.8.23

Grésillements

La lampe a des ratés, il faudrait changer l’ampoule
De petits soubresauts de lumière, grésillements 
Dans ma tête d’anciennes incandescences, vieilles 
Lubies datant des boutons en porcelaine s’échappent 
J’attends que le filament claque, ça ne viendra pas
  • 18.8.23

Diapason

Continuer la nuit à ras de jour la joie posée 
Sur la crête d’un rêve : écouter le battement
Comme on écouterait la mer dans un coquillage 
Ne pas croire à ses tempes qui bourdonnent 
S’imaginer musique lente à son diapason
Rester là à compter les temps de respiration 
Les signaux faibles que le jour donne en écho
  • 17.8.23

Poetites annonces 1

Particulier en mal d’air pur 
Recherche éventail à sornettes 
Pour venter et chasser
Intrus et mauvaises humeurs 
Guignols et acariâtres s’abstenir
  • 16.8.23

Samuel Beckett, Watt

« Alors Watt dit, à serrure simplette clef complexe parfois, mais jamais clef simplette à complexe serrure. Mais à peine dits ces mots, Watt les regretta. Mais trop tard, ils étaient dits et ne pouvaient jamais être oubliés, jamais dédits. Mais un peu plus tard il les regretta moins. Et un peu plus tard il ne les regretta plus du tout. Et un peu plus tard il les goûta de nouveau, comme s'il les entendait pour la première fois, si suaves, si câlins, dans son crâne.
Et un peu plus tard il les regretta de nouveau, amèrement. Et ainsi de suite. Tant et si bien qu'il finit par parcourir, à l’égard de ces mots, toute la gamme, ou peu s'en faut, du remords et de l'euphorie, mais surtout du remords. Et il n'est sans doute pas sans intérêt de constater ce comportement, dans la mesure où Watt en était coutumier, dans ses rapports avec les mots. Et si quelquefois il suffisait d'un moment de réflexion pour fixer son attitude, une fois pour toutes, envers les mots qu'il lui arrivait d'entendre, dans son crâne, de sorte qu'il les aimait, ou ne les aimait pas, plus ou moins, d'un amour inaltérable, ou d'une inaltérable aversion, cependant le cas n'était pas fréquent, non, mais à force de penser tantôt une chose, tantôt une autre, il finissait le plus souvent par ne plus savoir que penser des mots entendus, dans son crâne, et fussent-ils aussi clairs et modestes que ceux précités, d'une signification aussi évidente et d'une forme aussi inoffensive, ça n'y faisait rien, il ne savait plus qu'en penser, d'un bout de l'année à l'autre, s'il fallait en penser du mal, ou du bien, ou rien du tout. »

Samuel Beckett, Watt, Éditions de Minuit, 1969

  • 15.8.23

Et autres verbes en l’air

Que faire des mots qui abondent 
Avec la puissance d’un jet de fontaine 
Sans en mettre partout sur la langue
Le menton la gorge jusqu’aux pieds
Mots bruts gouttes d’eau informées 
Par ne sais quelle presse bien mal acquise 
Bouger laisser couler et autres verbes en l’air
  • 15.8.23

La lumière d’août

La lumière d’août colle les murs
Le jour n’a pas encore démarré 
Qu’elle se chamaille avec une ombre
Puis revient faire le Roi du silence 
Au beau milieu de la fenêtre 
Clin d’œil et de nouveau s’agite 
Sur le pare-brise d’une auto en fuite 
La lumière d’août est une enfant 
À qui souvent je parle sans qu’elle m’écoute
  • 13.8.23

Sous le tilleul

Ce n’est pas le tilleul avec ses feuilles taillées comme des larmes qui fera bouger les choses. Des dizaines voire une centaine d’années qu’il est là et n’y pourra rien changer. Le temps est ovale, aussi bondissant qu’un ballon de rugby. Il roule cahin-caha pour se perdre entre des poteaux lointains. 
Tout appliqué à écrire ces lignes, le tilleul me parlant tout bas, avec la sagesse que l’on prête aux arbres, je ne l’ai pas vu passer, le temps. Quatre phrases ont suffi à me faire oublier mes ruminations matinales qui avançaient redondantes et trébuchantes. C’est peut-être et avant tout pour cela que j’écris : oublier le temps.
  • 11.8.23

Ablutions

Là sur un banc près de l’église 
Un homme de tout son long dort 
J’écoute la ville faire ses ablutions 
À l’eau de la fontaine permanente
Dont le cliquetis ou le gargouillement 
À coup sûr se trouve dans le rêve 
De l’homme sur le banc dormant 
Sous forme de flots ou de grand pré 
De cascade ou de joli ruisseau 
Ou plus prosaïque d’envie d’uriner
  • 10.8.23

Un bras sur votre épaule

Un bras souvent descend sur votre épaule 
À l’heure où tout commence à se calmer
Les corps ralentissent sous la rumeur
Les bruits sous cloche n’ont plus d’échos
Si on savait le peser, l’air y serait plus léger 
Ah ce qu’il enlève de poids, ce bras invisible
Qui après l’heure de midi descend vous enlacer
  • 9.8.23

À nos petites folies

On a allumé le vent, celui qui rend fou
La ville perd la tête, nous voilà fadas
Ici on ne le claironne pas mais on pense
À nos petites folies qui festonnent 
Entre les bourrasques et nos mâchoires 
Oh fada ! on s’en balance, on reste là 
On attend Landolfi pour nous sauver

(Pauème de Marseille, à lire aveque l’accent)


  • 7.8.23

Comme un bonhomme

Je retiens l’instant, ce qui me traverse et veut sortir des yeux. Je retiens parce que je suis un bonhomme ! Mon père disait ça quand les émotions l’étreignaient : je suis un bonhomme, on est des bonhommes et se tournant vers moi, il cherchait l’acquiescement. 
Je retiens l’émotion comme on enlève sa main du feu. Par réflexe. Je ne pense pas à mon bonhomme de père, je me retiens. 
Ce n’est pas la peine d’étaler ses misères. Il disait ça aussi : n’étale pas tes misères, ça n’intéresse personne ! Ce n’est que de l’orgueil tout ça, une petite blessure qui guérira toute seule. Et aujourd’hui me tournant vers la fenêtre, le regard porté loin vers le manque, je me cherche une poussière dans l’œil pour sécher discrètement mes larmes. Comme un bonhomme.
  • 4.8.23

Des signes au loin

L’enfant seul fait des signes au loin
Il n’est qu’une tache noire des bras
Au-dessus s’agitent les mains 
Il fait avec pouce et index des ronds 
Des flèches des formes traversées
Lève un doigt en baisse quatre
Et combine dans l’air fatigué 
Il signe à un oiseau ou à lui-même
Je ne sais pas mais je l’envie
  • 3.8.23