Fatigue nouvelle

Le jour descend de son échelle,
avec lui l’absence.

Je pèle une mandarine, 
sous les ongles une fatigue
nouvelle comme la saison. 

Je pèle, épelle ton nom,
dessine les lettres
avec les peaux pleines de jus.

Le jour descend de son échelle
ou bien est-ce d’un arbre,
d’un vieux mandarinier
qui fait de l’ombre.

Tu préférais les clémentines,
je crois — le souvenir fond
sous ma langue.
  • 12.9.25

Le bras

À l’heure où tout commence à se calmer,
un bras descend sur votre épaule.
Le corps ralentit sous la rumeur,
les bruits sous cloche n’ont plus d’échos.
Si on savait le peser, l’air serait plus léger.
Oh ce qu’il enlève de poids ce bras invisible
qui après le jour descend vous enlacer.

2023
  • 4.9.25

La langue dans le corps

Je me réveille avec la langue dans le corps.
Je veux dire : la langue comme parole, qui s’écrit et court dans le corps.

Un sang pris sous les ongles.
Une bosse sur le front.
Un bouton rouge près de la bouche.
Le cheveu pauvre, le poil rêche.
Un cor au pied, et un pied-à-terre dans le dernier mauvais rêve.

Autant de manifestations de la langue qui puise et s’épuise, de petits abcès sur et dans la peau.
Quand le corps parle trop, rien ne s’écrit sans fracas.

2022 
  • 29.8.25

Les amants

La ville est un puits de lumière. Elle absorbe tout, le ciel et ses oiseaux. Depuis plusieurs jours, ils se sont fait la malle. Ils jouaient sur les murs, entre les ombres tournoyaient, dessinaient arabesques et graffitis dans un concours qui semblait ne jamais s’arrêter.

La ville est belle le matin comme une amante dans son lit. Elle remue doucement et efface tout d’hier. Page blanche avec une envie de recommencer dans les yeux qui la rend attachante. La lumière et l’oiseau reviendront, ce sont de vieux amants inséparables.

2023
  • 25.8.25

Flux

La place donne la note du jour,
assise là sous les grands platanes.

Elle dote la ville d’une portée,
d’une double-croche de paix à saisir. 

J’y lis Woolf dans son flux de conscience,
saute entre ses sons de cloches

et ceux de l’église toute proche
— je vais avec le temps, Virginia.
  • 23.8.25

Moellons

Par la fenêtre, des bouts de murs,
fragments de rue,
fragments d’espaces,
qui tiennent tous dans la tête. 

Des rangées de moellons
se rassemblent sous les ombres,
aussi bien alignés que des soldats
— on dirait qu’ils bougent 
d’un mouvement perpétuel,
absents au regard mais
tenant le chemin aux pensées. 

De quoi écrire une maison
sans se salir les mains
avec cette voix qui construit
des passages secrets.
  • 22.8.25

Qui de nous deux

Un sourire avec les yeux rencontre un visage, et les corps se rétractent : les bras se croisent, les mains cherchent un cou qui se dérobe, l’œil file loin, derrière le paysage. On croit y voir le reflet noir des montagnes et, à côté, nos cœurs plongés dans l’eau de mer. Ce n’est qu’un raté d’ouverture – une panne, une rencontre avortée – qui nous piège dans les plis de l’instant.
Qui de nous deux a effacé l’autre ?

2021
  • 19.8.25

Faire silence

Le jour traîne encore des pieds.
Il faudrait apaiser la mémoire,
tenir l’oubli comme une promesse,
faire silence de tous les bruits,
en appeler à l’oiseau de passage,
et de lui tenter de comprendre
l’envol et la suspension
pour un peu soulever la poussière
qui colle à nos souliers.

2021
  • 17.8.25

Dans le coin

Je regarde un coin de ciel
se découper entre les rideaux.

Un nuage qui s'effiloche
dessine une herse sur son dos.

Il faudrait caler cette déchirure
entre deux tasseaux pour éviter

qu’elle ne tremble sans cesse
au-dessus de ma tête.

2018
  • 12.8.25

Les sœurs

C'est l'instant attendu :
par la fenêtre viennent
quelques fragments de ciel.

Les soeurs Lumière et Ombre
ferraillent sans rien déranger,
tout en accueil d’autres présences.

La nuit peut venir, elle a son lit.
  • 6.8.25

Exclamation

Un nuage pas plus gros qu’un point passe sous un ciel fragmenté de virgules comme des soupirs. Tu poses ton ombre entre deux rochers. Pour une heure, seul avec la pauvreté du relief, ta langue joue à former des mots comme des ballons qui prendraient de l’altitude. Mais la phrase manque d’air, elle se cache sans que tu parviennes à en extraire le sens. Une vague, quelque inertie plus loin et le poème crie toujours famine. Une virgule attend l’envolée ; le nuage pas plus gros qu’un point, une exclamation.

2018
  • 5.8.25

Quelqu’un va

Quelqu’un va dans la rue 
dansant sous le vent léger 
comme le ferait une robe 
entre une paire de jambes. 

Pas de musique mais des pas
cadencés par un ciel métronome.
C’est l’été qui bât son mystère,
joues rouges et talons hauts. 

La mélancolie heureuse sur le pavé,
quelqu’un va dans la rue
en portant sur son dos un baluchon
de mots usés à jeter à la mer.

2021
  • 2.8.25

Visages

Parfois ce sont de vieux visages 
qui viennent trembler à la fenêtre.

Sans s’annoncer, une autre image
remplace le cadre du réel.

Un soleil pour ces autres
sous un mirage les brouille.

Des anciens, des oubliés
revenus de l’œil de la mémoire.
  • 30.7.25

Bleu du fond

Malgré la fatigue des gestes,
les renoncements mal assumés,
le désarroi qui parfois affleure,
ne pas toucher le bleu du fond.

Faire avec les fissures de l'âme
comme si on reprisait nos frusques,
chercher l'aiguille dans la botte,
ne pas avoir peur d'espérer.

2019
  • 24.7.25

Couleur du jour

Le vent prend dans ses bras
les plis et replis de la mer.

La couleur du jour
pourrait être mauve
si on s’attardait 
sur les couches de suie
laissées par la nuit. 

La couleur du jour 
pourrait être fauve 
si on prenait le vent
dans nos bras,
si on le plaquait sur le sable.

2019
  • 13.7.25

Erreur de rêve

Elle est entrée dans mon rêve aussitôt sortie de celui d’un autre.
J’ai vu qu’elle venait d’un autre rêve à sa tête, à son allure, et surtout à sa chevelure blonde.
Je ne rêve jamais de filles blondes — puis son accent n’était pas d’ici.
Je rêve local, habituellement.
Elle portait autour d’elle le décor du rêve précédent, ou d’un rêve simultané — allez savoir.
Un halo blafard l’encerclait.
Elle marchait lentement dans une ruelle sombre.
Elle me scrutait avec bienveillance, mais son regard était encore pour l’autre, le rêveur précédent.
Un blond, assurément, qui devait se trouver désemparé derrière elle, à l’autre bout de la ruelle, planqué dans une porte cochère, à regretter de la voir doucement s’enfuir de son rêve.
Je voyais qu’elle ne se sentait pas à sa place, à piétiner ainsi mes chimères.
Mais, comme deux inconnus qui se croisent avec l’impression de s’être déjà vus, sans savoir quand, comment ni pour quelle occasion, elle m’a décoché un sourire tendre et confus.
Un sourire pour se donner une contenance, parce qu’elle ne savait pas ce qu’elle fichait dans mon rêve.
Elle voyait bien que, même si on s’était croisés un jour, elle ne devait en rien apparaître dans mes rêves — que c’était là, tout de même, un manque incroyable de savoir-rêver !
Elle a marché longtemps — enfin, le temps de mon rêve : quelques millièmes de seconde — puis a disparu, rattrapée par ses propres rêves, au sein desquels jamais n’apparaît quelque homme brun.

2016
  • 9.7.25

Coucher

Cet arbre au dos voûté 
voudrait m’envoyer un message.

Me dire le poids des années
sous des ciels trop pleins de lumière. 

Ou bien m’indiquer la position
à adopter — coucher avec l’horizon. 

Une fatigue, pour trouver la beauté
juste à l’endroit de ses courbes.



  • 7.7.25

Œil fendu

Le soleil rase les toitures de zinc, la ville étire ses longues jambes. Derrière un mur, quelqu’un regarde le ciel comme s’il allait flamber.

L’heure a beau faire la belle, l’angoisse fait son train. Tapi dans l’ombre des tours, quelqu’un racle sa gorge, l’œil fendu face au crime du petit jour.

2020
  • 3.7.25

Plaine

Et c’était mordre la neige,
cette sensation dans le ventre.

Un regard, puis le vide autour,
une plaine où l’on perd la voix,

tant le froid envahissait la parole,
dérèglait les sens, quand tu es partie.
  • 2.7.25

Rasade

Une rasade de soleil dans le café
et toute la parole s’exile.

Peu de mots viennent à moi
pour espérer la rejoindre.

Un courant d’air me surprend,
une onde plate au niveau du sourcil.

Je cherche dans le ciel trop bleu
une insouciance à qui sourire.

2018
  • 19.6.25