La femme au balcon




La femme au balcon
suivi de À la rue 
Tarmac Éditions 

La femme, bien qu'installée au balcon d'en face, est proche de ma fenêtre. Seule la rue, étroite, nous sépare, si bien que j'ai l'impression qu'elle apparaît dans mon salon. Je la ressens, je tourne la tête vers la fenêtre et elle est là. Comme un fantôme familier soufflant dans le petit matin sa buée de nicotine sur mes carreaux.

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Heureux enfin de l’avoir dans les mains. 🙂
Le livre est disponible en librairie ou sur le site de l’éditeur que je remercie une nouvelle fois chaleureusement.



  • 13.12.24

La femme au balcon

Il y a un calme étrange ce matin sur les balcons. La chaleur n’est pas encore arrivée. Chaque fenêtre peu à peu s’éveille, étire ses longs volets comme on le fait de nos bras. Et ça craque. On entend les os de la rue se déboîter. Ici une épaule grince, là on joue des coudes pour bien démarrer la journée. Certains lèvent la tête au ciel pour aller cueillir le bleu qui dissipe les dernières poussières de nuit.
Il fera beau aujourd’hui. Beau et chaud.
Tu n’es pas en reste avec cette quiétude des premières heures. Tu es assise dans ta cuisine, les mains posées à plat autour de ton café, le buste droit. Je pense un instant que tu me regardes mais ce sont tes pensées que tu cherches à rassembler dans tes yeux vides. Il faudra remplir le jour, réunir réalité et rêve dans un même sac. On dirait que cela t’angoisse malgré le calme, malgré le ciel bleu.
Il faudra encore déplier un peu les bras pour sentir la vie.

La femme au balcon, Tarmac Éditions, à paraître le 12 décembre 👇
  • 5.12.24

L’hiver sera long

Elle lui dit qu’elle ne va pas passer l’hiver là, à tourner en rond. Que c’en est trop, ça suffit, basta !
S’ensuit une longue attente, le téléphone collé à l’oreille, bouée à laquelle elle s’accroche. Elle écoute son correspondant longuement essayer de la calmer. 
Hiver. Pas ici. Non. Trop. 
Elle place des mots du bout des lèvres, des débuts de colère pour l’entrecouper qui tombent de sa bouche en pure perte. Le téléphone sur sa joue est une île, un coquillage seul sur cette île ou une poignée qui n’ouvre plus rien. Elle raccroche. 
L’hiver sera long sur le balcon.
  • 21.10.23

Elle est chez elle

La nuit prend ses quartiers. Elle est chez elle, grignote les secondes puis les minutes, bientôt les heures et chaque jour qui passe, elle en veut encore plus. Cette vorace ! Le temps d’écrire ces lignes, elle a déjà mangé le dernier étage de l’immeuble d’en face.
C’en est fini des nouveaux rideaux jaunes de la fenêtre du milieu, disparus d’un battement de cils. Terminé le reflet mauve qu’animait le dernier rayon de soleil sur la vitre au-dessus du réverbère ; réverbère qui la laisse venir à lui, la nuit, avec ses grands airs de duchesse, avant de s’affoler de la loupiote comme pour la saluer. 
Et c’est déjà le second étage qui est consommé, puis le premier sur lequel elle tombe sans vergogne, mais plus lentement, en atterrissage doux. La nuit, dans sa majesté, nous accorde un dégradé de lumières et d’ombres pour enfin tout à fait recouvrir la femme au balcon fumant sa dernière cigarette.
  • 13.9.23

Brume contre brume

Elle sort et cherche le soleil. Un œil vers le ciel et l’autre vers moi. Je ne la regardais pas, pourtant nos regards se croisent. Je sais qu’elle déplore le gris du jour. Un gris qui s’étale dans la rue comme s’il voulait refaire façades et ciel, cœur tête et ventre des gens qui sortent le matin sur leur balcon pour voir le soleil. Nous sommes ces gens qui ne se disent rien, qui ne se sourient même pas. La nuit est encore trop présente sur nos joues, elle tartine du noir sur du gris, fait des ombres sur nos fronts, effraie nos pensées. Brume contre brume, j’efface la voisine de mon regard. Elle fait de même. Bonne journée.
  • 29.7.23

Il faut que je travaille, maman

« Il faut que je travaille, maman ».  Comme un mantra, la phrase est répétée avec une intonation qui dit la fatalité. « Il faut que je travaille, maman » est la réponse à tout. Dans le téléphone que tient la femme au balcon, elle est articulée nettement au bout de chaque propos. Maman parle, explique, essaie de tirer au clair la situation, s’inquiète pour sa fille puis se tait et accueille la phrase comme seule solution. « Il faut que je travaille, maman » fait ses gammes : la voix de la femme au balcon transporte lassitude et angoisse dans un même refrain. La phrase monte haut, culmine, redescend. Se module, expire, meurt. On pourrait en tracer la courbe, elle suivrait celle du chômage. Il. Faut. Que. Je. Travaille. Maman.
  • 15.7.23

Mais enfin !

Mais enfin ! Mais enfin ! Les cheveux de la femme au balcon sont tombés. Il ne reste plus qu’une vague touffe frisée en arc de cercle qui lui enserre le cou. La femme au balcon a perdu les cheveux. La femme au balcon a coupé ses cheveux. Une coupe au carré qui a fini en cercle ! La femme au balcon a perdu la raison. Une vulgaire mèche, vestige des temps passés, vestige des temps de la longueur, lui tombe sur les yeux. Elle la relève et l’attache à l’arc de cercle avant qu’elle ne retombe, lasse et molle. Ça m’agace. Ça doit l’agacer. Son visage ressemble désormais à une vieille lune ombrée par je ne sais quel coup de ciseau ennemi ! 
Mais enfin ! Mais enfin ! Que lui est-il passé par la tête ?
  • 30.6.23

Raccord

J’allume le jour avec la lampe du salon. Quelle prétention ! J’allume au moment où le lampadaire meurt sur la pointe du jour aiguisé comme un couteau. 
La lampe prend le relai pour dégager le reste de nuit qui émousse la lame. La rue se teinte. Orange. Elle a l’allure d’un vieille chemise délavée. Les couleurs fanées renaissent, lentement. Ce sera un jour de seconde main, mais un joli jour. 
Sur le balcon de la femme au balcon, pas de femme. Une petite couverture pend et bouge avec les couleurs. Motifs orangés, un peu passés. Raccord avec la rue, ma lampe et mes prétentions.
  • 18.6.23

La robe rouge de juin

Elle a mis sa robe rouge de juin. On dirait vraiment que la robe est pour juin. Pas pour un autre mois, mais pour l’autre. Celui qu’elle attend. Qui ne doit venir qu’en juin. Longue, la jupe. Longue, l’attente de l’autre sur le balcon.
Elle porte sa main à la bouche, ronge ses ongles. Elle porte les doigts nus. Je veux dire qu’elle ne les a pas peints. Elle s’est dit que le rouge de la robe suffisait.
La lumière est là sur le balcon. La lumière attend, aussi.
Elle fume beaucoup pendant l’attente. Une, deux ou trois cigarettes, je ne sais plus. J’en ai perdu le compte. Je me concentre sur le rouge de la robe, sur le rouge de l’attente et les copeaux d’ongles qui tombent.
  • 11.6.23

Comme un geyser

Tu croises, décroises nerveusement les jambes. Les points d’appui sont précaires, la zone exiguë. La cigarette entre tes doigts pourrait crier. Tu tires dessus en pressant les lèvres si fort que ton visage se déforme. Tu es prise de spasmes, souffles, ventiles, la fumée sort. Comme un geyser. 
Tu croises, décroises l’anxiété et ton corps rumine par saccades. Il faudrait te voir. Tu ne te vois pas, tes pensées sont bien trop imposantes pour un retour sur soi. Tu tiens comme tu peux dans ce réduit qu’est ton petit balcon.Tu pourrais déborder. Refuge et magma, comme un geyser.
  • 16.5.23

Elle vient et revient

Elle vient et revient sur le balcon. Craignant le crachin d’avril, avant de s’asseoir, elle regarde le ciel, fait une moue et s’installe. Sur son dos, une couverture en guise de bâche. Elle se recroqueville dans son espace réduit comme on se blottirait au fond d’un puits. Je ne vois que son dos, lignes courbes d’une petite montagne de duvet bleu. Posée sur le balconnet, son territoire à tabac et à téléphone, elle porte la voix jusqu’à l’appareil, fume, respire. Je sais qu’elle respire parce que la montagne bouge, vaguelettes de son cou jusqu’au bas du dos, poussées par le vent quand il crache ou les vibrations de sa voix qu’elle a, en alternance, aussi douce et violente qu’un temps d’avril.
  • 22.4.23

Comme on retrousse une chaussette

Elle est sortie en trombes et à chaudes larmes. Son visage a tourné sur lui-même comme on retrousse une chaussette. Elle a évacué tout ce qu’elle ne pouvait plus tenir dans un si petit corps. Elle a choisi le balcon pour une série de sanglots longs, d’abord retenus puis lâchés à la rue et à ma fenêtre. Ça a duré, respiration et haut-le-cœur se sont enchaînés la secouant mais lui donnant aussi force et élan pour les pleurs suivants. Ça a duré. Elle a fait de la peine à tout le quartier. Ça va ? Elle m’a vu démuni fixer son regard enflé par le chagrin. N’y tenant plus, la honte l’a rentrée chez elle comme par effraction. La femme au balcon a pleuré ce soir, beaucoup.
  • 6.4.23

La femme au balcon reçoit

Ce soir, la femme au balcon reçoit. Un groupe d’amis dans la cuisine, autour de la table, un verre à la main, tous largement empruntés, devisent de tout de rien. Les têtes cherchent de la consistance alors on dandine, quelques pas sur place, piétine, trépigne. On se cherche du regard, un appui qui permet de durer, d’exister, malgré les solitudes modernes qui réfrènent et donnent à l’assemblée une bonne humeur factice. Les sourires sont trop appuyés, les bouches sèches, la pointe des pieds un repère quand la gêne tangue.
Heureusement, l’alcool descend dans les poches pour soulager l’anxiété des mains, remonte jusqu’à la tête, fulgurant remue-ménage dans les méninges, et les maxillaires se détendent. 
La fête peut commencer et moi fermer les volets.
  • 24.2.23

La figure tordue

Elle s’est levée brusquement avec la figure tordue. J’ai cru d’abord à une douleur, un faux mouvement, son pied nu pris sous la rambarde du balcon ou quelque chose comme ça.
Il s’agit, je le sais maintenant, d’une mauvaise nouvelle qui lui est sortie du téléphone qu’elle tient en permanence dans la main.
Lèvre inférieure remontée sur la supérieure, moue des grandes peines, elle a fixé ma fenêtre mais c’est en dedans qu’elle posait le regard comme on pose une stèle. Noir le regard, aussi noir que ses cheveux. Tignasse dans laquelle, après cet instant flottant où j’étais gêné dans son champ de vision, elle a plongé ses mains, téléphone compris, les a relevés grandes mèches au ciel puis un œil vers moi est rentrée affolée chez elle.
La fenêtre est encore ouverte au vent. Les deux battants tapent régulièrement, l’un sur l’autre comme sonne le glas.
  • 21.2.23

Ça bouloche

Un haut en polaire d’un marron discutable, un marron qui lui-même ne croit pas à son couleur, sans parler de cette capuche avec, à l’intérieur, cette fausse laine de mouton qui bouloche dans les coins. Non vraiment ce sweat ne me dit rien qui vaille et le balcon le sait, il n’y diffuse pas la lumière habituelle. Il se dit : pas la peine de soigner l’éclairage si le costume n’est pas un minimum soigné.
C’est comme ça. Aujourd’hui, la femme au balcon est mal éclairée, mal attifée, en un mot : décevante.  Je me console en me disant qu’elle est raccord avec le temps, doux mais gris, un temps à sortir en polaire juste pour le courant d’air qui pourrait surprendre. Et ce n’est pas le rayon de soleil qui vient de rebondir sur une bouloche qui me fera changer d’avis.
  • 14.2.23

Ce matin rouille

Rouille. Ce matin, rouille.

Elle est descendue du lit, a enfilé son pull, ce vieux pull rouille qui lui sert de haut de pyjama, de robe de chambre, il est court mais lui couvre quand même les cuisses. Il est élimé, ça bouloche mais elle l’aime bien, il n’a rien perdu de sa douceur. Une maille de laine parce que la maison est fraîche, le matin.

Durant la nuit, elle baisse la température de ses radiateurs. Alors, au petit jour, le pull rouille, elle aime bien le retrouver sur le fauteuil crapaud. Les pieds nus sur la carpette, elle l’enfile machinalement. C’est un rituel de l’hiver, s’étirer tout en essayant de ne pas sortir les bras de la couette, se frotter les yeux, lâcher une bouche ouverte au jour qui filtre des volets et pieds nus, carpette et rouille.

C’est rassurant ces gestes quotidiens, rien qu’à soi, avant que ces deux enfants ne s’éveillent, crient, chahutent, dissipent la rouille dans laquelle elle aime s’envelopper.
  • 5.2.23

Quatre couleurs

Encapuchonnée comme un stylo quatre couleurs, tu marches vite devant moi. Tes jambes font des ombres en anneaux sur le trottoir, sortes de cercles qui varient en volume et intensité selon les caprices de la lumière que projète un grand réverbère. 

On avance tous les deux, l’un derrière l’autre. Quelques dizaines de mètres et je suis saisi d’un malaise. Si quelqu’un nous regarde, il pourrait croire que je te suis, toi avec ton bonnet quatre couleurs, ta silhouette en anneaux, tes petites jambes qui courbent le trottoir. 

J’accélère pour te dépasser, tu accélères aussi. Celui ou celle qui regarde, si quelqu’un regarde, ne comprend pas ce petit manège de couleurs et d’ombres. Car la mienne d’ombre, silhouette de grand échalas, te recouvre presque entièrement depuis que nous avons ensemble bifurquer rue Carlencas et que le réverbère derrière nous ressemble désormais à un gros spot en forme de lune couchante.

Nous continuons jusqu’au seuil de mon immeuble. Je m’arrête. Tu prends à gauche tandis que je prends mon temps pour chercher mes clés, les glisser dans la serrure ; tu sautes sur l’autre trottoir tout en faisant tourner quatre couleurs dans mes yeux qui te suivent en coin.
Tu es vite devant ta porte, penches la tête, me tends à ton tour le coin d’un œil et entres chez toi. 
Je ne t’ai pas reconnue, chère femme au balcon.
  • 28.1.23

J’en étais là

J’en étais à imaginer des trucs à suspendre dans la nuit : un accroche-lune basse tension, un trapèze à nuages solaire, un pèse-ombres connecté ou encore une ampoule LED belle. 
Je jouais à l’inventeur du dimanche, de ceux que l’on invite aux dîners de cons et dont on se moque du rire gras en riant encore plus bêtement.
J’en étais là quand il ne s’est rien passé de plus. J’imaginais qu’en imaginant des objets rocambolesques à vocation écologique bien de notre époque, quelque chose d’extraordinaire adviendrait. Le Eurêka du rêveur, le génie né d’une serendipité poussée à l’extrême. Eh bien, ça ne venait pas. 
J’allais renoncer, frustré, redescendre mon trapèze, décrocher toutes les accroches quand apparut par la fenêtre l’extraordinaire attendu. Pas une, ni deux mais trois femmes au balcon alimentées par trois belles ampoules LED vissés sur la tête : trois vierges Marie cerclées comme des anges basse consommation. Alléluia ! Dieu est grand ! Dieu répond ! Dieu est énergétiquemenf sobre !
  • 25.1.23

Par quelle magie ?

Le petit halo du réverbère tremblote moins que d’habitude 
L’impression qu’il prend de l’assurance chaque jour passant 
Son potentiel d’éclairage semble amplifié et infini
Par quelle magie de nuit, par quelle prise de confiance 
Irradie-t-il d’un cercle si parfait la toute petite surface 
Où vient délicate dans le soir se poser la femme au balcon ?
  • 27.12.22