Compassée ou concupiscente

Est-ce que j’ai rêvé, ce regard 
Levé sur le lointain de mon front 
Ces battements de paupières 
Qui ont épelé « gêne » quelque part 
Entre mes sourcils relevés 
Ou me suis-je imaginé une œillade
Plus compassée que concupiscente ?
Tant pis la passante est partie, tant pis
  • 25.9.23

Pépouze

Là à brosser les habitudes dans le sens du poil 
Qu’un chien passe, aboie, avec ce qu’il faut de retenue 
Pour ne pas dire qu’il hurle, que non la mort n’est pas pour aujourd’hui 
Qu’il est ici, pépouze, entre un pipi sur le réverbère 
Et le jappement qui vient juste après, lui aussi 
En train de brosser les poils de l’habitude
  • 23.9.23

Les vieux voisins

Par la fenêtre bien serrée, les vieux voisins regardent passer les gens de la rue. Les va-et-vient font leur monde à travers la vitre, sans bruits. Un cinéma muet, de quoi parler plutôt que rêvasser au plafond, craintifs des taches noires où s’arriment les fantômes du vieux lustre. Plutôt que de se regarder, voir dans leurs yeux la lumière passée et le silence redoutable de leurs pensées.
  • 22.9.23

La pente du toit

La pente du toit de la maison voisine me parle de l’ennui, des heures qui se chevauchent, tête-bêche jusqu’à en crever. L’histoire est mince, l’intrigue rebattue.  
Les tuiles, l’une sur l’autre en conciliabule, se gardent bien de développer. Elles sont là, efficientes contre les pluies, les soleils, les froids, les chauds, savent combien l’ennui germe sous le vert-de-gris, mais se taisent. 
La pente du toit, elle, bavarde, lance des idées brouillonnes, griffonne des soliloques fiévreux pour finalement rien n’en sortir. À quoi bon faire sens, me dit-elle, glisse… Pente de pluie, de soleil, de neige, continue à faire de l’ennui. Glisse et n’essaie pas de t’accrocher.
  • 16.9.23

Elle est chez elle

La nuit prend ses quartiers. Elle est chez elle, grignote les secondes puis les minutes, bientôt les heures et chaque jour qui passe, elle en veut encore plus. Cette vorace ! Le temps d’écrire ces lignes, elle a déjà mangé le dernier étage de l’immeuble d’en face.
C’en est fini des nouveaux rideaux jaunes de la fenêtre du milieu, disparus d’un battement de cils. Terminé le reflet mauve qu’animait le dernier rayon de soleil sur la vitre au-dessus du réverbère ; réverbère qui la laisse venir à lui, la nuit, avec ses grands airs de duchesse, avant de s’affoler de la loupiote comme pour la saluer. 
Et c’est déjà le second étage qui est consommé, puis le premier sur lequel elle tombe sans vergogne, mais plus lentement, en atterrissage doux. La nuit, dans sa majesté, nous accorde un dégradé de lumières et d’ombres pour enfin tout à fait recouvrir la femme au balcon fumant sa dernière cigarette.
  • 13.9.23

Pourquoi ?

Là dans le square à chercher pourquoi ces sales pigeons ont toujours faim, à me demander pourquoi les enfants au bout de la dixième glissade de toboggan crient encore et toujours leur surprise ; dans le square avec une envie soudaine de meurtre et la réfrénant me demander pourquoi n’a-t-on pas gardé des cabines téléphoniques, même vides, pour que les gens qui souhaitent parler fort à leur smartphone s’enferment dedans et ainsi évitent des assassinats trop trop bêtes, pourquoi ? À glisser une main dans mes cheveux et penser : pourquoi la calvitie précoce de ce trentenaire face à moi me rend triste ? Enfin mais pourquoi les deux jeunes femmes à la terrasse du café près du square, ensommeillées devant leurs cappucinos, regardent-elles les gens du square avec un tel dédain ? Pourquoi me regardent-elles ? Là dans le square. Pourquoi.
  • 10.9.23

La ville étire ses bras

La ville étire ses bras, fabrique avec les petits bruits éparpillés dans le ciel une mosaïque qu’elle colle sur les murs et dans les oreilles. Oiseaux, moteurs, bruits de pas et de roues de vélos. Cliquetis et voix d’enfants, murmures et sifflets, toux d’hommes et feulement de chats. 
La ville se réveille et compose avec ce qu’elle entend mais aussi respire, voit, boit, mange ; elle peint une grande fresque qui fera un joli jour à qui sait regarder et élargir les angles. Sans fatigue, tous les jours, elle déplie sa table d’artisan qui aime le travail bien fait et recommencé.
  • 9.9.23

La journée a de beaux yeux

La journée a de beaux yeux, un peu plissés, en amandes comme on dit ou alors en tout autre fruit sec. Des yeux secs avec un lueur mauve à l’intérieur, étrangement mauve pour la saison.
La journée a de qui tenir. De qui ? On ne sait pas. D’hier ou de demain. Allez savoir. Oui, allons savoir quel goût elle a, cette journée, cette couleur mauve, ces yeux plissés. Allons voir ce qu’il adviendra de ces sensations qui parcourent les yeux de la journée qui décidément sont bien tordues, bien étranges pour la saison.
  • 7.9.23

La nuit, cette affolante

Encore trop tôt pour y voir, la nuit tâtonne dans le couloir. À vouloir chercher des noises au dernier rêve, elle serre ses mains sur le mur des pensées. Presse si fort qu’entre les tempes circulent les cymbales des jours de foire, la fête en moins et le défilé d’ombres. La nuit, cette affolante. 
Un verre sur la table de chevet. Son eau tremble, chaque mouvement est une perte, circulaire, du bord au centre, au son des cymbales, au tambour des tempes. L’eau, le sang, les os, le corps. La nuit tâtonne, se cogne à trop de discours. Elle ne sait rien dire que des signes mal dégrossis. La nuit, cette affolante.
  • 4.9.23

Rien

Un crocodile doit bien bâiller quelque part, un orang-outan s’étirer entre deux arbres, une mouche éternuer en se réveillant, une libellule roter après son petit-déjeuner, un moustique désespérer devant une peau couverte de la tête aux pieds, un coléoptère doit bien cligner des yeux sous le soleil, une petite antilope courir dans une herbe gelée de rosée, un rhinocéros se limer les cornes contre un tronc flottant, un lion rugir de solitude dans la savane… Et j’en passe. Tandis qu’ici je ne fais rien, mais alors vraiment rien.
  • 30.8.23

Des fois que

J’écoute à la fenêtre tomber la pluie, petites lignes qui s’étirent avec plus ou moins d’élégance. Elle part, revient. Je sais que je ne peux rien en retenir. De sa rectitude béate, de sa fraîcheur, de son odeur un peu aigre, je me repais. Et quand je dis qu’elle manque d’élégance, ce n’est que pour la pousser un peu plus loin ; qu’elle vienne, vexée, parler à ce qui pleut en moi. Des fois que l’on se comprenne.
  • 27.8.23

Petites lâchetés

Aujourd’hui aura son lot de petites lâchetés que l’on n’avouera qu’à nous-mêmes. Compromissions comme des prisons dont les barreaux imbéciles nous encerclent. Évidemment, les sourires seront là pour masquer les visages. Les étirements répétés des sourcils feront taire les questions. Quelqu’un passera une main dans les cheveux, juste pour se donner de la contenance, ne pas répondre à ce qui engonce. Un autre changera de discussion, jouant du contrepied avec une dextérité qui ne trompera personne. On se dira la météo, tout juste le nez relevé de nos smartphones. Rentrée de septembre, il fait chaud pour la saison. Comment va le petit dernier ? Et on pensera à tout autres choses. Tous un peu pleutres.
  • 25.8.23

Copier-coller

Une longue robe sort de la nuit
Trainant son sac et des colliers
De paroles orphelines à voix haute
S’adresse à la rue fait de l’ombre 
Aux murs pleins de brume chaude 
Je vois dans la robe la femme
Sans qu’elle me voie il faudrait
Découper sa silhouette avant
Qu’elle se disperse la copier-coller
Dans un carnet pour ne pas l’oublier
  • 24.8.23

Un peu d’eau

On prend un peu d’eau dans l’air figé
L’été paresse dans les allées de jambes
Le sang qui nous traverse change de bord
Gargouille sous les toits une chanson douce
Sa petite mélancolie pique un fard  
L’eau se charge d’en diluer le charme
  • 22.8.23

Au plus fort de l’été finissant

Là, au plus fort de l’été finissant, sous un ciel blanc 
Alors que je suis assis à retaper de vieux moulins à paroles
Un vieil homme passe, me voyant courbe l’échine
Ses yeux cherchent le vide dans le vide 
Là, me lance au plus fort du finissant, un regard blanc
Comme une invitation à partager sa mort
  • 20.8.23

Grésillements

La lampe a des ratés, il faudrait changer l’ampoule
De petits soubresauts de lumière, grésillements 
Dans ma tête d’anciennes incandescences, vieilles 
Lubies datant des boutons en porcelaine s’échappent 
J’attends que le filament claque, ça ne viendra pas
  • 18.8.23

Diapason

Continuer la nuit à ras de jour la joie posée 
Sur la crête d’un rêve : écouter le battement
Comme on écouterait la mer dans un coquillage 
Ne pas croire à ses tempes qui bourdonnent 
S’imaginer musique lente à son diapason
Rester là à compter les temps de respiration 
Les signaux faibles que le jour donne en écho
  • 17.8.23

Poetites annonces 1

Particulier en mal d’air pur 
Recherche éventail à sornettes 
Pour venter et chasser
Intrus et mauvaises humeurs 
Guignols et acariâtres s’abstenir
  • 16.8.23

Samuel Beckett, Watt

« Alors Watt dit, à serrure simplette clef complexe parfois, mais jamais clef simplette à complexe serrure. Mais à peine dits ces mots, Watt les regretta. Mais trop tard, ils étaient dits et ne pouvaient jamais être oubliés, jamais dédits. Mais un peu plus tard il les regretta moins. Et un peu plus tard il ne les regretta plus du tout. Et un peu plus tard il les goûta de nouveau, comme s'il les entendait pour la première fois, si suaves, si câlins, dans son crâne.
Et un peu plus tard il les regretta de nouveau, amèrement. Et ainsi de suite. Tant et si bien qu'il finit par parcourir, à l’égard de ces mots, toute la gamme, ou peu s'en faut, du remords et de l'euphorie, mais surtout du remords. Et il n'est sans doute pas sans intérêt de constater ce comportement, dans la mesure où Watt en était coutumier, dans ses rapports avec les mots. Et si quelquefois il suffisait d'un moment de réflexion pour fixer son attitude, une fois pour toutes, envers les mots qu'il lui arrivait d'entendre, dans son crâne, de sorte qu'il les aimait, ou ne les aimait pas, plus ou moins, d'un amour inaltérable, ou d'une inaltérable aversion, cependant le cas n'était pas fréquent, non, mais à force de penser tantôt une chose, tantôt une autre, il finissait le plus souvent par ne plus savoir que penser des mots entendus, dans son crâne, et fussent-ils aussi clairs et modestes que ceux précités, d'une signification aussi évidente et d'une forme aussi inoffensive, ça n'y faisait rien, il ne savait plus qu'en penser, d'un bout de l'année à l'autre, s'il fallait en penser du mal, ou du bien, ou rien du tout. »

Samuel Beckett, Watt, Éditions de Minuit, 1969

  • 15.8.23

Et autres verbes en l’air

Que faire des mots qui abondent 
Avec la puissance d’un jet de fontaine 
Sans en mettre partout sur la langue
Le menton la gorge jusqu’aux pieds
Mots bruts gouttes d’eau informées 
Par ne sais quelle presse bien mal acquise 
Bouger laisser couler et autres verbes en l’air
  • 15.8.23

La lumière d’août

La lumière d’août colle les murs
Le jour n’a pas encore démarré 
Qu’elle se chamaille avec une ombre
Puis revient faire le Roi du silence 
Au beau milieu de la fenêtre 
Clin d’œil et de nouveau s’agite 
Sur le pare-brise d’une auto en fuite 
La lumière d’août est une enfant 
À qui souvent je parle sans qu’elle m’écoute
  • 13.8.23

Sous le tilleul

Ce n’est pas le tilleul avec ses feuilles taillées comme des larmes qui fera bouger les choses. Des dizaines voire une centaine d’années qu’il est là et n’y pourra rien changer. Le temps est ovale, aussi bondissant qu’un ballon de rugby. Il roule cahin-caha pour se perdre entre des poteaux lointains. 
Tout appliqué à écrire ces lignes, le tilleul me parlant tout bas, avec la sagesse que l’on prête aux arbres, je ne l’ai pas vu passer, le temps. Quatre phrases ont suffi à me faire oublier mes ruminations matinales qui avançaient redondantes et trébuchantes. C’est peut-être et avant tout pour cela que j’écris : oublier le temps.
  • 11.8.23

Ablutions

Là sur un banc près de l’église 
Un homme de tout son long dort 
J’écoute la ville faire ses ablutions 
À l’eau de la fontaine permanente
Dont le cliquetis ou le gargouillement 
À coup sûr se trouve dans le rêve 
De l’homme sur le banc dormant 
Sous forme de flots ou de grand pré 
De cascade ou de joli ruisseau 
Ou plus prosaïque d’envie d’uriner
  • 10.8.23

Un bras sur votre épaule

Un bras souvent descend sur votre épaule 
À l’heure où tout commence à se calmer
Les corps ralentissent sous la rumeur
Les bruits sous cloche n’ont plus d’échos
Si on savait le peser, l’air y serait plus léger 
Ah ce qu’il enlève de poids, ce bras invisible
Qui après l’heure de midi descend vous enlacer
  • 9.8.23

À nos petites folies

On a allumé le vent, celui qui rend fou
La ville perd la tête, nous voilà fadas
Ici on ne le claironne pas mais on pense
À nos petites folies qui festonnent 
Entre les bourrasques et nos mâchoires 
Oh fada ! on s’en balance, on reste là 
On attend Landolfi pour nous sauver

(Pauème de Marseille, à lire aveque l’accent)


  • 7.8.23

Comme un bonhomme

Je retiens l’instant, ce qui me traverse et veut sortir des yeux. Je retiens parce que je suis un bonhomme ! Mon père disait ça quand les émotions l’étreignaient : je suis un bonhomme, on est des bonhommes et se tournant vers moi, il cherchait l’acquiescement. 
Je retiens l’émotion comme on enlève sa main du feu. Par réflexe. Je ne pense pas à mon bonhomme de père, je me retiens. 
Ce n’est pas la peine d’étaler ses misères. Il disait ça aussi : n’étale pas tes misères, ça n’intéresse personne ! Ce n’est que de l’orgueil tout ça, une petite blessure qui guérira toute seule. Et aujourd’hui me tournant vers la fenêtre, le regard porté loin vers le manque, je me cherche une poussière dans l’œil pour sécher discrètement mes larmes. Comme un bonhomme.
  • 4.8.23

Des signes au loin

L’enfant seul fait des signes au loin
Il n’est qu’une tache noire des bras
Au-dessus s’agitent les mains 
Il fait avec pouce et index des ronds 
Des flèches des formes traversées
Lève un doigt en baisse quatre
Et combine dans l’air fatigué 
Il signe à un oiseau ou à lui-même
Je ne sais pas mais je l’envie
  • 3.8.23

10 minutes, sur un banc

Lui, rougeaud, la fixe. Il est inquiet. Son regard balaie ses yeux à elle, recherche un assentiment qui ne vient pas. 
Elle, genoux repliés jusqu’au menton, enlace ses jambes, les serre jusqu’à faire de petits renflements de peau sous ses doigts.
Lui, assis sur une fesse, buste de trois quarts tourné vers elle :
— Tu ne m’as laissé le temps, c’est compliqué !
Elle, rien. Les orteils dans ses sandales battent la mesure de ses paroles à lui. Elle, rien, de sa tête descendent des lunettes noires. Rideau.
— Je ne vais même plus au Rugby. 
Elle se tord. Elle bout. Délace ses genoux et son chignon. Les cheveux tombent, de ses yeux un peu d’eau. 
— Sur 1550 euros, après loyer, charges, courses, il nous reste 300 euros.
Lui, se gratte la barbe. La peau de son visage est parcheminée de billets de banque. Son regard est un compteur.
Lui, réprime l’eau.
Elle, inaudible, parle. Voix faible, étranglée de sanglots. Les jambes retombées au sol balance de gauche à droite. Ses mains remontées derrière la tête disent qu’elle ne l’écoute plus. Il le sait.
Lui, part.
Le silence d’après s’étale, épais.
Elle, rattache ses cheveux lentement. Me regarde par-dessus les lunettes. Part.
  • 31.7.23

Brume contre brume

Elle sort et cherche le soleil. Un œil vers le ciel et l’autre vers moi. Je ne la regardais pas, pourtant nos regards se croisent. Je sais qu’elle déplore le gris du jour. Un gris qui s’étale dans la rue comme s’il voulait refaire façades et ciel, cœur tête et ventre des gens qui sortent le matin sur leur balcon pour voir le soleil. Nous sommes ces gens qui ne se disent rien, qui ne se sourient même pas. La nuit est encore trop présente sur nos joues, elle tartine du noir sur du gris, fait des ombres sur nos fronts, effraie nos pensées. Brume contre brume, j’efface la voisine de mon regard. Elle fait de même. Bonne journée.
  • 29.7.23

Ce petit chien

La journée finie pliée sous le bras 
À traîner fatigue sur le trottoir 
J’avance dans le décor rue trottoir 
Les pensées affleurent repartent 
Alors un petit chien assis sous un panneau
Dans la même position qu’un enfant 
La patte sur la route à faire misère  
Ce petit chien je crois m’a souri
  • 28.7.23

Bleu canard

Bien sûr il y a la lumière qui danse
Dans les arbres reflet de l’eau mêlée 
Au soleil aussi léger que l’air
Bien sûr il y a le bassin d’eau verte 
Amusé par sa peau nuance de jaune
Les enfants, leurs mies de pains 
Le bleu canard qui joue l’impressionniste 
Mais il y a des manques dans l’éclairage
Des petites plaies à la surface
Le temps ondule mal entre les lueurs
Trop d’aplats sous les pics de brise
Le cliché manque de sincérité
Comme une photo trop instagrammée
  • 22.7.23

Sur le bord, ébréchée

Me revient une image, nature morte sans nature : une simple assiette sur la table avec des motifs bleus entrelacés. Sur le bord, ébréchée. La lumière ne vient pas jusqu’à elle ou à peine, d’une lampe, loin, depuis une autre pièce dans laquelle je sais quelqu’un veiller, assis sur une chaise à bascule. La personne assoupie se balance et l’assiette continue de se fendre. La brèche grandit, du bord vers le centre, dégage un léger craquement semblable au bruit d’une craie sur une ardoise. Elle se coupe en deux morceaux. Le balancement de la chaise ralentit puis s’arrête. Le jour se lève. Sur le bord, ébréché.
  • 18.7.23

Sur lui-même

On a passé le ciel à la crème, le bleu au baume
Midi va sonner et plus rien déjà ne luit, voile à l’œil
Douché par une petite amertume, dimanche se replie sur
Lui-même comme du papier glacé au soleil 
  • 16.7.23

Il faut que je travaille, maman

« Il faut que je travaille, maman ».  Comme un mantra, la phrase est répétée avec une intonation qui dit la fatalité. « Il faut que je travaille, maman » est la réponse à tout. Dans le téléphone que tient la femme au balcon, elle est articulée nettement au bout de chaque propos. Maman parle, explique, essaie de tirer au clair la situation, s’inquiète pour sa fille puis se tait et accueille la phrase comme seule solution. « Il faut que je travaille, maman » fait ses gammes : la voix de la femme au balcon transporte lassitude et angoisse dans un même refrain. La phrase monte haut, culmine, redescend. Se module, expire, meurt. On pourrait en tracer la courbe, elle suivrait celle du chômage. Il. Faut. Que. Je. Travaille. Maman.
  • 15.7.23

Ma parole !

l’arbre dans le jardin public 
semble donner des réponses 
à des questions jamais posées
ombres clins d’œil phrases courtes
poses longues s’enchaînent 
sans que rien ne puisse l’arrêter 
de déblatérer — cet arbre est soûl 
ma parole !
  • 14.7.23

Sacrifice et Rédemption

Je m’aperçois que les mots Sacrifice et Rédemption sont flous pour moi. Leurs définitions se croisent, se ratent comme si elles avaient eu rendez-vous un jour et qu’elles s’étaient mutuellement posées un lapin. 
Au coin de la rue, le matin discute à petites voix. Il y a fort à parier que ces voix ne se soient pas couchées. Ce sont des voix de nuit, entre sacrifice et rédemption. Elle parle de religion ou du dernier film qu’elles ont vu, de peines de cœur ou de l’été gros qui pèse sur l’aube. Aucun de ces propos n’est plus important que l’autre. 
Je m’aperçois que je n’entends pas grand-chose à tout ce vocabulaire lointain. Il me creuse toujours, un peu plus chaque jour.
  • 11.7.23

Viens je t’emmène

On regarde juillet fendre nos fenêtres
Sourire large du malaise des gens 
Ici on trébuche sur les dards du soleil
Le trottoir est notre pierre philosophale
Chaude et brune, lisse et d’espérance 
Dans la rue des têtes basses sort un
Viens je t’emmène sucer des glaçons 
Je trébuche là-dessus avec fraicheur
  • 10.7.23

Zinzin et pendule

Volets tirés montent les petits insectes 
Dans les rideaux et sous les yeux 
Là où la fatigue inonde zinzin et pendule
Les pensées comme une brise de voix 
Le sommeil apporte lente et lointaine 
Une petite lueur de la forêt des siestes
  • 8.7.23

Turbulent

Le jardin public est turbulent. Sur les bancs, on évoque les émeutes de la nuit. Une meute de chiens aboyant semble prendre part à la discussion. Un des propriétaires les calme à grands coups de pied dans l’échine. Ça couine puis c’est un jeune homme qui prend le relais avec le son d’un rappeur jaillissant de son enceinte connectée. Les basses font bouger les lèvres de la dame assise sur le banc opposé. Le jeune homme est rejoint par ses amis ; ils se rangent autour de lui et se déhanchent en rythme. 
Le jardin public est turbulent, ce matin. J’écrase le mégot que ma voisine de banc a jeté avant de partir. Je reprends mon livre. Les chiens recommencent à aboyer. Leurs maîtres crient. La femme aux lèvres qui bougent est partie sans que je m’en aperçoive. Elle a fini par se lasser du son syncopé de l’enceinte. Il tombe quelques gouttes de pluie entre le soleil et le jardin. Turbulent.
  • 1.7.23

Mais enfin !

Mais enfin ! Mais enfin ! Les cheveux de la femme au balcon sont tombés. Il ne reste plus qu’une vague touffe frisée en arc de cercle qui lui enserre le cou. La femme au balcon a perdu les cheveux. La femme au balcon a coupé ses cheveux. Une coupe au carré qui a fini en cercle ! La femme au balcon a perdu la raison. Une vulgaire mèche, vestige des temps passés, vestige des temps de la longueur, lui tombe sur les yeux. Elle la relève et l’attache à l’arc de cercle avant qu’elle ne retombe, lasse et molle. Ça m’agace. Ça doit l’agacer. Son visage ressemble désormais à une vieille lune ombrée par je ne sais quel coup de ciseau ennemi ! 
Mais enfin ! Mais enfin ! Que lui est-il passé par la tête ?
  • 30.6.23

Constellation

Un premier soleil tape à la vitre 
Avec lui une nuée de poussières
Tourne comme une constellation 
Sans savoir ce qui en est le centre 
Ni à l’intérieur si vie s’y déroule 
Cris larmes petites amertumes
Joies infimes éclats et félicités
À bord d’êtres minuscules élisant 
Domicile sur chaque poussière 
Et si au balcon d’une d’entre elles
Une voisine fume lentement
  • 27.6.23

À quoi bon

La fenêtre claque, la rue ne bouge pas
Les oiseaux restent à leur ronde 
Imperturbable danse d’ombres
On ne lui offre même pas un cri 
Le courant d’air n’est pas surpris
La fenêtre claque à nouveau, plus fort
Puis renonce, hausse les épaules 
À quoi bon si personne ne la remarque
  • 25.6.23

Patiente tricoteuse

La vie a bien passé la nuit, fait son travail
Patiente tricoteuse d’oublis aux longues épingles
Laissant le jour à son bon compte de mailles 
Que me voilà pelote de laine dans le grand panier  
À m’inventer des douceurs d’hiver qui ne viendront pas
  • 22.6.23

Un orgueil mal placé

La lumière du matin ne vient pas 
Un orgueil mal placé la retient 
Dans son lit sous un nuage épais 
L’infini restera couché sous les draps
À ressasser de fausses vérités 
Comme on compte ses gouttes
  • 21.6.23

Raccord

J’allume le jour avec la lampe du salon. Quelle prétention ! J’allume au moment où le lampadaire meurt sur la pointe du jour aiguisé comme un couteau. 
La lampe prend le relai pour dégager le reste de nuit qui émousse la lame. La rue se teinte. Orange. Elle a l’allure d’un vieille chemise délavée. Les couleurs fanées renaissent, lentement. Ce sera un jour de seconde main, mais un joli jour. 
Sur le balcon de la femme au balcon, pas de femme. Une petite couverture pend et bouge avec les couleurs. Motifs orangés, un peu passés. Raccord avec la rue, ma lampe et mes prétentions.
  • 18.6.23

Action !

Le jour est encore ce long visage 
Qui se découvre avec paresse
Un léger bâillement vite éteint 
Pour étouffer la fatigue du recommencement. 

Un oiseau siffle pour donner le départ 
D’autres suivent pour une nouvelle course
Les murs s’éclairent aussi violemment
Que des projecteurs : silence, action !
  • 17.6.23

La taille du vide

Ce matin est un trou d’air dans un nuage 
Un petit vide de rien du tout
Ça ne hausse le cœur de personne  
Mais quand même 
Mais quand même, dit le matin 
Qui es-tu pour juger de la taille du vide ?
  • 15.6.23

Écoper

Le paysage a du mal à se fixer
J’écope la nuit du trop d’eau
Au bord des lignes tout tremble
De la nuit comme du paysage
Il faut vider transvaser recommencer
  • 14.6.23

Belle flemme

Je laisse le monde tailler sa route
Pas plus intéressé que ce chien
Couché sur le trottoir, truffe à la rue 
À la merci d’un talon haut ou d’une roue 
D’auto, satisfait et plein d’une belle flemme
Un roupillon le nez au vent laissera bien
Le monde comme il faut, au bord du chemin
  • 13.6.23

La robe rouge de juin

Elle a mis sa robe rouge de juin. On dirait vraiment que la robe est pour juin. Pas pour un autre mois, mais pour l’autre. Celui qu’elle attend. Qui ne doit venir qu’en juin. Longue, la jupe. Longue, l’attente de l’autre sur le balcon.
Elle porte sa main à la bouche, ronge ses ongles. Elle porte les doigts nus. Je veux dire qu’elle ne les a pas peints. Elle s’est dit que le rouge de la robe suffisait.
La lumière est là sur le balcon. La lumière attend, aussi.
Elle fume beaucoup pendant l’attente. Une, deux ou trois cigarettes, je ne sais plus. J’en ai perdu le compte. Je me concentre sur le rouge de la robe, sur le rouge de l’attente et les copeaux d’ongles qui tombent.
  • 11.6.23

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