Que dire de ce mur douché de soleil

Que dire de ce mur douché de soleil
Sinon qu’il réchauffe le ventre
Coule lent en moi

Le gobe par les yeux bouche nez pores
Caméléon je change de couleurs 
Me fonds dans le mur voudrais être le mur 
S’il n’avait pas en lui l’impasse

En lui le soleil qui se retire déjà
En lui les ombres qui montent
Pores yeux bouche nez
La faille la sienne la mienne
qui dans le ventre font siphon sans fin 

Que dire de ce mur douché de soleil
Que dire que je ne sais garder
  • 26.3.23

J’ai balancé de la mémoire sur les murs

J’ai balancé de la mémoire sur les murs 
Comme de la peinture noire matière brute 
Morceaux épars sans queue ni tête  
Pensant que quelque chose reviendrait
Vers moi aggloméré dans une balle 
Contenant passé présent et briques d’avenir  
Oui j’ai pensé en forme de balle une histoire
Avec ses halètements et ses temps morts
Ses joies et ses terrassements
Bien entendu, c’est ce qu’il s’est passé 
J’attends juste qu’elle arrête de rebondir
  • 25.3.23

Pas plus gros qu’une pièce d’un euro

Le jour fuit d’un trou pas plus gros qu’une pièce d’un euro. Je sais qu’il faudrait appeler pour mettre de la résine avant que le plan qui s’affiche en cent quatre-vingts degrés devant moi ne se fissure. Mais je laisse couler, passer la lumière avec la musique. Je me dis que ce serait bien de pouvoir juste le déplacer, le trou, le glisser aux quatre points cardinaux, à ma guise, pour entendre comme ça, tout le jour et du côté de mon choix, couler la lumière et la musique. 

(Ce texte est disponible sur fut-il.net, n’oubliez pas le .NET)
  • 23.3.23

Ainsi les bruits quotidiens

Ainsi le grincement des volets
Ainsi la ventilation des toilettes
Ainsi le claquement du robinet
Ainsi le bavardage de la machine à café 
Ainsi le ronflement du frigidaire 

Les bruits quotidiens sont des éponges 
Ils naissent au matin pour absorber 
La nuit et l’épreuve que c’est d’aligner
Le corps la tête la folie à ses ergots 
Pour raccrocher ce qui fuit à la réalité
Pour qu’en soi le jour soit plus acceptable
  • 22.3.23

Jusqu’aux premières fenêtres

Le ciel noir descend sur les murs jusqu’aux premières fenêtres. Les étages n’existent plus, pris dans un brouillard dont on ne connaît pas le nom. J’ai en secours du regard une petite entrée au rez-de-chaussée qui demeure allumée. Une ampoule nue y brûle jour et nuit, derrière la porte. Elle est une veilleuse dans la nuit noire, point de lumière pour qui ne trouve plus de lampe. Je pense à la soupe que l’on gardait autrefois pour le pauvre hère. On n’a plus qu’un rai de lumière à lui offrir. Je pense à ça, au ciel qui descend et au pain noir trempé dans la soupe.
  • 21.3.23

Avec son allure de témoin

Cet homme avec son allure de témoin, de Jéhovah ou de quelque autre religion 
Que lui-même peine à identifier, je lui laisse la liberté d’esprit 
De croyance à qui il voudra vouer son temps 
À ainsi errer dans la rue, une mallette de représentant
Sous le bras et des tracts et le trac quand il me tend tremblant  
Sa prédication, de bonne foi qui appelle à me sauver
Tant qu’il est encore temps, répète-il en s’éloignant 
Tant qu’il est encore temps, cet homme timide fervent me plait bien
  • 20.3.23

La rue rouillée

La rue rouillée de calme tourne un mauvais film. La caméra balaie du flou, là-bas au fond se débat un personnage que personne ne voie. La rue rouillée tremble. On entend la caméra grincer, un à un bute sur des engrenages grippés. L’image ne démarrera pas. Elle n’est pas sûre, son cadre est trop imprécis, son silence trop plein. Là-bas au fond, j’attends une histoire qui ne viendra pas.



  • 19.3.23

10 minutes, jardin du Champ-de-mars

La ville est belle 
Chaque jour les rues sont plus belles
L’éboueur sur son smartphone
prend une pause
Bien méritée la ville est belle
L’éboueur a rendu la ville belle
Il peut se reposer 
Prendre la pause 
Côté passager du camion-benne
La ville est belle 
La vie belle sur ton smartphone
Calme et benne
Puis accélère puis ralentit
La ville est belle 
Prends la pause
  • 18.3.23

Un long manteau triste

Elle sort avec la nuit d’une porte cochère. Un long manteau triste la couvre jusqu’aux pieds J’avance dans la rue, vers elle sans le vouloir. Elle est au loin une tache sombre qui sort d’un immeuble de roman noir. Je lui mets un chapeau sur la tête, un regard humide, du rouge et une cigarette à la bouche. J’attaque le fantasme par la peau. Parvenu à sa hauteur, son air fatigué et revenu de tout me redescend. Nos chemins se croisent, elle prend la contre-allée et moi son manteau triste.
  • 18.3.23

J’étais d’un sommeil léger mais grave

J’étais d’un sommeil léger mais grave 
Avec un temps après chaque phrase 
Que la nuit m’apportait dans un linge 
Un linge noué à ses quatre extrémités 
J’étais d’un sommeil léger mais grave 
Une respiration pour chaque temps 
Dans un balluchon sur mon dos
Assemblé de quatre linges noués 
Aux quatre extrémités – j’étais un chemin
La nuit d’un sommeil léger mais grave 

(un rêve dissipé)

Image générée par l’IA DALL-E
à partir de ce texte

  • 17.3.23

Une idée pas finie

Me revient au réveil l’idée pas finie, j’entends par idée pas finie un restant de rêve qui a surgi lorsque mon corps s’est déplié pour passer de la position horizontale à la verticale, un restant de rêve qui ne forme pas vraiment une idée mais tout un tas de débuts d’idées comme des copeaux ; voilà, si je travaillais dans le bois, en tant que menuisier, ce serait des résidus de coups de scie, une première découpe qui aurait produit des scories d’une idée prototype, que sais-je, d’un meuble ou plus humblement d’une petite table basse. Mon jaillissement en bois aurait produit des copeaux, une tentative d’idée sans aucun respect de proportions, mes pensées à ce moment-là se resserrant dans ma tête comme si quelqu’un (l’aide-menuisier ?) y passait violemment le balai, rassemblant tant bien que mal les copeaux dans une pelle, avec la poussière et les moutons gris. C’est ça, copeaux, poussières et moutons gris !
Enfin, bref, il m’est revenu cette idée pas finie et, étant donné que j’ai pris beaucoup trop de temps à vous expliquer ce que finalement je comprends à peine, parce qu’il faut toujours que je vous explique tout, surtout quand je ne sais pas grand chose, et bien pfuit l’idée pas finie s’est enfuie.
  • 16.3.23

La lumière du réverbère

La lumière du réverbère qui coule dans la rue me parvient
Par la fenêtre se dédouble dans les vieux carreaux 
Comme prise dans une loupe se déforme 
Grandit jusqu’à éclairer ce qu’il faudrait cacher
J’éteins quelqu’un en moi chaque fois que trop la fixe
  • 15.3.23

Quel sens à ce monde qui tangue

Quel sens à ce monde qui tangue
Jusque dans l’intime pénètre
Dans les esprits sécrète un effet flou
Sommes malades de stroboscopie
Qu’une mise au point ne corrige plus 
Ajuster nuancer ralentir plus rien 
Ne fait la correction plus de discernement 
Ni de savoir-penser plus de langue
Pour équilibrer ce qui vient lancinant
Agacer yeux et sens dessus-dessous 
Défait – quel sens à ce monde qui tangue 

(OK BOOMER)
  • 13.3.23

Le col de la nuit

Je prends la nuit par le col, la soulève. La nuit et sa traînée de bleu autour du cou que lui fait un vieux nuage. 
Je prends la nuit par le col. J’ai le geste. L’empoigne sévère alors que tout est posé autour du moi. Alors qu’à peine écrite cette phrase se dégonfle. À peine né le geste s’évanouit.
Je prends la nuit par le col. À quoi bon. Je lâche, lâche. Le jour montera assez vite au col de la nuit, qui n’aura rien à faire de mes petites violences.
  • 12.3.23

Les sept variations ressortent

Je rouvre un souvenir 
Les variations de ce souvenir
L’image saccade déjà vieillie
Comme si je repassais un film en super 8
Les sept variations ressortent 
On dira que c’est une huitième, d’accord ?

Extrait :
Au plus loin des lignes, l'horizon se confond avec la mer. La limite est sans cesse repoussée à une mémoire perdue. La rupture du ciel est un mensonge et l'absoudre nous plonge dans le creux d'un univers sans frontière. Alors plus rien ne pèse que tes yeux dans mes yeux, que ta main dans ma main, que ce châle infini recouvrant nos tourments. Il n'y a d'autre corps sensible que le nôtre.



  • 11.3.23

J’attends qu’elle bouge

La rue déserte est immobile
J’attends qu’elle bouge 
Que trottoir bitume panneaux feu rouge
Traversent s’animent soulèvent
Les artères comme coeur de bipède irrigue 
La rue déserte est immobile 
Sans corps sans vie je gomme l’inertie 
Si je fixe longtemps je la verrais
Se peupler dans les ciseaux de l’ombre
que forment murs fenêtres toits et moi
Et le réverbère en son halo qui déjà  
Fait onduler la nuit de la rue qui va bouger  
Je garde la vigie derrière le rideau
Vous tiens informés dès qu’elle frémit
  • 11.3.23

Je ne sais rien

Je ne sais rien de la profondeur du ciel 
Ouvrant les volets qui grincent 
Pareil au couinement d’un chien 
Je ne sais rien de ce gros nuage 
Qui cette nuit a fait la pluie ni même 
Si c’est celui-là resté après le fracas
À attendre - et pourquoi ? - que j’ouvre le jour 
Je sais la nuit de pluie et le cri des volets
C’est tout, faudra avec ce peu échafauder
  • 10.3.23

Le jour a commencé sans moi

Le jour a commencé sans moi
Glissant sous la porte une lumière  
De déjà-vu une odeur d’ordinaire  
De petites sensations sans charme 
Vont viennent avec leur éternité  
De gestes rassurant la tête le corps
Vont viennent avec leur entêtement 
Leur odeur et leur lumière craintives 
Le jour a commencé sans moi, tant mieux
  • 9.3.23

Cahin-caha

J’ai vu passer une solitude ce matin
Tôt avec son charriot d’angoisses  
Sur le trottoir cahin-caha trottant
Comme une enfant un premier jour d’école
Le regard tombé sur ses souliers neufs 
Ceux qui brillent un peu trop 
Qu’elle aimerait vite salir patiner 
Pour pouvoir marcher un peu plus droit
  • 8.3.23

Marcher c’est tomber

Il y a le mouvement puis le poids
Marcher, c’est tomber et se rattraper
Dans le mouvement, dans les courbes

La rue avec ses marches
Ses murs glissières guides
Ne pas déborder, tomber, se rattraper.

Le poids que ça fait le corps qui tombe
Les bonds, les rebonds
Il y a le mouvement puis le poids
  • 7.3.23

Turbo(t)s

Je me lève avec le mot Turbo. Il s’est invité dès que j’ai ouvert les yeux avec son air de poisson mort et ses seize soupapes. Le poisson, le moteur. Turbo. Turbot. Des turbo(t)s. 

Je pense aux voitures, évidement, pas au poisson. Aux autos des années quatre-vingt toutes affublées de la mention Turbo à l’arrière avec de grosses lettres métalliques rehaussées de rouge ou de flammes promettant des accélérations du diable. Que ce mot si moderne m’apparaît désuet, ce matin, à peine levé, avec pas grand chose sous le capot !

Turbo injection. Turbo 16. Turbocompressé. Turbo. Turbine. Turbin. Turbo. Boulot. Dodo. Je vais me recoucher.
  • 7.3.23

Autour du Dôme

Elle traîne dans le coin autour du Dôme
Le café-restaurant où l’on sert demis 
De bière à midi et gros rouge le soir
Même si soiffards on peut prendre des deux
Matin midi soir elle traîne dans le coin 
Mais jamais ne rentre pour consommer
Le Dôme est là pour la faire tourner 
Un pas en avant un pas en arrière
Parfois s’arrête s’assoit sur le trottoir 
Par cœur déclame des poèmes d’amour 
Au Dôme aux hommes à qui voudra 
Entre demis et coups de rouge les recevoir
  • 6.3.23

Pas de bruit

Il ne fait pas de bruit 
Le petit monsieur 
À l’entrée du cinéma  
Pour la première séance 
Du dimanche matin
Ses petits pas 
Son air blasé 
Ses cheveux blancs longs 
Réunis dans un catogan
Le petit monsieur et moi
dans le hall du cinéma
Avec son mur jaune
Où s’affichent  
Le titre la salle et l’heure du film
Ce que l’on sait déjà 
Mais on les fixe tous les deux
Pour se rassurer
Pour pas rater
Le petit monsieur et moi
On ne fait pas de bruit
Dans le hall du cinéma 
Nos petits pas 
Notre air blasé 
Nos cheveux blancs 
Me reste plus 
Qu’à laisser pousser
  • 5.3.23

À l’affût des symétries

Je marche à l’affût des symétries. La lumière et l’ombre toujours partagent. Un équilibre, une obsession des proportions jusqu’au bout de la fatigue. Mes pensées se plissent sous les persiennes que forment les toits dans leur chevauchement. Si j’allonge la vue, la rue me tend des arêtes électriques. Donne un fond à mes contrastes. L’attente fait son manège jusqu’à l’épuisement des solitudes. J’attends. Que de l’ombre une lumière change le réel.




  • 5.3.23

Samedi en vrac

Samedi en vrac 
La fenêtre tient sa place 
La permanence des choses 
Comme une télévision
Bloquée sur un même programme 
Seule la colorimétrie bouge

Samedi en vrac 
À côté de la fenêtre la télévision
La vraie avec son écran
Envahi de livres lus et à lire 
Éteinte depuis des mois 
Elle disparaît peu à peu 
Dans la progression des piles

Samedi en vrac 
J’écris dans un journal extime 
Ce mot Extime était à la mode
Dans les années deux mille 
Aujourd’hui l’impression
Qu’il est oublié commun ou désuet 
Remplacé par des filtres TikTok 
Ou des IA génératrices de fantasmes

Samedi en vrac
Je pense à la mire de nuit 
De ma télé d’enfant 
Comme je la fixais longtemps
Espérant qu’elle bouge 

Samedi en vrac  
Le noir de la fenêtre varie 
Il devient gris bientôt grège 
Le dehors filtre le dedans 
Intelligence naturelle
En attendant le jour 
Je vais scroller vos fenêtres 
Sur Instagram ou TikTok




  • 4.3.23

Je cherche un lieu

Je cherche un lieu où poser mon corps
Une embrasure dans un ciel porteur  
Un endroit sûr sous une lumière solide 
J’y mettrai ma couche de paille 
Entrains paresses et lendemains
Quelques amuse-bouches puis du vin
Pour les jours où le ciel porte bas 
Loin de toute géographie connue 
Je cherche un lieu qui ne tremble pas
  • 3.3.23

Pas un mot à la fatigue

Il ne faudrait pas laisser un mot à la fatigue
Dans ce courant d’air dans lequel se tient la vie 
Elle n’est qu’un éternuement – un atermoiement
Les mots sonnent dans le même temps, fugaces et répétés 
Comme des adverbes, à vos souhaits et après que vogue le verbe
  • 2.3.23

MASH-UP MORNING

Jeudi 10 décembre 2015

La nuit a tellement serré
Les dents qu’elle a mal
À la mâchoire et au cou
Du matin d’où elle pend
Nue

Le silence greffé à la glotte
De la rue ocre des lumières
Du réverbère file un doute
Dans les bajoues du jour
Etendu

*

Vendredi 11 décembre 2015

Le camion de la voirie
Cache la voix du dedans
D’un souffle long et laisse
La rue au silence trancher
Mon absence

Son gyro crée à la vitre
Sale un miroir d’éclairs
Gelé d’une nuit de cierge
Où la mort a tapé au lieu
Du rêve

_
Extraits de « Morning à la fenêtre » paru aux éditions Tarmac

.
  • 2.3.23

Il fait un soir à écouter de la pop douce.

Il fait un soir à écouter de la pop douce.
Voyez de quoi il s’agit ? Certains l’appelle « slow pop », musique au tempo lent mais sûr, saturée de graves mais légère comme de la mousse et sucrée, si sucrée qu’à force d’ingurgiter ces morceaux plein de glucides, on se dit que nos esgourdes font choper du diabète, du sucre du sucre jusqu’à l’écœurement, jusqu’à la dépression, jusqu’au suicide. Mais on continue parce que le sucre, c’est bon. La pop douce et lente ! Enfin, ça ne peut pas faire de mal ! Bon anti-dépresseur et moins ravageur que la bibine. Puis, à ma connaissance, on compte peu de suicides liés à la consommation de mauvaises musiques.
Il fait un soir à écouter de la pop douce.
  • 1.3.23

10 minutes, Musée du Vieux Montpellier

L’Hôtel de Varennes a des passions tristes. Sous ses volants, son air distingué, il déprime. Chaque escalier parle d’une voix sans timbre, monocorde. J’entends le pas des fantômes sous mes pas, porter a mes oreilles des cris et des sirènes. Les statues posées sur des commodes ont le vide pour compagnon. Regards enchâssés dans des miroirs sans fin, leur souvenir est fondu dans la glaise. Je m’amuse à les faire sourire. Ça ne colle pas, personne ne les imagine ainsi. Ce n’est pas sérieux. Je m’englue dans les sottises. Il faudra bien plus de dix minutes pour me sortir du bourbier du Musée du Vieux Montpellier.
  • 28.2.23

L’art d’être à côté

Aujourd’hui, il a neigé à Montpellier. Ça n’a échappé à personne, à part peut-être à toi qui cultives l’art d’être à côté. À côté des choses comme de la société. D’ailleurs, en ce moment, tu es à côté d’un poêle à bois, tu remues un tas de vieilles cendres à la recherche de la flammèche qui fera revivre l’hiver douillet de mon enfance. Tu chiques un morceau de tabac. Quand je dis que tu es à côté, plus personne ne fait ça. Tu risques d’être colonisé par des aphtes   et à la moindre occasion, un crabe peut venir crécher dans ta mâchoire. Mais tu t’en moques. Tu le fais depuis toujours. Alors pourquoi arrêter. Laisse tomber la neige, c’est ce que tu me dis de là où tu es, à côté des choses, de la société, au tison tout près de moi.
  • 27.2.23

Cette façon qu’ont les gens

Cette façon qu’ont les gens tout juste assis à la terrasse d’un café d’être gênés. Légèrement mais ils sentent bien une tension au moment de prendre place - la plupart du temps à une table où se trouvent déjà des verres des tasses, des restes des occupants précédents : leur ticket de caisse, paquet de cigarettes écrasé dans le cendrier, de l’eau malencontreusement versée quand il a fallu sortir le sachet de thé de la tasse ou que le verre de bière frais a formé de la condensation avec cette chaleur, ce beau soleil d’hiver qui commence à chauffer sur la terrasse - sur cette terrasse où décidément les gens sont bien gênés lorsqu’ils s’attablent en attendant la délivrance, parfois de longues minutes, délivrance qui n’arrive qu’avec le serveur et qu’après que celui-ci a débarrassé vite fait la table sur son plateau instable - là encore lors des opérations de débarrassement, la gêne la tension sont palpables, il ne faudrait pas avoir déposé quelque chose sur la table, par inadvertance, et que le serveur, dans son empressement, prenne cette chose sur son plateau et disparaisse à jamais, sans prendre la commande car bon c’est le feu aujourd’hui, dimanche quasi printanier sur la place gavée de soleil sur laquelle des quantités extravagantes de gens gênés défilent depuis des heures sans discontinuer – oui, néanmoins cette façon qu’ont les gens d’être gênés reste étonnante.
  • 26.2.23

Ce ciel et ces oiseaux-là

De ces oiseaux posés
Par grappes dans le ciel 
Sans majesté ni vol
À peine esquissés 
Vagues punaises dans le décor
Sur un gris sans fond

Ce ciel-là ressemble au mur
D’une chambre d’ado en mal de vivre
Cheveux gras et grosse peine
Sous les draps 
Ado dans son ennui  
À griffonner des semblants de piafs
sur le mur défraîchi 
Un ciel plat d’espérance
D’oiseaux en devenir 
Tout en rongeant le bout de son stylo
Allongé sur le lit
Ses pensées en apostrophes
Virgules points suspendus
Tombent par la gouttière du vide

Mais tout cela ne dure pas
Juste le temps de digresser 
Que le ciel reprend oiseaux et ado
Les fait battre des ailes
Pour que je passe à autre chose
Que le gris du jour va rater
  • 26.2.23

10 minutes, Cours Gambetta

8.6 pour le degré non pas de l’air mais de la bière 
Laissée là sur un muret prés des bureaux de la Sécu 
La voir, vestige de nuit, s’imaginer l’histoire qui va avec
L’ébriété le social l’insécurité des émotions au moment
Où cul-sec 8.6 degrés d’alcool coulent dans le sang
Et la Sécurité Sociale brille un peu, ivre dans les yeux 
Du quidam qui boit, seul dans la nuit Cours Gambetta
  • 25.2.23

JE JE JE

J’ai de la brume dans la tête, les idées pas très claires. Je sors dans la rue, par les pieds ma fatigue que j’écrase. La suspension puis la charge de mon poids sur le sol. Les rebonds sont lents et lourds, comme dans un rêve. Le rêve que je rêve que je rêve tourne autour de mon nombril. Mes Je sont indécents, mes pas théâtraux au cœur d’un envoûtement de l’espace et du temps. 
J’ai de la brume dans la tête. Depuis six mois, je marche pour oublier. Et mon corps va tout seul sans parler à la brume. J’avance et l’univers est à côté de moi. Je Je Je. Je ne suis plus dans la réalité. Le manque rit dans les creux. Il y a six mois. J’en suis fier et triste. Il y a six mois, je suis devenu un fumeur abstinent. Depuis, j’ai de  la brume dans la tête, les idées pas très claires.
  • 25.2.23

La femme au balcon reçoit

Ce soir, la femme au balcon reçoit. Un groupe d’amis dans la cuisine, autour de la table, un verre à la main, tous largement empruntés, devisent de tout de rien. Les têtes cherchent de la consistance alors on dandine, quelques pas sur place, piétine, trépigne. On se cherche du regard, un appui qui permet de durer, d’exister, malgré les solitudes modernes qui réfrènent et donnent à l’assemblée une bonne humeur factice. Les sourires sont trop appuyés, les bouches sèches, la pointe des pieds un repère quand la gêne tangue.
Heureusement, l’alcool descend dans les poches pour soulager l’anxiété des mains, remonte jusqu’à la tête, fulgurant remue-ménage dans les méninges, et les maxillaires se détendent. 
La fête peut commencer et moi fermer les volets.
  • 24.2.23

Pas me sortir l’idée

J’avais envie et il n’a pas plu
Malgré le gros jour son nez pris
Dans la sphère des ombres grises 
Gris un peu clair mais grises
Le jour n’a pas plu pas d’eau 
Tant pis j’avais envie qu’il pleu-
Ve pas me sortir l’idée de la tête 
(Caprice)
  • 23.2.23

Milène Tournier

Je suis avec Milène Tournier
À faire tourner la ville 
Comme un manège
Avec le même vertige
Debout sur la moto l’auto
Ou l’autruche à vouloir 
Attraper le pompon
De l’instant caché derrière 
Chaque geste que la ville souffle 

-

(Lisez « Ce que m’a soufflé la ville » de Milène Tournier paru au Castor Astral puis les autres textes parus ou à paraître. J’ai pensé à Marlène Tissot, à Thomas Vinau, plus loin plus loin à Félix Fénéon et ses nouvelles en trois lignes ; puis j’ai arrêté de penser, c’est Milène Tournier, c’est elle, elle si singulière)
  • 23.2.23

On en a plein le poème

On en a plein le poème de la Mort 
Plein les pages elle transpire 
Est-ce morbide de versifier la Mort ?
A-t-on le droit dans un sourire 
De l’évoquer en ironie et peur mêlées ?
On en a plein le poème de la Mort 
C’est du silence en barre, du commun
Qui à force de métaphores fera péter
Mon ciboulot de poète du dimanche
De poète de Facebook de ses morts 
Est-ce morbide de versifier la Mort ?
  • 23.2.23

flou caillé malade

On devrait tous être fiers d’être
Un peu flous caillés malades
De cette maladie que l’on attrape
À la naissance : la vie dure
L’avidure, mot-valise d’une souillure
Qu’apporte la vie dès qu’elle naît 
À nos coeurs flous caillés malades
  • 22.2.23

La figure tordue

Elle s’est levée brusquement avec la figure tordue. J’ai cru d’abord à une douleur, un faux mouvement, son pied nu pris sous la rambarde du balcon ou quelque chose comme ça.
Il s’agit, je le sais maintenant, d’une mauvaise nouvelle qui lui est sortie du téléphone qu’elle tient en permanence dans la main.
Lèvre inférieure remontée sur la supérieure, moue des grandes peines, elle a fixé ma fenêtre mais c’est en dedans qu’elle posait le regard comme on pose une stèle. Noir le regard, aussi noir que ses cheveux. Tignasse dans laquelle, après cet instant flottant où j’étais gêné dans son champ de vision, elle a plongé ses mains, téléphone compris, les a relevés grandes mèches au ciel puis un œil vers moi est rentrée affolée chez elle.
La fenêtre est encore ouverte au vent. Les deux battants tapent régulièrement, l’un sur l’autre comme sonne le glas.
  • 21.2.23

Envie de pluie

J’ai soudain envie de pluie 
Que les gouttes cliquent 
Sur la vitre en piqué doux 
Que coule l’eau sur les peaux
Mortes de trop de soleil

J’ai soudain envie de pluie 
Comme envie de plisser 
Les yeux gros de larmes 
Que l’eau coule fasse taire
Les poux les poussières
  • 21.2.23

Qu’est-ce qui fait

Qu’est-ce qui fait qu’on marche 
Tout le temps vers qui vers quoi 
Dans le son mat de nos pas 
Qu’est-ce qui fait le talon dur
Au son plus fort, au pas plus marqué
Dès nos pieds besoin d’exister
De montrer : écoutez je marche
Et mon bruit est plus fort que le vôtre
  • 20.2.23

L’homme près de l’esplanade

Je repense à cet homme près de l’esplanade hier après-midi. Il est arrivé quelques minutes après moi alors que je m’étais installé au centre d’un banc. Il ne m’a pas parlé, ne m’a pas demandé de me pousser un peu, à gauche ou à droite, pour qu’il puisse s’asseoir. 

Je repense à cet homme assis à côté de moi. Il lisait un programme de télévision, l’a ouvert à plusieurs reprises pour s’assurer des infos de son émission du soir :  l’heure de diffusion, vingt-et-une heures dix, enfin, si la publicité ne s’éternise pas, les invités, sont-ils connus intéressants, la durée, pour savoir à quelle heure ça va le faire aller se coucher, cette affaire. Mais il ne m’a pas parlé. 

Cet homme près de l’esplanade alors que je prenais toute la place sur le banc est venu s’asseoir à côté de moi sans que je ne m’en aperçoive, sans me parler. 
Cet homme-là, bardé de solitude, auquel je repense et qui, hier, s’apprêtait à regarder une émission en prime-time sur TF1, eh bien je sais ce matin qu’il n’a jamais existé.
  • 19.2.23

10 minutes, esplanade Charles-de-Gaulle

J’ai acheté un petit Poésie/Gallimard
Au marché du samedi 
Esplanade Charles-de-Gaulle
Travailler fatigue
Suivi de La mort viendra
et elle aura tes yeux
Hasard je parlais l’autre jour du Métier de vivre 
Du même Pavese ; tout de même 
Il aimait bien les titres plombants 
J’ai peu dormi, même le soleil
Qui tape sur le banc où je lis
Les premiers poèmes du jeune Cesare
N’arrive pas à me sortir de la fatigue
De vivre ? Certainement 
Une jeune et belle fille passe 
Je me demande quels yeux elle aura
La mort 
(Ambiance)
  • 18.2.23

Sur une lune bien jaune

Cet homme encore à la lumière 
D’un soir de lune bien jaune 
Avec son casque sur les oreilles
Les yeux en appel de phares 
Le corps en secousses qui veut parler
Cet homme chantant à tue-tête 
Est-ce la lune la tombée du jour 
Ou mon imagination qui me fait des tours ?
Mais j’ai vu une bête hurlant à la mort 
Un désespoir dans son chant joyeux
Sa danse sur le trottoir une incantation
À je ne sais quel dieu du soleil 
Qui lui manque, sûr qui lui manque 
Du soleil pour chanter comme ça 
Dans la rue avec le soir tombant
Sur une lune bien jaune
  • 17.2.23

Au bistrot de Jeannot

Je suis au bistrot de Jeannot
Y a le Marcel puis le Robert 
Arrimés au comptoir comme  
Deux esquifs au port
Un jour de tempête 
Y a des coupelles de cahouètes
qui trempent dans l’eau croupie  
Des cendriers jaunes en triangle 
Avec Ricard inscrit autour
De la fumée jusque dans les oreilles 
Michel Sardou dans le juke-box
Et Marcel et Robert, ces baltringues
Qui tanguent sur les tabourets
Avec leurs taches rouges dans les yeux
Leurs haleines d’alligators 
Leurs cancers pliés entre les dents 
Y a aussi des olives noires toutes fripées
Et des salades plein leurs bouches 
À Marcel à Robert, à toi à moi
À qui dira la plus grosse connerie 
Je dénoyaute des souvenirs 
Peinard en butant le flipper 
Celui à afficheurs à rouleaux
Avec le chanteur de Kiss au milieu
Qui tire sa longue langue 
Je suis là, décontracté du gland 
Quand ça me fait tilt dans la tête :
Tant que je suis au bistrot de Jeannot 
À claquer les extra-balles du souvenir
Le Marcel le Robert sont pas vraiment morts
  • 17.2.23

Plus que son poids

Le jour est dans le carreau
Juste à la place où il faut 
Forcer un peu
Y mettre un sourire avec les yeux
Pour ce que ça coûte 
D’être léger quand tout pèse 
Plus que son poids
  • 16.2.23

C’est à peu près tout

Un calme hésitant. Des paroles au loin étouffées par le gris du ciel. Les murs dans leur fonction de murs, protection et barrières. Midi se tient à plat. Un klaxon essaie bien de briser une boucle de temps. Mais rien n’y fait. Une hulotte hulule. La gâche d’une porte puis son claquement. Une odeur de cuisine, relevée mais furtive. Part une voiture. Son ronronnement ne dérange rien. Un calme hésitant étrange. C’est à peu près tout.
  • 15.2.23

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