Le hoquet

L’enfance boit la tasse, c’est souvent le soir
Que revient le hoquet au souvenir des crépuscules ratés 
Le besoin d’amour boude dans la soupe, la cuiller remue 
Racle les peurs séchées au fond comme des algues 
Le soleil descend avec moi sous la table, tendrement  
Voudrais l’eau qui enveloppe, respirer ne jamais boire la tasse
  • 31.1.23

Pour dire vrai

Midi et j’ai les yeux suspendus aux fils électriques
Qui passent devant les fenêtres de l’immeuble voisin
C’est beau, les fils électriques, le charme de la désuétude 
Ils tiennent à la rue comme à ma petite mélancolie, de par 
Leur lent balancement entre une brise sans importance
Et le cataclysme chimique qui occupe mon esprit 
Si un quidam passait, il dirait de ma tête qu’elle est ailleurs ; oui ailleurs
À cheval sur un déséquilibre, en porte-à-faux pour dire vrai
  • 31.1.23

Vieille carne

Ce matin a les dents longues, une odeur de chien crevé 
Il se traîne sur le pavé, vieille carne la gueule en sang
Ce matin a les crocs, grogne et mord dans la nuit 
Comme si c’était un morceau de barbaque ; oublie
L’aube claire couleur curaçao, coulis d’orange sur les toits 
C’est un matin de boucher, une trace rouge sur le tablier 
Du jour duquel il faudra sortir les boyaux pour avancer
  • 31.1.23

Autant au monde

Il se pourrait que je sois autant au monde
Que cet objet devant moi qui m’écoute
Autant au monde que ce cylindre de métal
Qui va de sa base rétrécissant jusqu’à un trou
À son chef parfaitement circulaire 
Autant au monde si l’on considère
Que tout est affaire d’ouverture à la tête, de trou
Qui mène plus au néant qu’à une tangible présence au monde
  • 30.1.23

10 minutes, dans le canal

Je file dans la ville, le ronronnement du tram sous les paupières 
Station Les Aubes comme si le nom devait me réveiller
Je descends du tram puis dans le canal du Verdanson
Maigre cours d’eau qui charrie vases et petite eau noire 
Je descends dans la couleur des artistes de rue ; ici dans le canal
À l’abri des gesticulations urbaines, les bruits de la ville
Deviennent sourds, tombent dans la fosse bigarrée
Je suis leur cortège de lumières légères qui battent froid le gris du ciel 
Je songe à la mer plus loin vers laquelle le Verdanson court 
Le froid pique ma peau, l’endroit pourrait effrayer mais je suis bien
  • 30.1.23

Gabatch

La table souffre de tant de poids. 

Tu œuvres dans la souillarde, à dégager le fatras amassé là par le temps. 

Chaque chose est pour moi un objet de découverte. Sur la table se posent ta voix, ta colère et ta vie de gabatch. 

Grand-mère au corps diaphane, à la peau élastique, au cœur de tombe. 

Tu ranges des siècles par pile. Des casseroles sans queue, des marmites cabossées, des poêles de rouille. 

Tu souffres de tant de poids.
  • 29.1.23

Un point

Je regarde par la fenêtre un point sur un balcon voisin ; mes idées dans le coton de la nuit, je tourne autour, du point et des idées. 
Ma main tremble, hésite, recule. Je n’écrirai rien, ce matin. Sur la table, le café brulant n’ose pas fumer. Les livres habituellement si loquaces se taisent. 
Je regarde par la fenêtre un point sur un balcon voisin ; il se pourrait que ce point soit une fin.
  • 29.1.23

Quatre couleurs

Encapuchonnée comme un stylo quatre couleurs, tu marches vite devant moi. Tes jambes font des ombres en anneaux sur le trottoir, sortes de cercles qui varient en volume et intensité selon les caprices de la lumière que projète un grand réverbère. 

On avance tous les deux, l’un derrière l’autre. Quelques dizaines de mètres et je suis saisi d’un malaise. Si quelqu’un nous regarde, il pourrait croire que je te suis, toi avec ton bonnet quatre couleurs, ta silhouette en anneaux, tes petites jambes qui courbent le trottoir. 

J’accélère pour te dépasser, tu accélères aussi. Celui ou celle qui regarde, si quelqu’un regarde, ne comprend pas ce petit manège de couleurs et d’ombres. Car la mienne d’ombre, silhouette de grand échalas, te recouvre presque entièrement depuis que nous avons ensemble bifurquer rue Carlencas et que le réverbère derrière nous ressemble désormais à un gros spot en forme de lune couchante.

Nous continuons jusqu’au seuil de mon immeuble. Je m’arrête. Tu prends à gauche tandis que je prends mon temps pour chercher mes clés, les glisser dans la serrure ; tu sautes sur l’autre trottoir tout en faisant tourner quatre couleurs dans mes yeux qui te suivent en coin.
Tu es vite devant ta porte, penches la tête, me tends à ton tour le coin d’un œil et entres chez toi. 
Je ne t’ai pas reconnue, chère femme au balcon.
  • 28.1.23

Fort clos

Le volets sont clos comme des dossiers que l’on ne voudrait pas rouvrir.
Dossier clos. Cette nuit a manqué d’ouverture. Elle rampe sous la fenêtre, péniblement résiste à l’assaut de la lumière. Les volets, le dossier, le matin sont clos. Fort clos. Forclos : en Droit, exclu d’un acte à cause de l’expiration du délai imparti. Pars. Sors, faut. 
Les volets sont clos comme des dossiers que l’on ne voudrait pas rouvrir.
  • 27.1.23

Va tombe

Le soir glisse dans la rue, avec ses manières de sioux tendre
À qui passe ressasse des frustrations, des coups de coudes dans le ventre 
Qui font le lot des vacillements, lents pas mauvais mais sûrs

Ma langue pavoise sur le rebord d’un muret détruit 
Quelqu’un ici à essayer un passage, un coup d’épaule
Un coup de coude dans le ventre pour remettre viscères et vie en place

Va, le soir, tombe ne t’en fais pas j’essuierai ton passage
  • 26.1.23

J’en étais à mon être

J’en étais à mon être 
tout de paraître et de
minutie, de cheveux 
qu’en quatre il ne suffit 
pas de couper il faut 
sectionner disséquer 
comprendre l’inutile 
l’inessentiel et terre 
peut bien tourner 
dans un sens ou
dans l’autre il faut 
sectionner disséquer 
comprendre l’ustensile
sensible fébrile vibratile
qui permet de vivre
pour se dire un jour :
j’en étais là et quoi ?
  • 26.1.23

NEUROTRANSMISSION

Mon cerveau est un amas 
de cellules gloutonnes 
Je n’entends plus que
le bruit de leurs bouches
Elles absorbent mâchent 
déglutissent graissent 
puis dégraissent glissent
puis salivent et appellent 
leurs nouvelles charges 
leurs nouvelles nourritures

Envoie balance envoie envoie 
la charge envoie envoie 
le positif la bouffe grasse 
envoie du plaisir envoie envoie 

Mon cerveau est un amas 
de cellules gloutonnes
Il ingurgite il rend sa bile 
envoie renvoie vomit 
de la neurotransmission 
Oh dopamine chérie !
Me voilà !
Je suis devenu 
un neurotransmetteur
un bon gros neurotransmetteur
à hélices qui bourdonne
à l’oreille des cellules gloutonnes
  • 25.1.23

J’en étais là

J’en étais à imaginer des trucs à suspendre dans la nuit : un accroche-lune basse tension, un trapèze à nuages solaire, un pèse-ombres connecté ou encore une ampoule LED belle. 
Je jouais à l’inventeur du dimanche, de ceux que l’on invite aux dîners de cons et dont on se moque du rire gras en riant encore plus bêtement.
J’en étais là quand il ne s’est rien passé de plus. J’imaginais qu’en imaginant des objets rocambolesques à vocation écologique bien de notre époque, quelque chose d’extraordinaire adviendrait. Le Eurêka du rêveur, le génie né d’une serendipité poussée à l’extrême. Eh bien, ça ne venait pas. 
J’allais renoncer, frustré, redescendre mon trapèze, décrocher toutes les accroches quand apparut par la fenêtre l’extraordinaire attendu. Pas une, ni deux mais trois femmes au balcon alimentées par trois belles ampoules LED vissés sur la tête : trois vierges Marie cerclées comme des anges basse consommation. Alléluia ! Dieu est grand ! Dieu répond ! Dieu est énergétiquemenf sobre !
  • 25.1.23

JEAN-CLAUDE PIROTTE

En suivant Jean-Claude Pirotte, je longe le vin et les chemins
De traverse sur les coteaux de Bourgogne où même d’ailleurs
Tête à la cavale, toute une vie fragile tient dans sa phrase
Sûre, elle ne discute pas le poème qui sort de sa barbe de clochard céleste 
Ironique facétieux, je souris avec Pirotte, pris sous sa langue élégante,
Son histoire de Rocambole et sa voix de pierre ponce
Je le mélange au père, aux volutes de tabac, à la poudre d’escampette
Depuis sa table d’écriture, au chevet de la maladie jusque dans la mort
Je sais qu’il noircit encore des feuillets de vrais faux souvenirs
  • 24.1.23

Lundhiver

L’hiver retrousse ses manches, je le sens tapi sous les volets 
À fomenter son plan froid, l’œil sec et le regard droit 
Il est ce monstre au corps invisible, aux dents qui mâchent la peau
Tapi sous une laine bouclier, j’attends qu’il sorte du bois, m’arrache 
Du canapé pour le grand combat – bref c’est un lundi de janvier
Lundhiver de janvier, affûte ton vent ! Je suis prêt !
  • 23.1.23

C'EST UNE PHRASE DE PROUST

C'EST UNE PHRASE DE PROUST

CUT-UP
NUIT DE LA LECTURE

21 janvier 2023
Maison de la Poésie Jean Joubert 
Montpellier 
.

« grammaire du désespoir
le contour dessinera le trou
chronologiquement je pourrais dérouler le voyage
un hasard vraiment ce pied qui trébuche noir
du sentiment d'être désertique
à quoi ressemble l'enfant dans le sein de sa mère
à un livre plié et mis de côté
se réunissent sous la pleine lune froide
dans un rêve mouillé entassé les passagers s'accrochaient à l'espoir d'arriver
Logos est mort je ne m'appelle pas Pénélope
soudain cent milliards de cellules nerveuses fermentent dans le cerveau
bereshit en hébreu
reste un peu de vie aux extrémités du grand chêne
d'ailleurs évaporé
caresser les tours infinis de mes yeux
trempant dans l'eau de l'hiver près des ténèbres
je devrais me méfier de leur étreinte je songe
il est là
sur le mur n'observe que ma prison individuelle
tes lèvres de la nuit
de grands hommes se dressent »
.

Les visages et les voix des auteurs ci-dessous dans les commentaires  ⬇️



  • 23.1.23

10 minutes, dans la nuit de la poésie

La poésie fait sa nuit 
mais c’est encore un enfant
avec ses caprices 
ses rages de dents 

La voilà qu’elle se fait lire 
tout au bout de la ville 
avant que les rues ne s’échappent 
dans la grande nuit qui fait peur 

Lumières et couleurs 
les poètes sont réunis

des rouges des bleus des dorés
des sérieux des amusés des pressés
d’en finir des élégiaques qui claquent 
des lyriques aux jolis rythmiques  
des concernés des blasés des écornés
des écorchés des sans voix
qui la prennent

Tous font clignoter la nuit des mots 
debout micro tête et verbe hauts !
  • 22.1.23

Le miroir des autres 55

Il y a le miroir et la fine pellicule de verre qui sépare le monde en deux.


Chère application,

Je t’écris depuis le miroir des Autres dans lequel je vis, désormais. Je m’assimile peu à peu, au prix de quelques sacrifices mais les autres Autres sont gentils. Je vais bien et ne regrette pas le voyage. 
Cunégonde, Théophile et Philémon sont mes Autres préférées. Ils me disent que je suis des leurs. Je suis un Autre. Du moins me considèrent-ils ainsi. Leur empathie me touche. Mon parcours d’entrée se passe bien. Je me sentirais faisant partie entière de leur communauté lorsque je pourrais bouger mes oreilles et mes narines en même temps. C’est une des conditions sine qua non pour rester dans le Miroir. 
Je te vois hausser les sourcils. C’est stupide vu de ton coté mais ici, c’est pris très au sérieux. 
Ils m’ont laissé t’écrire mais ce sera la dernière fois. Ils préfèrent ne pas. Ils préfèrent ne plus communiquer avec l’autre côté du Miroir. Alors, avant que tout se referme, je souhaite simplement te remercier pour ton aide lorsque les choses avec les Autres n’étaient pas simples, puis te rassurer aussi. Tout va bien. 

Je te remue les lobes et t’embrasse du bout du nez, chère application. 


La fine pellicule de verre lentement s’opacifie, le miroir de la salle de bains perd son teint. 
Miroir blanc, grège, gris, étain, noir.
  • 22.1.23

Le miroir des autres 54

Un paysage, en ses longueurs, largeurs, circonférences, identique. De la lumière, un nombre suffisant d’heures. La nuit en ses variations douces dans la même attitude mystérieuse. Les Autres, des gens comme les autres.

Je cherche la différence mais ne trouve pas. L’air n’est ni plus ni moins respirable. Les odeurs me parviennent en quantité et qualité équivalentes. La vie semble ici conforme à celle que je connais là-bas, de votre côté du miroir.  

Les Autres m’ont accueilli avec bienveillance. Je commence aujourd’hui mon parcours d’intégration. J’entends des sons, inintelligibles pour l’instant, mais il parait que bientôt, je comprendrai. « Tu verras quand tu seras plus grand » m’a-t-On dit. Je ne sais pas qui est ce On et ce qu’On a voulu dire. 
  1. Je recommence ici unenouvelle vie, m’a-t-On dit.
  • 21.1.23

Christian Viguié

Chez Christian Viguié, 
j’aime à penser que les choses 
de l’écrit ne se disent pas. 

Je l’imagine peu bavard
sur sa poésie où les mots
croisent le soleil avec la mort. 

Viguié est au travail sur l’établi,
fait ses damages, plie, déplie,
petit artisan des ombres. 

Il écrit chez lui, à Decazeville,
à une terrasse de bistrot avec
au loin des nuages sur les toits. 

Je suis à côté, à ne rien déranger.
Je le regarde monter sur la table
les choses dont on ne parle pas.
  • 20.1.23

Le miroir des autres 53

Des ombres dans le couloir,
à guetter ma sortie. 
Je longe un mur de glace
d’où coule un ruisseau.

Rien n’est changé
mais tout se meut. 
Je voyage dans l’espace
à la recherche d’un miroir. 

À la vitesse des ombres
qui me tirent le visage,
le ruisseau devient fleuve,
le mur banquise. 

Au fond du salon le pôle, 
Sud ou Nord je le perds. 
Les Autres alignés
comme des pingouins m’attendent. 

Je suis arrivé dans le miroir.
  • 20.1.23

Le miroir des autres 52

Le miroir ne démarre pas. Il s’allume bien mais ne démarre pas. J’ai bien un paysage : une colline verte avec un ciel bleu dans lequel on devine un nuage ou du moins la traînée d’un nuage. C’est rapide, ça clignote et le paysage disparaît puis, plus rien, miroir noir, miroir bleu en boucle. 

Le miroir plante et les Autres attendent de démarrer la journée dans un recoin froid de l’univers. J’attends aussi. 

Il ne faut pas que je perde le ConTRôLe : hALTe à la panique, SUPPrime tes peurs, Christophe ! La solution est sous tes yeux. Ton reflet va revenir.
  • 19.1.23

10 minutes, dans les étangs

Je marche avec dans le corps 
des démangeaisons de vivre. 
Je me dis ça au milieu des étangs 
qui longent la route le bruit le froid. 
Les démangeaisons de vivre 
sont des fourmis rampantes. 
Des fourmis que dans ma tête.  
Elles parcourent le dedans 
ne sont ni visibles ni sensibles. 
Je marche avec les fourmis 
sur la voie cyclable des étangs 
et elles galopent autant que moi 
je fatigue à mettre les muscles
au service des mouvements.
Je suis lourd mais j’avance. 
La compagnie des flamants m’apaise.
Les fourmis aussi se calment.
Je ne les sens bientôt plus,
les démangeaisons de vivre.
  • 18.1.23

Le miroir des autres 51

Les Autres sont des loutres dans un bassin inaccessible. Des bêtes mignonnes avec la peau visqueuse. De ces êtres mi-anges, mi-démons. Dans mon reflet je vois le vertige des espèces, l’homme dans son infinie petitesse aussi beau et vilain qu’une loutre. 

Mal peigné, les dents et les moustaches qui dépassent des visages, se crée un déséquilibre dans l’esthétique de l’image. Je ne compte plus les réajustements de mon corps dans l’espace. Les simagrées de mes prochains. Les Autres sont des bêtes, des loutres qui plongent dans le miroir de ma salle de bains, dans un liquide visqueux et saumâtre. Je suis l’outre.
  • 18.1.23

Le miroir des autres 50

Je fais des ronds sur la vitre, des ronds des O avec la buée pour écran noir de mes nuits blanches. Nougaro glisse sa voix sur le miroir, joue avec mes pensées. 
Je l’ai peu écouté, Nou-ga-ro, et voilà qu’il s’invite. J’ai lu quelques-uns de ses textes ces derniers jours, les ai enregistrés à la volée, ma voix parlée sur ses mots. On a le sud en commun, ça s’arrête là. Mé-lo-pée. 

Dans le miroir, les Autres s’agitent, swinguent sur Armstrong. Non, ils ne sont pas tristes. Noir de peau et muets jusque dans leurs gestes, ils disent la nuit blanche.

Je fais des ronds sur la vitre. Des O, des Oh Ooooh, des longs, des saccadés avec dans la tête la voix de Nougaro.
  • 17.1.23

Thierry Metz

Avec Thierry Metz je suis un ouvrier, ce que je n’ai jamais été 
Avec lui je manœuvre à sa vue, cherche les preuves sous la pierre 
Il écrit ma maison, ce qui m’a construit malgré moi 
M’émiette à chaque tremblement ; un seau, une pelle 
Et ramasse les morceaux qui sont tombés de moi
Les éclats de plâtre que ça fait entre les oreilles
Quand il parle des petits, du père, de l’enfant ou de l’amour 
Des soirs de solitude à la table de nombreux convives 
Des soupes d’hiver qui durent toute une vie 
Ou de la lumière jaune de la lampe qu’on garde dans les yeux
Il me parle parle avec des mots comme des ciseaux à bois  
Des gens que j’aime, des tours de la vie, du plus rosse au plus tendre 
« L’homme qui penche » me tend la main et je penche
  • 16.1.23

Le miroir des autres 49

Les Autres ne me parlent plus. Ils ne tenaient pas de longues conversations mais, çà et là, ils lâchaient une interjection, un Oui, un Oh, un Ah. C’était peu mais j’étais rassuré. Je ne parlais pas seul devant mon miroir. Je pouvais continuer à croire que tout ceci n’était pas une hallucination. 

Je parle et ne répondent pas. Comme s’ils étaient subitement devenus sourds. J’ai envisagé cette hypothèse lorsque je me suis souvenu avoir changé de nettoyant pour le miroir. Un nouveau produit vanté en tête de gondole pour son efficacité, en promotion et à l’odeur agréable. Une seule pulvérisation les aura  privés de tous les sens. C’est ennuyeux. 

- Non, on t’entend ! C’est juste que l’on n’a pas envie de te répondre. On préférerait ne pas avoir à le faire, désormais. 
- …
  • 16.1.23

10 minutes, dans le pays réel

Le pays réel est dans la place. 
Dans la place où l’on marche,
il y a le pays réel sous nos pas. 
Juste à l’endroit où l’on passe,
le pays réel est en colère. 
Le pays réel est tout petit 
alors que tout le monde sait 
que c’est un grand pays qui est là. 
On est là, on est là, on est le pays réel. 
Ça chante dans le mégaphone,
les aigus du pays, les graves dessous. 
C’est un pays grave, le pays réel
avec des acquis de la réalité,
les combats d’avant
qui sont d’aujourd’hui,.
En avant, en avant !
Mais,
en dedans de l’avant,
avant la grève d’après 
ceux qui ne crient pas, entrent
en avant, en avant 
dans les grands magasins. 
Le pays réel solde. 
Alors…
  • 15.1.23

Le miroir des autres 48

Je déborde du miroir par petites flaques. Le miroir est une mer calme, une belle Méditerranée, même s’il n’en a pas la couleur. Cette mer est émeraude ou bien vert bouteille. Je n’ai jamais rien compris aux nuances de couleurs, pas plus qu’aux couleurs tout court. La mer est verte dans le miroir ou bleu très foncé ou rouge avec des reflets de visages. 

Je déborde, je suis une flaque sur une psyché. Les autres sont des migrants. Je suis leur élément bohème, leur reflet et flatte ma bonne conscience. Je ne parle jamais de sujets de société ou de drames humains aux Autres, pas plus qu’aux autres qui ne sont pas Autres.

La mer : s’il fait beau aujourd’hui, je sors les Autres du miroir et on va voir la mer, la calme, la vraie.
  • 15.1.23

J’aimerais

J’aimerais des machines qui essorent en silence 
J’aimerais les malheureux capables d’enlever leur mal
J’aimerais les prises USB réversibles 
J’aimerais les ouvertures faciles, les fermetures temporaires 
J’aimerais la maladie aux cons, qu’ils chopent le mal des malheureux 
J’aimerais les meubles en kit déjà montés 
J’aimerais les poils sur les tapis invisibles  
J’aimerais la disparition des housses de couette, l’abolition du lundi 
J’aimerais les sonneries et les colères aphones 
J’aimerais que le pragmatique attrape l’imaginaire
J’aimerais trouver le trivial toujours extraordinaire 
J’aimerais vivre dans un grand jeu où mourir fait gagner des points
  • 14.1.23

Le miroir des autres 47

Je souffre d’effet mémoire. Ce phénomène physique mais aussi chimique intervient après une exposition trop longue à un miroir. Cela affecte mes pensées et mes rêves. 

Je suis une vieille batterie. Dans le miroir de la salle de bains, chaque matin, des Ions courent sur ma peau. Les Autres sont les Ions. Je suis une batterie à bout de souffle qui souffre d’effet mémoire, je la perds un peu plus chaque nuit. 

Je suis fait de chair, d’os et de lithium. Je dors avec une prise 25w reliée à un cordon USB-C. À 80%, le système général coupera l’alimentation pour me protéger. Les Autres y veillent. Les 20% restants seront pourvus lorsque je serai proche de l’éveil. Bientôt, je ne tiendrai plus. Pour l’instant, je dors.
  • 14.1.23

Fleur de peau

J’en suis à cette fleur de peau qui prend par plaques
Sur mon corps, croît quand je croise la douceur
Si douceur qu’elle en est sa définition même  
Croiser par hasard cette douce douceur non feinte qui ne cherche rien 
Sinon à être douce, si véritable qu’elle en devient 
Louche étrange bizarre torve <ajoute ici l’adjectif qui sera doux à ton oreille>
J’en perds les sens ; perfide reptile, je sonne l’alerte
Tssss, comment en suis-je arrivé là ?
  • 13.1.23

Le miroir des autres 46

J’étais tranquillement à l’intérieur de mon corps à nettoyer. Dans les artères, passais chiffon et coton tige pour les endroits inaccessibles. Je faisais le ménage dans mes boyaux. Pas une mince affaire. Plus de cinquante ans de digestions ont créé un capharnaüm dont je n’imaginais pas l’ampleur. Les monstruosités qui se trouvent là ! Je ne vous dis pas.

J’étais tranquillement à glisser sur l’intestin grêle comme sur un toboggan quand, soudain, les Autres ! À la sortie Est, après le rond-point, juste à gauche de ce qui sera dans quelques années mon cancer, voilà que je retrouve mes Autres, assis autour d’une table de ferme à ripailler comme de cochons : boudins noirs, saucissons, jambons variés, tripes, salaisons ésotériques, beurre, fromages à pâte tendre et coulante, l’odeur ! Puis du gros rouge à flots et du blanc sec direct au goulot… Et que ça chantait, gueulait, ivres d’être dans mon corps et libérés du miroir de la salle de bains

Je me lève ce matin avec de sacrés haut-le-cœur.
  • 13.1.23

Guillevic

Avec Guillevic cette nuit je traverse le poème
Avec lui je jette la corde sur les mots et serre 
Ou quelque chose comme ça, plus simple il le dirait, Eugène 
Avec son économie de signes, ses petits pas dans la neige 
Qui ne laissent aucune trace, juste une traîne que je saisis et serre 
C’est là que je me tiens, à côté, avec mes gros sabots dans la tête
  • 12.1.23

Le miroir des autres 45

Le matin, survient souvent une de ces questions primordiales qui titille d’abord le corps puis l’esprit et ensuite peut-être, va savoir, tous les Saints qui nous écoutent planqués dans quelque grand autre miroir que le ciel cache sous son gros tapis de nuages.

La question du jour m’a pris vers cinq heures. Une allure de bateau vrombissant dans un port. Un voilier, un petit voilier, cahotant entre les ponts et les canaux. À son bord, un vieux capitaine (portrait du Captain Iglo pour les plus âgés d’entre vous qui visualisent le bonhomme s’agitant dans une publicité qui doit dater de quelques dizaines d’années),un fier capitaine qui filait droit vers le large avec, dans l’œil, l’expression de celui qui s’aperçoit à chaque aurore de la grandeur et du mystère à jamais irrésolus de la nature.

Voilà où j’en étais du cheminement de ma question existentielle lorsque les Autres dans le miroir de la salle de bains ont achevé de me réveiller dans un vacarme de tous les diables, Saints et marins pêcheurs de tout bord ! Philémon suçait sa pipe et braillait des chansons bretonnes. Théophile soufflait beaucoup trop fort dans un biniou. Et les autres Autres dansaient en ronde autour du duo.

J’ai pensé une dernière fois au Captain dans le creux de l’océan puis la question, la fameuse question, m’a filé entre les mains et les synapses comme un poisson frais bondissant de l’eau.
  • 12.1.23

La campagne me manque

La campagne me manque, son silence et ses nuits noires
Avec juste un bout de lune blanche et le cri des bêtes  
La terre humide me manque, l’odeur de fumier dans les champs
De javel sur le pas d’une porte avec une femme en blouse 
Tout affairée à décrotter la boue laissée par les godillots du mari
Lui boîte dans l’escalier et se plaint du mal de dos
Les gens simples me manquent, leurs figures griffées
Leurs gestes qui s’ouvrent comme un livre, à sans cesse réécrire  
Les habitudes en première de couverture ; ce soir j’ai froid
La campagne me manque, mes parents me manquent
  • 11.1.23

Le miroir des autres 44

Je cours dans mon rêve à une vitesse vertigineuse. Le paysage défile d’un seul trait, ou plutôt il s’agit de bandes multicolores, striées et floues qui envoient de l’air pulsé. De sorte que je me trouve dans un canal bordé de deux bandes sur lesquelles soudain je me risque à glisser les mains.
J’y vais lentement, le bout des ongles d’abord pour vérifier que les stries ne brûlent ou ne coupent pas, puis la sensation déride mon visage, la douceur d’une eau vive quand je plonge la main, s’empare de moi. Je suis soulagé, je décélère, je trottine, je marche, les bandes coulent sur mes pieds, je m’arrête. 

J’allume le miroir. A l’intérieur une rivière, son clapotis et les Autres sur les berges qui tournent la tête vers moi. Je suis un peu essoufflé.
  • 11.1.23

10 minutes, sous l’eau

La ville a des sons sourds
Qui font des bulles dans les oreilles
Ça rappelle l’eau qui bouche
Revient comme bouteille à la mer
Arrondit les bruits alentour  
Quand mettais la tête sous l’eau
Ça rappelle le clocher qui sonne
Le repic du village, les gens
Leurs voix passées au tamis 
Qui glissent par la fenêtre 
Je les entendais dans le bain
Enfant étanche au monde 
Tête et pensées sous l’eau
  • 10.1.23

Le miroir des autres 43

C̵h̵e̵r̵ j̵o̵u̵r̵n̵a̵l̵
Chère application,

Tout d’abord mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année. Des semaines se sont écoulées depuis notre dernière correspondance. Ne m’en veux pas, je suis empêtré dans un problème qui dépasse l’entendement et n’ai vraiment plus la tête à moi. 

Je vois des gens dans le miroir de ma salle de bains. Alors, cela peut sembler abrupt et fou, tu pourrais te dire que je déraille, que la sénilité me gagne et tu aurais raison. Je te demande quand même d’y réfléchir à deux fois. 

Tu connais mon côté rationnel. Je n’oserais jamais t’écrire une telle chose si je n’avais vu ce phénomène se produire et reproduire  depuis plus de quarante jours. Tous les matins à peu après à l’heure où habituellement je t’écrivais, des gens, des Autres venus du futur ou du présent ou encore d’un espace temporel encore inconnu, que sais-je, débarquent dans ma salle de bains, l’habillent de mille reflets et évoluent dans le miroir de façon la plus incongrue. 

Voilà. Il fallait que je te le dise. Que tu me crois ou pas, j’espère que tu pourras m’aider soit directement, soit en faisant jouer tes relations cybernétiques. Il faut résoudre cette anomalie, que tu me trouves le bon logiciel, robot, application ou la dernière intelligence artificielle â la mode qui saura élucider mon problème. Je compte sur toi. 

Mes amitiés chaleureuses, chère application.
  • 10.1.23

Le miroir des autres 42

J’allume le miroir, redescend d’un étage les prétentions du jour. Cuné apparaît, me sourit (c’est la première fois, il me semble) fait un gros plan sur une porte puis disparaît. 

Un lundi ne peut pas être révolutionnaire. 
On n’a jamais vu de grands bouleversements géopolitiques, un lundi.

Théophile ouvre la porte agrandie par Cuné. Cette porte est située dans le fond du miroir près du café où les Autres ont l’habitude de se retrouver et donne au-delà du miroir, Autour de la porte, un ciel bleu. Je pense à Jim Carrey dans The Truman Show. Théophile me salue de la main, sourit (c’est la première fois, il me semble) puis disparaît. J’éteins le miroir. 

Je descends d’un étage, fait en quelque sorte une révolution dans la cage d’escalier, ouvre la porte de mon immeuble qui donne au-delà de moi. De l’autre côté, sans mystère, la rue longe un trottoir où les gens ont l’habitude de passer. La rue dans la pénombre du lundi, réelle à en pleurer.
  • 9.1.23

10 minutes, dans la friche

Une friche se réveille d’un long sommeil
S’étire de tout son long, cligne encore
Une fois des yeux, relève ses carreaux
Compte les trous, sillons de boue, eau
Qui ruisselle fait miroir au ciel d’alors
Quand elle n’était pas friche mais fier
Territoire urbain rues au garde-à-vous dont on se souvient peu 
Plus loin se reconstruit quartier en carton pâte 
Nouveaux matériaux tristes carrés droits rigides
M’est avis que la friche préférerait se rendormir
  • 8.1.23

10 minutes, dans une ville sans habitants

Je suis tombé dans une ville
Une ville sans habitants 
Comme un visiteur du futur
Après la grande catastrophe
J’ai vu ça sur les réseaux
Un homme qui dit ça
Sur les réseaux 
Mais ici plus de réseau 
Aucune vie dans les allées 
Des cris des détonations 
Des animaux qui percent 
Qui tapent qui suintent 
J’ai peur que tout s’efface 
Disparaisse, moi compris 
Disparaisse, moi comp…
  • 8.1.23

Le miroir des autres 41

Où l’on se demande (encore) si les Autres existent. 

Je suis le cheminement de la question dans ma tête jusqu’à ce que le rire intervienne. Car le rire intervient toujours. Il est le fusible. Il me permet de faire sauter les plombs sans que j’endommage le reste de mes fonctions vitales.

La question a fait plusieurs tours dans ma tête. Je me demande même si elle n’a pas toujours été là, tapie dans un coin, attendant que je maîtrise le langage, le raisonnement et le discernement requis pour éclore.
Qui sont les Autres ? Suis-je des leurs ou sont-ils un leurre ? Dans le miroir ou ailleurs, sont-ils réels ? 

Comme on peut le remarquer (Pour préserver sa santé, insère ici avant la virgule, un sourire de l’auteur), et on le remarque, la particularité de cette question est que, dès qu’elle est posée, elle génère d’autres questions en cascade qui, si je ne les arrête pas, défilent les unes après les autres dans le but d’affiner le propos, préciser, étayer, couper les cheveux à quatre, en somme m’emmerder ferme. 

Sont-ils de chair et d’os ? Leur reflet est-il un vrai reflet ? Ou une simulation fabriquée par une IA ?
Et si les Autres se posaient les mêmes questions à mon sujet ? Et s’ils n’existaient pas, dis-moi pourquoi j’existerais ? (Joe Dassin ou presque)
  • 8.1.23

Le miroir des autres 40

Au réveil, je me demande combien de gens je connais (même de loin) et de combien je suis capable de citer le nom. C’est amusant. Je m’attelle devant mon café à visualiser mentalement les visages puis colle sur leur front une étiquette aux coins arrondis et aux fines lignes bleues — les mêmes que l’on collait à l’école sur les cahiers de classe, en début d’année — étiquette sur laquelle j’écris ensuite avec un stylo à encre violette et de ma plus jolie écriture, celle qui m’oblige à tirer légèrement la langue, le prénom et le nom de la personne revenue se balader devant mon regard mental. 

Je dresse cette liste avec rigueur mais je m’aperçois au fur et à mesure qu’il sera difficile d’en venir à bout, qu’il me sera impossible de savoir, une fois le stylo posé, si la liste est vraiment complète. La mémoire a des interstices et des dérivations impénétrables. Je fais alors machine arrière pour effectuer l’inverse : tenter de me souvenir des visages et des noms que j’ai oubliés… Cette nouvelle tentative échouant encore plus vite que la précédente, je me recouche, frustré. 

Dans le miroir, les Autres ricanent. D’abord sous cape puis de manière communicative les rires augmentent jusqu’à se tordre de cynisme, et maintenant c’est à gorge déployée qu’ils inondent la salle de bains. Je m’enfouis sous les draps. J’ai froid au bout du nez. La salle de bains n’est plus que rires et sarcasmes. Tout ça est vraiment très désagréable.
  • 7.1.23

Le miroir des autres 39

Les Autres sont utiles au bon fonctionnement de mon cerveau 
(J’essaie de m’en persuader)

J’allume le miroir 
Théo file sous la pluie de la douche, Cuné gronde une goutte d’eau 
Philémon pense « sobriété heureuse » tandis que Théophile reprend un verre 
Cunégonde pousse une coupelle de cacahuètes puis éclabousse 
Conception diminue son visage et son prénom de moitié
Concep influence Arthémise qui devient Arthé 
Arthé utilise l’autre moitié du visage laissé vacant par Concep
Elles prennent place toutes les deux dans le coin supérieur droit du miroir
Elles sont chargées à 100%, leur corps est à mémoire de forme (pratique)
Philémon est fourbu, l’appeler Philé peut le requinquer
Le bac de douche dégorge, son glouglou fait des vocalises et un peu peur 
Je sèche une larme qui glisse sur le nez de Cuné
J’éteins le miroir
  • 6.1.23

Je dîne avec la nuit

Je dîne avec la nuit, en tête-à-tête ou presque  
Il y aussi avec moi le chuchotement de la chaudière
Une porte dans la rue entrebâillée, un long soupir qui la suit 
Il y a avec moi cet imperceptible lueur dans l’œil de la nuit
Ça fait un petit discours dans ma tête 
Qui parle bas avec la chaudière et la porte qui bâille 
et le long soupir que je lance à qui veut l’écouter
  • 5.1.23

Le miroir des autres 38

Lorsque je suis dans la pièce à vivre de mon appartement, c’est-à-dire dans mon salon-cuisine-bureau-buanderie-salle de jeux-salle à manger, les autres pièces ne sont pas « à vivre » puisque je n’y suis pas, n’y vis pas. Dès lors, peut-on les considérer comme des pièces mortes ou plutôt des pièces à mourir ?

Par exemple, quand je ne suis pas à l’intérieur, la salle de bains plongée dans le noir déprime-t-elle jusqu’à se laisser mourir de chagrin ? 
Disons que, par paresse plus que par manque d’hygiène, un jour, mettons un dimanche, je n’y entre pas. Douché de la veille au soir et ne comptant pas sortir de la journée (on est dimanche après tout), j’ai décidé de ne pas quitter la pièce à vivre principale. Dans ce cas-là, succombera-t-elle parce qu’elle n’aura vu personne durant plus de vingt-quatre heures ?

Si cela se vérifie, alors les Autres du miroir de la salle de bains vivent dans une pièce morte. Brrrr, c’est glaçant.
  • 5.1.23

Pareil

Nous voilà au temps où le soir tombe de travers 
Où la lumière paresse au-delà de cinq heures comme
Si elle trainait des pieds, rechignait à partir
Pareil à ce garçon avec sa bouille de malices 
Sa façon d’arrêter le temps entre les poubelles
Derrière lesquelles il se cache de sa mère en gloussant 
Pareil, le soir a sur le dos le même gros sac qui dépasse
  • 4.1.23

Le miroir des autres 37

Les Autres coulent dans le miroir comme dans un entonnoir  
Cunégonde s’éveille avec mal aux cheveux, ses yeux glissent liquides 
Théophile tâte du goulot dès potron-minet, cherche des poux à Cuné
Une odeur de caramel entoure Philémon, il inonde le miroir de jurons
Je déplie le miroir, Fleurine dans le noir suce son pouce
Arthémise et Conception chargent encore leurs visages, elles ne progressent pas 
Le robinet du lavabo goutte, le choc de l’eau sur l’émail est une torture
Sortant de la salle de bains, le gargouillement des Autres me suit
  • 4.1.23

Le miroir des autres 36

Que faire des Autres dans l’impasse du miroir
Les regarder vivre et mourir,
faire bloc dans leurs cendres recomposées 
Tirer sur la corde pour m’échapper de mon reflet 
Ou bien attendre que viennent leurs histoires sous la buée des jours ?
J’écarte les bras, mains sur les bords
du lavabo
Je suis cet homme, cet Autre qui se débat dans chaque geste 
Avec la prétention d’en faire poème
  • 3.1.23

10 minutes, dans un parc

Un petit parc dans la ville ressemble souvent à n’importe quel petit parc. Je ne suis pas expert, ni physio de parc mais le parc Clemenceau, que je traverse comme une pensée, je le vois depuis toujours et partout. 

Une sorte d’image d’Épinal avec ses feuilles mortes serrées le long d’allées circulaires qui donnent le tournis, ses mêmes arbres dont je ne sais jamais le nom et m’intéresse que moyen de le savoir, 

des personnes dedans à la diversité toute relative, des arbres des pelouses des aires des clôtures des sièges des fontaines des toilettes, tous ces aménagements qui sont répliques d’autres vus dans les parcs qui peuplent mon imaginaire,

si tant est que j’aie un jour imaginé l’allure d’un parc, que ce soit dans mon sommeil ou dans quelque rêve éveillé. 

Bref, et alors ?


Rien. 

Arbres, petits et grands,
Allées et venues, rondes et bancs,
promeneurs promenant,
poussettes poussées,
boîte à livres (à unique livre),
tables clouées au sol
sur lesquelles les piques-niques formatent une couche de souvenirs
que l’on verra plus tard ressurgir sous un tas feuilles,
bâillements quand le soir vient,
soupirs d’aise quand le soleil embrasse,
gens cahotant chahutant passant,
les éphémères comme les permanents,
les pressés comme les ralentis du bulbe,

je dois bien l’avouer : j’aime les parcs.
  • 2.1.23

10 minutes, rue de la Raffinerie

Je tourne autour
d’un bâtiment sans âme. 
Aux fenêtres, lui poussent
de grosses pustules,
son visage est éteint,
son teint me déprime. 
La ville est moins belle,
parfois. 
Sa peau se change
en lèpre grise.
Je glisse
parmi les arbre nus
qui lui servent 
de vigiles.
Je me rassure,
descend le jour 
Je sais que la nuit
des hommes viennent 
lui chatouiller les pieds,
graffer taguer peindre,
lui donner des couleurs
pour qu’il se sente moins laid 
dans la ville belle.
  • 1.1.23

Le miroir des autres 34

Le miroir s’éveille avec Cuné en gros plan. Même phénomène vécu avec Arsène : son visage inonde la salle de bains, chaque centimètre carré de la pièce en est recouvert. Elle roule des yeux, ahurie d’être là. Il y a des erreurs, je sens qu’il y a des erreurs dans la conception de Cuné. Elle ne semble pas savoir qu’elle se trouve dans un miroir alors que les autres Autres y évoluent sans problème. 

Cuné rate chaque expression de son visage. Elle crée des demi-sourires, des battements de paupières trop lents, ses dents ne sont pas alignées ; cela provoque un décalage entre la partie droite et gauche, le miroir s’en trouve décentré par rapport au mur, penche d’un coté puis de l’autre pour tenter de rétablir les symétries. 

Cuné a du mal à vivre. C’est ennuyeux. Il ne faudrait pas qu’elle déforme toute la salle de bains avec ses grimaces. Je pourrais la réduire en la pinçant entre mon pouce et mon index , l’essuyer avec le plat de la main jusqu’à la faire disparaître. Je pourrais, je l’ai déjà fait avec Arsène. Je sais que j’ai le pouvoir de tout arrêter. Cuné et les Autres. Mais je n’y arrive pas.
  • 1.1.23