Règne

Ce jour plein de soleil est un jeu pour adultes consentants. Il est plein de crème solaire et de fantasmes en cascades. On en met toujours trop, on cède et on tombe dans l’onctueux ; oindre est notre leitmotiv songeant pragmatiques à l’hiver et à la protection de nos couches. Épiderme à terme. On cuit à point.
Sans discernement, on attire à soi dès l’appel de la courbe d’un cil, au basculement d’un œil, à l’ouverture d’une lèvre, à l’incise d’une dent ; attributs contre attributs, on jongle avec les corps qui ont soif. L’été est un grand jeu pour créer les conditions du règne.
  • 26.7.24

Esquisse

C’est une esquisse, un dessin de l’ennui 
Un trait au crayon sur un vieux papier bleu

Le geste est d’un autre lieu
Où je n’irai plus jamais 

Reviennent les marges, les petits carreaux
Le cahier à rabat, le buvard mauve

Autant de petits yeux cachés dans la mémoire 
Qui aujourd’hui ouvrent une brèche

Sur la feuille émeuvent et consolent à la fois 
C’est une esquisse, une dentelle pour demain.
  • 17.7.24

Remonter

Remonter le cours
des idées et de l’eau 

— ce qui charrie, à la montée 
des rêves dans le matin.

Laisser macérer les heures
sur leur nappe de lait caillé. 

Secouer et servir la journée.
  • 6.7.24

Contenu

La plante à feuilles rousses persiste 
à me fixer droit dans les yeux. 

Le fil interrupteur de la lampe de notaire
balance de vieilles rancunes. 

La fenêtre, de sale humeur,
tape dans ses mains 
et rue dans le chambranle. 

Tout en gardant un air contenu,
j’essaie de regarder ailleurs.
  • 20.6.24

Non-recevoir

Le jour a de gros manques.
On le voit remballer ses espoirs
dans un sac à grains de meunier.  
Rien ne doit se voir : masquer
comme fin de non-recevoir.
Il faudra replier toute ambition,
attendre le calme du soir 
en ses poches de coton. 
Et demain, vider le sac.
  • 14.6.24

Désordre

Tout est en désordre.
Beau y mettre la main, porter le corps, baisser, monter, ranger. Tout est désordre. Lever haut la tête ne fait qu’aggraver le mal de cou. Soulever le poids ? Pour en faire quoi ? Tout est trop lourd, se tord, se désordonne. 
Je passe le balai dans ma tête, par-devers moi. Glisse le manche entre les oreilles. Ça coulisse par à-coups. J’entends la suie qui suinte avec ce petit déraillement entre les synapses, caractéristique du désordre. 
Tout est le désordre.
  • 1.6.24

Mon œil

Mon œil suit les mouvements du vent
Lequel soulève un drap qui ne tient
Qu’à un fil et ressemble alors à un cœur
Ou à un poumon dont on fête le battement
Premier, mon œil sur cette petite histoire.
  • 25.5.24

Une place ronde

Une place ronde comme on attend qu’une place soit ronde. Une place avec son arbre au milieu, entre des murs qui n’ont pas oublié leurs lilas et qu’ils portent en robe longue jusqu’à leurs pieds. 
Une fontaine d’eau claire comme on attend que l’eau soit claire et dont les jets sporadiques semblent des oiseaux en mal d’atteindre le ciel, empêchés jusque dans leurs pépiements par le tumulte de la ville. 
Des gens sur des bancs, comme on les attend : rêveurs, fumeurs, penseurs, tapoteurs d’écran, heureux, anxieux ou nostalgiques, se rêvant oiseaux aux plumes claires ou embrassant leur prochain amour sous des descentes de lilas. 
Rien de neuf en somme, mais ce tout ordinaire dont j’aimerais garder chaque détail pour me souvenir longtemps.
  • 16.5.24

Séquence

Clap.
On a coupé l’arbre,
laissé un bout de tronc.
Il sort de la terre,
témoin qu’il y eût ici un arbre. 
Une jeune fille s’assoit
sur ce bout de tronc,
encore riche de ses racines
– le tronc comme la jeune fille. 
Je me demande s’il y a transmission,
de l’arbre à la jeune humaine. 
Elle a un chien, format miniature,
de ces chiens qui ne feraient
pas de mal à un arbre.
La fille lui parle,
au chien ou à l’arbre.
Elle parle de l’arbre au chien
ou du chien à l’arbre. 
Depuis une fenêtre voisine,
sort un air joué au saxophone
pour clore ou peut-être
commencer quelque chose.
Coupé.
  • 11.5.24

Au milieu

Sur un banc au milieu 
du ciel
d’un jardin
de plantes
d’une mare
d’insectes et de batraciens
de petits cailloux 
de gros cailloux
de pierres quelconques 
qui se prennent pour des roches 
Oui, au milieu
du ciel un peu trop gonflé de bleu pour être vrai
du jardin qui se dit botanique
mais n’est pas plus beau que tannique 
de plantes urticantes piquantes rampantes et, je l’entends, gloussantes 
d’une mare verdâtre d’une mollesse d’éponge gorgée
d’insectes qui attaquent les cheveux
de batraciens qui - quoi ? - coassent parce qu’ils ne savent rien faire d’autre 
de cailloux-pierres cailloux-pierres tellement de cailloux-pierres prétentieux 
qu’on ne voit plus la couleur du sol et pourtant
je suis bien
  • 10.5.24

De tout temps recommencée

Le jour vient se fermer dans ma main.
Lente descente de tout temps recommencée.
Avec elle, la même crainte sur le front de l’enfant 
que dans l’angoisse muette du vieil homme.
Comme eux, je tiens la bascule dans mon poing,
main dans le noir à chercher le bon mouvement. 
Lentement, de tout temps, recommencer.
  • 8.5.24

Palpiter

L’air que j’ai respiré aujourd’hui a coulé plus vite. Limpidité et rythme, sans nul besoin de l’air des autres. Tiré d’un puits que, durant ce genre de jours, on croit inépuisable. Coulant depuis la roche des replis, ruisseau de vent intérieur venu jusque dans le creux des pensées palpiter palpiter, palpitant tant, palpitant trop pour être autre chose que l’air d’un jour exceptionnel.
  • 5.5.24

Le pas lent des jours

Tu connais le pas lent des jours,
ce mouvement oublié puis reconnu.
L’ennui passe, fait la roue, paon
à plusieurs têtes, à l’encolure
multicolore mêlant mélancolie et joie.
Comme si quelque chose plus loin
te continuait sans être tout à fait toi.
  • 1.5.24

Rien vraiment ne bouge

Rien vraiment ne bouge 
quand la pluie prend les pensées. 
Pas même l’onde des flaques
quand sautent des bottes d’enfants. 
Seuls quelques craquements  
dans la respiration des vieux meubles. 
Seuls quelques mots vagabonds
dans le passage des ressassements.
Mais rien vraiment ne bouge.
  • 28.4.24

J’ai fait le compte

J’ai fait le compte avec moi-même des petites espérances, des derniers soupirs, des pièces à raccrocher au mauvais wagon, des chances de trouver un trèfle à… (ai laissé tomber l’idée des quatre feuilles). 
Refais, encore, parfois, le chemin à l’envers ; comme un touriste, je pousse des oh et des ah, des bof aussi, sur les images qui passent au format carré, grêlées ou un peu fanées. 
Fais, défais le monde, croise, décroise les jambes ; ouvre, corne, crayonne lentement un livre et bâille souvent (trop) sur les bancs publics en regardant tomber l’été.
  • 24.4.24

Un ciel de fin de semaine

Le ciel a de gros yeux, l’air fatigué et un teint de cancéreux. C’est un ciel de fin de semaine avec son paquet de soucis sous le bras. Ce genre de ciel qui fume des Gitanes maïs et sent fort de la bouche. 
Il oublie son bleu, vire au rouge qui tache, un temps se cache, puis réapparaît en faisant mine de ne pas goûter à son amertume, à son envie de se tirer loin sous un autre hémisphère. 
Le ciel fait le fier derrière ses gros yeux. Il n’avouera rien. Je l’entends marmonner dans sa barbe : quoi ? Qu’est-ce que t’as à me regarder comme ça ?
  • 19.4.24

Drôle de son

Dimanche fait un drôle de son dans ma tête, aussi dense que l’harmonium résonnant dans l’église, aussi pesant que le silence suivant sa dernière note. 
Je glisse à la fois mystique et mécréant dans ce jour de trop de lumière. Dans cette patte molle dont on fait le pain. Amen. Je serai son claviériste ou son ostie, à ce drôle de son qui court dans ma tête.
  • 14.4.24

Ce garçon

Ce garçon croisé sur le trottoir. À son visage, à son regard, je l’ai reconnu. Comme revient un mal de tête pour un ancien migraineux. La maladie de l’enfance avec ses médecins déguisés en gendarmes, les injonctions et les poncifs, les mots lancés sans discernement et dans les oreilles neuves, leur poids de pierre. Oh ! Aucun bâton, ni de joues ou de fesses rouges, non, pas de maltraitance visible à l’œil nu mais une maladie qui pique le dedans et continue de dire : qu’est-ce que je fais là ?
  • 8.4.24

Le jour fait ses valises

Le jour fait ses valises. Déjà descend son souvenir que le soir tout à son ombre fabrique.
Plus besoin de nuit. Quand tout part trop clair, trop loin, dans le ciel l’œil invente ses obscurités.
Tu es dans les nuages, dit la mère pour qui le jour ne fait que revenir, revenir sans saveur ni voyage. 
Redescends tes idées plus près du sol, marre d’éponger tes effusions lunaires. 
Finis ta soupe, range ton sac et va au lit.
  • 4.4.24

Toujours une voix plus haute

La rue a ses paresses qui comblent l’existence.
Propices à l’allongement des jours et des jambes. 
Mais toujours une voix plus haute que les autres perce, va et brise calme vociférant d’on ne sait où. 
Face obscure d’une lune gibbeuse, elle prend toute la place, tous les murs à son ombre, ceux aux oreilles comme les autres. 
Fabrique des échos, tape les murs, s’agite sur des cordes, rend le ciel zinzolin, agite la tête de notes dégingandées. 
Il y a toujours une voix plus haute et la tienne, tu ne l’entends plus.
  • 1.4.24

Beau couple

La pluie et le toit forment un beau couple. 
Ils coulent l’un sur l’autre, tête-bêche, poursuivant un rêve, à qui coulera le dernier…
Quelqu’un, quelque chose invente ici une histoire.
Il faudrait en être le lecteur secret, chargé de déplacer chaque situation de son intention. Prendre cette goutte filant parfait amour avec son toit, plic ploc et jaillissement, et en faire son histoire.
  • 29.3.24

Dans les plis du vent

Tu pourrais brosser des intrigues dans les plis du vent, t’échapper par les toits avec la nuit enroulée autour du cou, ne plus revenir qu’en rocambole d’opérette. 
Mais les toits sont las des histoires comme toi des hommes, fats et usés. 
Ils ne croient plus aux belles envolées des amants fuyant par les greniers.
Ils dorment sous un ciel sans charme. Rien ne les amuse plus, ils en ont trop vu.
  • 24.3.24

Les toits continués

Depuis la fenêtre, les toits continués
par le regard font redescendre la fatigue.
De petits esprits piétinent dans ta tête 
pour écraser les refrains du jour. 
Tu les laisses préparer quelques mots,
gardes en bouche les plus simples, 
les plus habiles à boucher les trous. 
Puis leurs ombres glissent sur les joues
de la nuit, articulent, désarticulent 
ce qui reste de reflets dans le ciel. 
Ainsi longtemps jusqu’au sommeil.
  • 21.3.24

Accords

Les quelques accords à la guitare sèche que tente de réaliser mon voisin vont bien avec l’humeur du matin. Les cordes résonnent dans la rue ; à s’y pencher, on pourrait croire la mélodie issue des gros fils électriques qui la traversent. 
Le son est grave et le dandinement des fils, synchronisé et entretenu par un petit vent sans prétention, fait presque oublier les fausses notes. Si je devais intituler ce moment, j’opterais pour Gamme électrique sur matin sec.
  • 16.3.24

Noir

Le couloir sent le salpêtre et le noir qui monte sur les murs de l’escalier n’a rien à envier à la migraine du vieux monsieur. Son front parle et perle. On peut y écouter une mémoire ancienne, à chaque froncement son histoire. Millefeuille de noir et de poussières. 
Bonsoir, vieux monsieur, ne faudrait-il pas repeindre la cage d’escalier ? Qu’en dit ce noir sous vos yeux ?
  • 14.3.24

Courbé

Le vieux monsieur est courbé. Il regarde ses pieds. Ne peut lever la tête plus haut que mon torse. Nos discussions sur le palier sont courtes. Me parler sans pouvoir croiser mon regard l’accable. M’adresser à la pointe d’un crâne me gêne. 
Le vieux monsieur est courbé. Marmonne sur ses chaussures. Inintelligible vieillesse. J’acquiesce ou hoche la tête, demande si tout va bien ou parle du temps qu’il fait. Je me baisse, cherche sous ses cheveux blancs une lueur, le salue. Il me salue. J’entrevois alors dans ses yeux la couleur rieuse du désespoir.
  • 9.3.24

Un sourire dans la rue

On attrape un sourire dans la rue. Un œil roule et un peu de joie se relève. Contact et passe. On garde le sourire pour soi. De loin en loin, on sait l’automne sous les paupières, la suée des montées, la courbure maligne des lèvres. Si la mémoire ne piège pas le chemin, on l’aura ajouté à la collection des vieux sourires, pour qui voudra les saisir.
  • 6.3.24

Petits pas

Petits pas dans l’escalier. Toux sur le palier. Silence. À nouveau les pas, glissés, pesés. Pas d’attaque aux talons. Des pas de chaussures légères, à semelles molles. La descente bien que lente reste souple et régulière. La toux s’emballe, les pieds glissent. L’homme piétine devant ma porte. Raclement de gorge, reprise du corps. La toux glisse, les pieds s’emballent. Petits pas, les marches dans l’escalier s’éloignent. Il les prend avec lui. Cahots et gorge, prudence et équilibre, tout à sa tête. Le vieux monsieur du deuxième est sorti.
  • 2.3.24

Dans ce vide

La fenêtre est entrebâillée. Dans ce vide, tu passes comme un courant d’air. Lèves les bras, creuses le ventre, un temps ta respiration coupée. Te voilà dehors, tu ventiles, parais de la même consistance que le ciel et la terre. Tes pensées sont des ressorts dans les nuages. Ton corps est absent. Seule ta tête, tête là en premier, partout, s’étale nébuleuse à regarder le trottoir, l’incongruité du trottoir. Ça suinte et grince en bas. Tu n’y es plus. Tu serais léger comme la mort si tu connaissais son poids. La fenêtre claque. Tu sursautes, mal à dos, étau et masse, les pieds pris dans le rêve.
  • 20.2.24

Le bel ennui

Il vient, le bel ennui. Ce genre d’ennui qui fait lever le nez et qui, le reste du temps, sur le dos forme comme une bosse. Vient, revient heureux avec son lot de contemplations, sa part de rêve et de ciel. Ça travaille là-dedans. Depuis le dos, se redresse dans la tête. L’ennui léger, de belle facture. La bulle ! Malgré la bosse, malgré le trop plein qu’il laisse quand il repart.
  • 14.2.24

Tu ne reconnais plus les jours

Tu ne reconnais plus les jours. Dimanche avec mercredi disent bonjour à hier, ce jeudi ensoleillé. Tu ne reconnais plus les heures. Elle ne sont que des pages non numérotées entre deux froissements de la mémoire. Blanc. 
Tu ne reconnais plus, ni les jours ni les heures. Vingt-cinq heures du soir de la veille. Quand on te demande, tu plaisantes pour détourner l’attention. Comme un enfant qui apprend à compter.
  • 10.2.24

Avec des caprices d’enfants

Tu marches avec des caprices d’enfants. L’un, derrière toi, frotte ses pieds sur le pavé, pour un peu s’y jetterait. Sa mère le tire par le bras, remonte ses genoux, frotte le pantalon, soupire. L’autre, devant, accélère puis ralentit, son père gronde. Tu évites l’enfant pour ne pas le renverser ; il te regarde sans rien dire, secoue la tête avec une frénésie que tu te surprends à envier. Le père lance vers toi un sourire d’excuses. Le premier te dépasse suivi de la mère au trot, rattrape le second, prend sa main et tous les deux se mettent à courir en criant d’un même entrain. 
Tu t’arrêtes, les caprices s’éloignent, avec eux un creux dans ton ventre. Ils te laissent avec une envie de crier et de rouler par terre mais tu n’en fais rien. Tu souris sans joie en dodelinant de la tête.
  • 4.2.24

Vous vous aimez

Tu ne sais pas ce qui te retient au fauteuil. Tu penses à la fatigue et elle pense à toi. Au fond, vous vous aimez. 
Le livre se termine, la page de fin se déplie comme une main sur l’accoudoir pour te hisser. Te lever avant la chute n’aurait pas de sens. Si le sens a encore du sens. 
Tu vois ton corps s’affaisser à mesure que glisse le livre. S’il tombe, tu tombes.
  • 31.1.24

Une trace dans l’air deplacé

Tu avances dans la ville. Derrière toi, tu laisses une trace dans l’air déplacé. Une odeur, un son, un reflet, une onde. Ta silhouette réduite à quelques gouttelettes, elles-mêmes réduites à une poignée d’atomes, lesquels s’évanouissent. Les autres prennent ça dans la figure. Courant d’une vapeur, bruit parmi les bruits, rien, tout juste un éclat dans leurs pupilles. Ils traversent un passé qui ne sera jamais souvenir. Un chien pourtant semble y renifler quelque chose. Ton passage, l’acre de ton corps, un dépôt que lui seul décèle. Quelque chose qui revient ou plutôt, ne lui revient pas. Il aboie.
  • 28.1.24

De larges bandes

La matinée a de larges bandes pour s’étaler. Elle en profite, abrutie dans son reste de nuit. Tu l’accompagnes, ensommeillé, comptant les heures sans substances. Une fenêtre, un soupir, une fenêtre, un soupir…
Personne ne le voit mais dans ton absence de gestes, tu enroules ses larges bandes autour de toi, pour t’en faire un costume de matinée. Tu jouerais presque à l’aristocrate mais tu as froid.
  • 26.1.24

À sang froid

Tu es un animal à sang froid. Serpent sans sonnette, dans ton corps l’humeur d’un fauve. Voilà, tu es un serpent à tête de lion, tsss du venin plein les crocs. 
Il aura fallu épuiser le rêve, retourner la crinière puis activer la sonnette pour enfin te réveiller. Tsss, tu es un animal qui rêve encore, tu en tires une certaine réassurance. La nuit peut continuer à parler.
  • 23.1.24

Au fond du sac

Tu fouilles dans le fond de ton sac, en sors poussières et épluchures de vie. Tu t’arrêtes et comptes le temps qui sépare deux vieux tickets de caisse.
Tant de jours dans un sac, d’heures tombées dans l’oubli. Tant, que cela paraît irréel. Tu froisses le premier ticket, fais du papier fin une petite boule qui roule entre tes doigts. 
Le soir descend faire sa soupe. Tu avises le second ticket, la date et l’heure, tu le lisses longuement sur la table. Un soupir devrait te prendre mais tu le retiens.
  • 18.1.24

Mine

Tu dis qu’enfant, on ne t’avait pas vendu ce futur. Tu tailles un crayon et tu penses à la mine et à sa polysémie. T’en tires une mine ! Assis là, à la table de lecture, en train de faire coïncider souvenirs et advenus. 
Tu sais bien qu’il y a plus malheureux que toi, t’es pas à la mine ! Tu souris, reposes le crayon, souffles sur les rognures de bois. Elles retombent lentement, bien où elles veulent, déjà tout à leur futur.
  • 13.1.24

Tu entends le vent secouer la vitre

Tu entends le vent secouer la vitre. La fenêtre de son vieux bois craque.
L’hiver étale sa petite mélancolie. Il suffirait de souffler, entre deux pages lever la tête pour écouter ce qu’ont à dire le bois, la vitre et le vent.
Tu pourrais sortir du livre, rendre le jour moins gris, en tirer un poème, un cri de vent et de bois.  
Mais, tu entends le vent secouer la vitre. Rien que l’écho du vide dans le chambranle. Du vent sur une vitre. Du bois qui meurt. À quoi bon.
  • 7.1.24

Oh rien de sanglant

La nuit a sorti son couteau à lame froide. Sur la joue, tu la sens se pointer avec sa musique de mauvais téléfilm. Un pas n’attrapera pas l’autre, tu te dis : tant qu’il y a équilibre !
Tu traines avec cette odeur de viande hachée. La lame en suspension, un coupe-gorge au coin de la rue. Oh rien de sanglant ! Juste un petit poids sur ta carne.
  • 3.1.24