Le grand jeu

clip_image002Ils jouent peut-être au bonto ou à un autre jeu de cartes ou aux dés, ou à n’importe quel autre jeu. Mais dans tous les cas, ce qui les accapare, c’est l’issue, c’est la gagne. Assis face à face autour d’une table de pierre, dans un pensum, dans un rictus, rivés à leur jeu comme si dépendait de l’issue de la partie une conscience d’être, d’être joueur, d’être gagnant.

Et les autres, badauds oisifs, s’agglutinent tels des mouches piquées de la curiosité d’un jour pondre autour, de créer eux aussi le jeu, d’être joueurs gavés de l’expérience des grands. Et par l’ambiance sertie du regard posé, par l’entraide morale et muette, par la fascination du jeu élevé en modèle de vie, ils supportent les compétiteurs, bras croisés, planqués dans l’humilité du non-joueur qui voudrait jouer. Ils poussent des petits « ah », des infimes « oh », des discrets « surtout pas comme ça », autant d’interjections sourdes qui se mêlent à la tension de voir naître le gagnant, le vainqueur d’un match de pacotille qui bientôt paradera sur la pierre fraîche d’un parc.

Moi, je suis désolé, je ne veux pas regarder ces êtres qui jouent, qui fuient le monde dans des combats puérils, qui s’abandonnent au hasard sans se soucier du dehors. Je ne suis pas de cela quand d’autres se saignent, s’étripent par le dedans, loin des grands parcs. Je pense à tout ce que je ne peux pas faire, poussé ici sur ce banc à m'accointer de gens qui ne font que jouer. Je ne veux pas jouer, je ne veux pas regarder jouer. Le monde autour nous pousse au jeu pour mieux nous aveugler. Je suis fatigué de faire semblant d’être des leurs, je ne supporte plus leur fuite vers le vide. Alors, je m’engonce dans mon dedans et je regarde le monde au sol, mes pensées mélancoliques collées à la face sombre du grand jeu.

Illustration : Guillaume Noury

  • 25.2.12

Un autre temps

Se suspendre, se surprendre, le temps de. De. De quoi ? De tout. Que faire du temps que j’ai pour l’écrire, sans pause, sans temps, sans errance, mais avec tempérance ? Et rance le temps vieux du temps de le dire, les phrases se tronquent, se trompent, ce trop peu s’en plie et après. Pas assez, va-et-vient. Présent dans. Passé composé d’avant.  Allez, ne pas s’en tenir à la complétude ! Temps incomplet, temps infini : impossible quantité, redondance, futilité volatile. Vola-t-il ? Le temps ? Mon temps ici présent ? Égrotant, malaisé, onctueux de misères, lourd, entier, pesant, il n’en demeure pas moins insaisissable : temporis aeternam est. Tant lutter pour une seconde, infime miette de temps, une chance de. Pas le temps. Se rendre, se sur-rendre à l’impossible quête de border le temps, de mesurer jusqu’à son bord. Quel bord ? Surtout ne pas finir, regarder l’éphéméride comme une échelle graduée à l’infini et laisser le temps : que soit le temps de ne pas le prendre. Avec ce qu’il faut de recul sur. Surprendre. Suspendre.

  • 12.2.12

Touche

imageEncadrée, je suis désormais suspendue au mur. Comment suis-je arrivée dans cette position, au-dessus des gens,  leur tournant le dos au mépris de toutes les valeurs que l’on m’a inculquées ? Je ne sais pas. Ou plutôt, si, je sais, je fais mine de ne pas savoir mais je sais, je me colle au déni, pleine de la tristesse que j’éprouve, la tête penchée sur ces notes : blanches, noires, quelle symbolique !

Ma vie sur un clavier, des touches, juste des touches effleurées du bout des doigts : basses notes et dièses survoltées. Je ne veux plus savoir, ne souhaite plus voir, j’ai appris à composer entre les croches et anicroches. Je tiens ma vie sur la touche. Je connais aujourd’hui le prix de la mélodie, le sourd que provoque, au creux de mon corps,  les basses ronflantes. Je connais que trop les acouphènes en suraigu qui se logent au pavillon de ma tête. Déchirante, je connais la chanson et les ritournelles belles.

Je ne veux plus que vous croyiez que je sais. Je veux du blanc tout le temps, ne veux que de larges touches blanches sur mon clavier. Je veux que vous m’aimiez. Alors, je vous tourne le dos, je me la joue mélomane jazzy au fond du bar. Le bar. Le mystère et les vapeurs qui vont avec.

Et c’est moi que vous accroche au mur, c’est moi qui vous touche mais vous n’aurez plus que mon derrière, je ne vous donnerai plus que l’excavation de mes épaules, l’ombre de mes omoplates et si un jour je me levais du tabouret qui donne dans les plis rougeoyants de ma robe la silhouette élégante et femelle que vous souhaitez voir, ce n‘est que mon visage défait que vous aurez, un regard voilé en auréoles saoules d‘une existence sans touche.

  • 5.2.12

1601 #VasesCommunicants par @czottele

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D’abord les chiffres. Mille six cent un (jamais su s’il fallait jouer l’union par le trait ou pas) (enfin, jamais su, c’est pas sûr parce que je ne sais plus ce qui est de l’ordre du définitif) bref, je reprends. Le professeur Minne m’a demandé d’arrêter de noyer les poissons. Ça m’a fait sourire, cette expression, mon premier sourire qu’il a dit, et que significatif c’était mais dans quel sens ? Peut-être que ça évoque quelqu’un ou quelque chose de particulier pour moi ? Ou à l’inverse c’est une expression que je n’ai jamais entendue de ma vie ? Il m’a demandé d’y réfléchir et sur la photo aussi bien sûr. D’écrire tout ce qui me venait, comme ça. Essayons.
Palmiers, oasis, désert, cyprès, si loin, serre, effet de serre, j’y serre mes gloses, serre m’en un. Curieux ces associations d’esprit. De toute évidence, on dirait que j’ai déjà fait ça. Je suis peut-être atteint depuis plus longtemps qu’ils ne le pensent. Ce matin, le professeur Minne m’a mis au volant d’une voiture, et de toute évidence, j’ai tous les réflexes d’un conducteur de longue date. D’ailleurs quand les flics m’ont trouvé, hagard, ce 16 janvier, à 16h01, devant la serre, avec cette photo à la main, c’est près d’une berline grise qui ne m’appartenait pas. Volée, de toute évidence. Je dis souvent ça. Apparemment, je suis un homme à évidence. J’étais. Car si cette amnésie se révèle définitive –Minne dit qu’il est trop tôt pour établir un diagnostic définitif- et si personne ne me recherche, je risque de douter longtemps de mes évidences.  Les statistiques de l’ordinateur révèlent que je viens de taper 1601 signes.

Ce texte a été écrit par Christine Czottele dans le cadre des vases communicants. Vous pouvez suivre Christine sur son blog etsansciel pour y lire “du dérisoire, de l'insignifiant ou/et de l' essentiel?” Surtout de l’essentiel dérisoire à mon sens et du nécessaire de le rester (dérisoire).
En réponse à la contrainte des 1601 signes sur un cliché pris par Christine le 16/01 à 16h01, vous lirez si vous le souhaitez mon texte par ici.

Pour connaitre la liste des autres participants aux vases communicants, suivez et cliquez sur TOUS les liens de la liste établie par Brigitte Célérier.

  • 3.2.12