10 minutes, sur un banc

Lui, rougeaud, la fixe. Il est inquiet. Son regard balaie ses yeux à elle, recherche un assentiment qui ne vient pas. 
Elle, genoux repliés jusqu’au menton, enlace ses jambes, les serre jusqu’à faire de petits renflements de peau sous ses doigts.
Lui, assis sur une fesse, buste de trois quarts tourné vers elle :
— Tu ne m’as laissé le temps, c’est compliqué !
Elle, rien. Les orteils dans ses sandales battent la mesure de ses paroles à lui. Elle, rien, de sa tête descendent des lunettes noires. Rideau.
— Je ne vais même plus au Rugby. 
Elle se tord. Elle bout. Délace ses genoux et son chignon. Les cheveux tombent, de ses yeux un peu d’eau. 
— Sur 1550 euros, après loyer, charges, courses, il nous reste 300 euros.
Lui, se gratte la barbe. La peau de son visage est parcheminée de billets de banque. Son regard est un compteur.
Lui, réprime l’eau.
Elle, inaudible, parle. Voix faible, étranglée de sanglots. Les jambes retombées au sol balance de gauche à droite. Ses mains remontées derrière la tête disent qu’elle ne l’écoute plus. Il le sait.
Lui, part.
Le silence d’après s’étale, épais.
Elle, rattache ses cheveux lentement. Me regarde par-dessus les lunettes. Part.
  • 31.7.23

Brume contre brume

Elle sort et cherche le soleil. Un œil vers le ciel et l’autre vers moi. Je ne la regardais pas, pourtant nos regards se croisent. Je sais qu’elle déplore le gris du jour. Un gris qui s’étale dans la rue comme s’il voulait refaire façades et ciel, cœur tête et ventre des gens qui sortent le matin sur leur balcon pour voir le soleil. Nous sommes ces gens qui ne se disent rien, qui ne se sourient même pas. La nuit est encore trop présente sur nos joues, elle tartine du noir sur du gris, fait des ombres sur nos fronts, effraie nos pensées. Brume contre brume, j’efface la voisine de mon regard. Elle fait de même. Bonne journée.
  • 29.7.23

Ce petit chien

La journée finie pliée sous le bras 
À traîner fatigue sur le trottoir 
J’avance dans le décor rue trottoir 
Les pensées affleurent repartent 
Alors un petit chien assis sous un panneau
Dans la même position qu’un enfant 
La patte sur la route à faire misère  
Ce petit chien je crois m’a souri
  • 28.7.23

Bleu canard

Bien sûr il y a la lumière qui danse
Dans les arbres reflet de l’eau mêlée 
Au soleil aussi léger que l’air
Bien sûr il y a le bassin d’eau verte 
Amusé par sa peau nuance de jaune
Les enfants, leurs mies de pains 
Le bleu canard qui joue l’impressionniste 
Mais il y a des manques dans l’éclairage
Des petites plaies à la surface
Le temps ondule mal entre les lueurs
Trop d’aplats sous les pics de brise
Le cliché manque de sincérité
Comme une photo trop instagrammée
  • 22.7.23

Sur le bord, ébréchée

Me revient une image, nature morte sans nature : une simple assiette sur la table avec des motifs bleus entrelacés. Sur le bord, ébréchée. La lumière ne vient pas jusqu’à elle ou à peine, d’une lampe, loin, depuis une autre pièce dans laquelle je sais quelqu’un veiller, assis sur une chaise à bascule. La personne assoupie se balance et l’assiette continue de se fendre. La brèche grandit, du bord vers le centre, dégage un léger craquement semblable au bruit d’une craie sur une ardoise. Elle se coupe en deux morceaux. Le balancement de la chaise ralentit puis s’arrête. Le jour se lève. Sur le bord, ébréché.
  • 18.7.23

Sur lui-même

On a passé le ciel à la crème, le bleu au baume
Midi va sonner et plus rien déjà ne luit, voile à l’œil
Douché par une petite amertume, dimanche se replie sur
Lui-même comme du papier glacé au soleil 
  • 16.7.23

Il faut que je travaille, maman

« Il faut que je travaille, maman ».  Comme un mantra, la phrase est répétée avec une intonation qui dit la fatalité. « Il faut que je travaille, maman » est la réponse à tout. Dans le téléphone que tient la femme au balcon, elle est articulée nettement au bout de chaque propos. Maman parle, explique, essaie de tirer au clair la situation, s’inquiète pour sa fille puis se tait et accueille la phrase comme seule solution. « Il faut que je travaille, maman » fait ses gammes : la voix de la femme au balcon transporte lassitude et angoisse dans un même refrain. La phrase monte haut, culmine, redescend. Se module, expire, meurt. On pourrait en tracer la courbe, elle suivrait celle du chômage. Il. Faut. Que. Je. Travaille. Maman.
  • 15.7.23

Ma parole !

l’arbre dans le jardin public 
semble donner des réponses 
à des questions jamais posées
ombres clins d’œil phrases courtes
poses longues s’enchaînent 
sans que rien ne puisse l’arrêter 
de déblatérer — cet arbre est soûl 
ma parole !
  • 14.7.23

Sacrifice et Rédemption

Je m’aperçois que les mots Sacrifice et Rédemption sont flous pour moi. Leurs définitions se croisent, se ratent comme si elles avaient eu rendez-vous un jour et qu’elles s’étaient mutuellement posées un lapin. 
Au coin de la rue, le matin discute à petites voix. Il y a fort à parier que ces voix ne se soient pas couchées. Ce sont des voix de nuit, entre sacrifice et rédemption. Elle parle de religion ou du dernier film qu’elles ont vu, de peines de cœur ou de l’été gros qui pèse sur l’aube. Aucun de ces propos n’est plus important que l’autre. 
Je m’aperçois que je n’entends pas grand-chose à tout ce vocabulaire lointain. Il me creuse toujours, un peu plus chaque jour.
  • 11.7.23

Viens je t’emmène

On regarde juillet fendre nos fenêtres
Sourire large du malaise des gens 
Ici on trébuche sur les dards du soleil
Le trottoir est notre pierre philosophale
Chaude et brune, lisse et d’espérance 
Dans la rue des têtes basses sort un
Viens je t’emmène sucer des glaçons 
Je trébuche là-dessus avec fraicheur
  • 10.7.23

Zinzin et pendule

Volets tirés montent les petits insectes 
Dans les rideaux et sous les yeux 
Là où la fatigue inonde zinzin et pendule
Les pensées comme une brise de voix 
Le sommeil apporte lente et lointaine 
Une petite lueur de la forêt des siestes
  • 8.7.23

Turbulent

Le jardin public est turbulent. Sur les bancs, on évoque les émeutes de la nuit. Une meute de chiens aboyant semble prendre part à la discussion. Un des propriétaires les calme à grands coups de pied dans l’échine. Ça couine puis c’est un jeune homme qui prend le relais avec le son d’un rappeur jaillissant de son enceinte connectée. Les basses font bouger les lèvres de la dame assise sur le banc opposé. Le jeune homme est rejoint par ses amis ; ils se rangent autour de lui et se déhanchent en rythme. 
Le jardin public est turbulent, ce matin. J’écrase le mégot que ma voisine de banc a jeté avant de partir. Je reprends mon livre. Les chiens recommencent à aboyer. Leurs maîtres crient. La femme aux lèvres qui bougent est partie sans que je m’en aperçoive. Elle a fini par se lasser du son syncopé de l’enceinte. Il tombe quelques gouttes de pluie entre le soleil et le jardin. Turbulent.
  • 1.7.23