Raté d’ouverture

Un sourire avec les yeux rencontre un visage impassible et les corps se rétractent, les bras se croisent, les mains cherchent le cou qui se coude, l’œil file loin derrière le paysage. On croirait y voir le reflet noir des montagnes et à côté, nos cœurs plongés dans l’eau de mer. C’est seulement un raté d’ouverture – une panne, une rencontre avortée – qui nous piège dans les plis de l’instant trop rapide.
Mais, qui de nous deux a effacé l’autre ?
  • 31.7.21

Qu’est-ce qu’il me dit, ce dimanche ?

Qu’est-ce qu’il me dit, ce dimanche ? Planqué entre les questions quotidiennes* et la tectonique de l’aube**, me parle guère ce jour du seigneur. Avec ces heures avalées par le deuil des autres, des plus proches. Ce n’est pas ma peine mais elle ravage le visage de l’aimée. Alors, elle est un peu mienne, emprunté que je suis quand le chagrin ne peut pas vraiment se partager. 
Qu’est-ce qu’il me dit, ce dimanche ? Quand j’ai du mal à parler de ce qui traverse. Pas un jour à chômer, ça laisse trop de place aux questions sans réponse. Puisque ça ne dit rien qui n’ait déjà été dit, je sors des banalités aussi vieilles que les dimanches puis, j’espère un peu de voix dans mes gestes maladroits. 

*La question quotidienne, Claude Enuset, Cour intérieure
**Tectonique de l’Aube, Jean-Claude Goiri, Tarmac éditions
  • 18.7.21

Il y a un vieil homme dans la cour accroché à la corde à linge

Il y a un vieil homme dans la cour accroché à la corde à linge.
Il déplie torchons, serviettes et mouchoirs de sa main libre. En fait des bouquets qu’il ajuste entre le fil et son autre main arrimée. Cette main qui accueille la pince, se décale d’un saut et à nouveau s’accroche pour un prochain bouquet. Cette main qui maintient surtout son corps courbé et chancelant bien à la peine entre les va-et-vient de la corbeille au fil, du fil à la corbeille. 
Il y a un vieil homme dans la cour accroché à la corde à linge. 
Son ombre forme sur les dalles de béton une grande parenthèse qui s’étire sur le mur d’en face. Je l’entends souffler entre deux bouquets, je crois qu’il râle un peu d’être ainsi à la tâche. Il fera de son petit linge toute la corde puis se redressera fier du travail accompli.
Il y avait un vieil homme dans la cour accroché à la corde à linge. Il est parti laissant là sa sueur et une forte odeur de lavande.
  • 10.7.21

Son lot d'espadrilles et de bermudas

15h50
 
L’été a apporté son lot d’espadrilles et de bermudas sous les bureaux. On entend les orteils craquer au bout des jambes allongées sur des cartons de ramettes de papiers à imprimante. (Ils font de très bons repose-pieds pour le travailleur fatigué.)
On sifflerait presque des airs entraînants, quelques tubes des étés précédents pour nous apporter un peu de Monoï dans les narines. Mais l’heure est davantage à la micro-sieste où chacun s’évade vers sa destination préférée. Les paupières clignent puis se ferment, cachées par la paume de la main qui s’ancre sous nos fronts comme si nous étions soudain plongés dans une grande réflexion.
Pendant une petite heure suspendue, on fera mine de ne pas entendre les lourdes respirations que personne n’ose vraiment nommer ronflements. 

  • 6.7.21