7 variations sur le même thème #10


  1. Ne pas confondre ce qui nous emporte. L’orgueil avec nos préjugés, l’éducation avec la dérive de nos loyautés. La décence voudrait que j’épargne ton ego. Que nul ne fasse jaillir la peine qu’on provoque. Mais nous sommes mal assurés, perdus dans l’étourdissement des corps. Si mal qu’il est difficile de se raccrocher à la branche qui nous porte. Celle qui soutient le poids de notre intimité comme le ciel soutient le bleu.
  2. L’enfant insolent n’est pas mort. Pourtant on presse sur lui, on perce le bubon sur la peau laiteuse. Le Petit en nous est en deçà du bon. Il se vit en drame quand le Grand s’applique à le fuir. L’enjeu en vaut la peine. Si on observe nos corps découpés dans le miroir, il est toujours là – blotti entre deux envies de plaire. 
  3. Un regard t’éloigne, vers une ligne imaginaire. Brouillée de toi, je cherche le point de jonction par lequel te soulever. Je cherche l’entrée de ton rêve. Pour me poser avec toi sur la ligne. Une parole, un geste, un contre-regard. Mais rien ne bouge, sinon une douleur sourde qui agace ton orgueil. Le manque augmente aussi vite que nos yeux roulent d’impatience. J’essaie un regard dans le sillage du tien – en espérant dépasser la ligne.
  4. Subtilement, tu viens vérifier les brèves. Tailler dans la masse pour assurer ta présence. Avec quoi coupes-tu le fil de notre connivence ? Pourquoi soulever autant de montagnes pour accoucher d’une souris ? Si tu ne t’aimes pas, je ne t’aimerais pas.
  5. Tu invoques le doute, quand je sais l’orgueil lever dans ta tête des tempêtes. Le contact est escarpé, tendu de paroles jetées sur un mur couvert d’aspérités. En cause : la vacuité de nos mots ânonnés comme le bruissement d’un arbre à qui on aurait coupé la sève. Il n’y a que le manque – de mots, de ce que ces mots ont de joie –  qui puisse te faire courir. Sans le manque, tu désespères du monde – tu demeures une envie à jamais inassouvie.
  6. La fierté que tu mets à geindre. Quand cesseras-tu de croire aux fausses émotions ? Dans le concert de sirènes que tu éructes, je n’entends plus qu’une corne de brume. Je suis l’esquif qui quitte le port. Plus rien ne passe que les ondes basses. Au-dessous de la ceinture de la dignité, ta superbe est à plaindre.
  7. La morgue bâille sous la peau. C’est comme un abcès qui sommeille. Prêt à sortir par les pores. D’ailleurs, l’odeur se propage. Une odeur mortifère. Quand la raison se heurte à nos lâchetés, que le couteau ne se contente plus de la plaie, qu’il en veut en nos entrailles, tu peux croire que la morgue bâille – sans pitié pour notre amour.
  • 30.3.17

7 variations sur le même thème #9

  1. Dans quelle couleur nous ranger ? Avec quelle couleur nous mordre ? A sang partagé, s’éprendre de la colère ou tendre vers une nuance plus sobre, un brouillamini gris perle semblable à la couleur des murs où sèchent nos misères. Tu vois, on se perd à trop vouloir vivre dans le grand éventail des couleurs, à trop chercher nos mines vives. Nous restons, toi contre moi, de trop lasse tristesse pour se donner la couleur d’un Nous.
  2. Le noir nous va. Le noir comme inspiration, le noir comme libération. Le noir absolu où tout est en devenir, tout s’écoute, tout s’invente. Comme au plus épais d’une forêt, comme au plus profond des gouffres, notre regard éclairera le noir, ignorera les couleurs qui rongent.
  3. Entre éclair et tonnerre, le trouble nous enserre. La couleur d’avant l’orage est la riposte à nos préludes agités. C’est une couleur vive et tranchante, un lux venu des enfers. Une note qui élève le désir, une passe d’âmes qui peint le portrait de la mort. On fera l’amour au premier coup de foudre. 
  4. A l’écoute du sensible, nous sommes des couleurs sur le chemin. A la bascule des saisons, nous buvons les idées noires de l’équinoxe. Au chagrin qui nous tient dans son ombre, on oppose le sémillant de nos corps. Pourtant on reste étrangers au manège des brumes, comme un espoir égaré au carrefour des lunes.
  5. On croit trouver la couleur chaude, découvrir en son sein le pouvoir d’y vivre. Et il suffit d’un pas en arrière pour que notre propre ombre fasse basculer les rives chromatiques. Envolée la chaleur du foyer, disparue l’osmose ardente, perdus que nous sommes dans le bleu glacé d’un lac sans berge.
  6. Je regarde le soleil et cette infinité de pigments dans mes yeux me renseigne sur la cécité de la vie ; incapable que je suis de déterminer si cette nuée de couleurs, tu la vois comme je la vois. Le temps de se poser la question et ma vue s’éclaircit. Plus rien. Où va se nicher la beauté lorsqu’elle n’est pas partagée ?
  7. On choisira des couleurs sur un nuancier. Pour la chambre, on préférera le bleu. Un bleu ciel pour les murs avec un liseré blanc comme ligne d’horizon. Une ligne pour suivre notre histoire, tirer nos bleus du chaos de la nuit. Le liseré fera le tour de la pièce, cernera nos démons ordinaires. Mais le récit souffrira. Mais du mur le récit finira par écailler la peinture. Le bleu deviendra fièvre, le liséré blanc garrot à nos gorges.
  • 24.3.17

7 variations sur le même thème #8

  1. A la souffrance du mensonge, tu imposes ton corps comme une réponse. Un écho à traîne longue qui souffle dans la poche de l’enfance. Tu effaces les mots battant la honte à mes paupières. Chacun de tes gestes est un carambolage, le moindre soupir un zéphyr amoureux. Ta main cloue ma nuque, ton épaule glisse sous le drap, ton cou froid monte jusqu’à mes lèvres. Quand la vérité se perd dans le chagrin, tu bascules entre moi – à l’endroit précis où je m’oublie.
  2. Quand je me défends, tu tires ton sourire en coin. De la vérité, tu ignores l’excuse, vilipendes la raison. Faut-il se taire ou gloser sur l’imprécision des mots ? Supporter l’injustice, tailler nos pièces au plus lisse ou soulever la vérité comme un vent fou soulève les arbres. Nous sommes des êtres imparfaits, affectés de manque et de lâcheté, pétris de poussières et de glaise mêlées. La boue et l’impur sont notre domaine de lutte.
  3. Quand tu crois au piège, je ne vois que ta bouche. Ta lèvre s’élève sur une joue, elle se plisse jusqu’à creuser une onde sous tes yeux. Sur ton visage, l’ombre articule la moue du doute. Elle te rend belle. Tout élève en toi le désir jusqu’à sa soudaine disparition. Le trait s’affaisse, la lèvre tombe. Tu ne songes plus qu’au piège et te dissous dans l’air contrarié qui nous sépare. Pour qu’un jour il nous revienne, je retiens ton sourire entre deux pensées confuses. Pour la beauté de l’esquive, je me pique à ta lèvre comme un morceau de viande sur l’allonge d’un boucher.
  4. Je mens. Le jour comme la nuit. Quand je prétends être ce que tu vois. Je mens à l’intérieur même du mensonge, mise en abîme d’où naît l’éclat de l’illusion. Car tu sais que je mens, tu trompes mon mensonge en exigeant ta vérité. Et les mots, les visages se confondent. Nous devenons des personnages sans relief comme un désert traversé de virevoltants. Le vent roule nos corps, rompt l’illusion sans plus de raison que d’horizon. 
  5. C’est un violent courant d’air, la vérité. Un souffle que l’on affronte sans réflexion. Un vent qui emporte loin, vers un endroit dont on ne revient jamais. On n’est pas comme les autres, à se dire la vérité. Parce qu’elle blesse, parce qu’elle écorche nos cuirs, parce qu’elle sort la peur de la blessure. On ment comme on a menti à nos parents. Pour arrondir les angles d’une vie qui nous divise.
  6. Il y a une passerelle entre le vide et le plein. Un milieu où vit l’acquis du passé. Emprunter ce passage donne une nuance à nos langues. Le contraste nécessaire pour lâcher le fardeau des mots. C’est une passerelle avec des rampes en corde, fragile et instable. On passe ici nos excès à l’équilibre ;  la main piquée d’échardes, on accorde la sagesse à nos non-dits. 
  7. Dans le vacarme de nos ventres, sourd la violence du mensonge. Qu’il soit ouvrage du regret ou du remords, qu’il soit ruine de l’enfant ou lot fardé de nos vertiges, sa ciguë enroule la raison dans nos boyaux, enferme nos esprits dans une pièce obscure. Éperdus, on cherchera la lumière dans sa transe, jusqu’à soulager nos corps du grand spasme.
  • 18.3.17

7 variations sur le même thème #7

  1. Il nous faut de la fatigue. Dans le geste qui nous dit, dans le plein qui nous lie. De la fatigue et de la solitude, notes vitales à notre récit. On se plait comme on se désire, dans la métamorphose de nos corps mouillés. Mais dans l’étreinte la fatigue s’oublie, nous devons la rappeler en deux cœurs libres. L’éprouver dans un maelström blanc, dans un vertige d’humilité, au plus étroit de la faille – au plus proche de nos exils.
  2. Nos mots ne savent pas la trace qu’ils laissent. Le malaise qu’ils imposent à nos chairs. Ils sont les atomes superflus. Dans l’air flotte le risque des paroles vaines, celles qui coupent de la lucidité. On doit tirer une ligne tangente à la courbe de nos émotions. C’est elle qui nous relie à la terre en un unique point d’abandon.
  3. Ta charité est mince au regard de la grande plainte. Pour qui te prends-tu à te croire ainsi saisie de ma peine ? Mes sanglots passent sur ton ego comme un baume sur la peau d’un espoir. Ils sont le déversement nécessaire avant le nouveau plein. Ils donnent de l’audace au jour, à l’aube l’éblouissement des tourments résolus. La plainte a la certitude qu’elle pourra, vidée de son poids, voler dans les plumes du monde.
  4. On aime ces instants comme on aime des friandises. Des poignées d’heures sucrées qu’on croit engager pour l’éternité. Il n’y a aucun naufrage à s’y abandonner. Mais au cœur de la lumière, quand le vent vient secouer la fatigue et que la lucidité nous colle des caries entre les dents, il est heureux de se débarrasser de nous. Simplement. Dans le souvenir et le brassage des moments partagés – sans asservir nos âmes à l’orgueil de l’enfant.
  5. Je vois le vert prendre ton visage lorsque ta main touche l’espérance usée. Ce vert qui tire vers le gris. Un vert de gris sur ta peau cuivrée comme de vieilles brûlures d’effroi séchées par le temps. La prophétie a tendrement eu lieu du bout de tes doigts sur ma peau ; nous restons émus par la pulpe charnue de tes peurs sur mes peurs.
  6. Sur ton épaule de la sueur lourde et chaude. Elle en dit long sur les suffocations de la fatigue, celle qui porte nos corps à l’éviction du monde. Nos âmes sont mortes de trop vouloir aimer. Nous subsistent des gouttes de rancœur qui roulent sur ton cou. Je les porte à ma langue pour sentir ta dernière pluie.
  7. Nous ne savions rien de ce qui était et encore moins ce qui allait advenir. Entre ces deux riens nous étions l’objet fallacieux de notre désir. Il n’y eut que l’instant qui comptât ; subreptice moment planqué entre la fatigue et le grand soir. Maintenant nos corps sont si ignorants que nos mains ne s’attrapent plus.
  • 10.3.17

#LesGens

Reprise des derniers posts Facebook #LesGens : traversée entre les gens, leur lieu, leur instant. Un regard forcément biaisé sur eux et ce qu'ils dégagent parce que c'est écrit et que ça passe par la tête avant d'arriver aux doigts. Ce n'est pas la réalité mais ça pourrait lui ressembler.
Au sommaire : tergiversations sous la pluie, jour de bosse en février, la dame aux cuissardes, la salle d'attente chez le médecin et Bordeaux entre deux averses.











  • 6.3.17