Mais enfin !

Mais enfin ! Mais enfin ! Les cheveux de la femme au balcon sont tombés. Il ne reste plus qu’une vague touffe frisée en arc de cercle qui lui enserre le cou. La femme au balcon a perdu les cheveux. La femme au balcon a coupé ses cheveux. Une coupe au carré qui a fini en cercle ! La femme au balcon a perdu la raison. Une vulgaire mèche, vestige des temps passés, vestige des temps de la longueur, lui tombe sur les yeux. Elle la relève et l’attache à l’arc de cercle avant qu’elle ne retombe, lasse et molle. Ça m’agace. Ça doit l’agacer. Son visage ressemble désormais à une vieille lune ombrée par je ne sais quel coup de ciseau ennemi ! 
Mais enfin ! Mais enfin ! Que lui est-il passé par la tête ?
  • 30.6.23

Constellation

Un premier soleil tape à la vitre 
Avec lui une nuée de poussières
Tourne comme une constellation 
Sans savoir ce qui en est le centre 
Ni à l’intérieur si vie s’y déroule 
Cris larmes petites amertumes
Joies infimes éclats et félicités
À bord d’êtres minuscules élisant 
Domicile sur chaque poussière 
Et si au balcon d’une d’entre elles
Une voisine fume lentement
  • 27.6.23

À quoi bon

La fenêtre claque, la rue ne bouge pas
Les oiseaux restent à leur ronde 
Imperturbable danse d’ombres
On ne lui offre même pas un cri 
Le courant d’air n’est pas surpris
La fenêtre claque à nouveau, plus fort
Puis renonce, hausse les épaules 
À quoi bon si personne ne la remarque
  • 25.6.23

Patiente tricoteuse

La vie a bien passé la nuit, fait son travail
Patiente tricoteuse d’oublis aux longues épingles
Laissant le jour à son bon compte de mailles 
Que me voilà pelote de laine dans le grand panier  
À m’inventer des douceurs d’hiver qui ne viendront pas
  • 22.6.23

Un orgueil mal placé

La lumière du matin ne vient pas 
Un orgueil mal placé la retient 
Dans son lit sous un nuage épais 
L’infini restera couché sous les draps
À ressasser de fausses vérités 
Comme on compte ses gouttes
  • 21.6.23

Raccord

J’allume le jour avec la lampe du salon. Quelle prétention ! J’allume au moment où le lampadaire meurt sur la pointe du jour aiguisé comme un couteau. 
La lampe prend le relai pour dégager le reste de nuit qui émousse la lame. La rue se teinte. Orange. Elle a l’allure d’un vieille chemise délavée. Les couleurs fanées renaissent, lentement. Ce sera un jour de seconde main, mais un joli jour. 
Sur le balcon de la femme au balcon, pas de femme. Une petite couverture pend et bouge avec les couleurs. Motifs orangés, un peu passés. Raccord avec la rue, ma lampe et mes prétentions.
  • 18.6.23

Action !

Le jour est encore ce long visage 
Qui se découvre avec paresse
Un léger bâillement vite éteint 
Pour étouffer la fatigue du recommencement. 

Un oiseau siffle pour donner le départ 
D’autres suivent pour une nouvelle course
Les murs s’éclairent aussi violemment
Que des projecteurs : silence, action !
  • 17.6.23

La taille du vide

Ce matin est un trou d’air dans un nuage 
Un petit vide de rien du tout
Ça ne hausse le cœur de personne  
Mais quand même 
Mais quand même, dit le matin 
Qui es-tu pour juger de la taille du vide ?
  • 15.6.23

Écoper

Le paysage a du mal à se fixer
J’écope la nuit du trop d’eau
Au bord des lignes tout tremble
De la nuit comme du paysage
Il faut vider transvaser recommencer
  • 14.6.23

Belle flemme

Je laisse le monde tailler sa route
Pas plus intéressé que ce chien
Couché sur le trottoir, truffe à la rue 
À la merci d’un talon haut ou d’une roue 
D’auto, satisfait et plein d’une belle flemme
Un roupillon le nez au vent laissera bien
Le monde comme il faut, au bord du chemin
  • 13.6.23

La robe rouge de juin

Elle a mis sa robe rouge de juin. On dirait vraiment que la robe est pour juin. Pas pour un autre mois, mais pour l’autre. Celui qu’elle attend. Qui ne doit venir qu’en juin. Longue, la jupe. Longue, l’attente de l’autre sur le balcon.
Elle porte sa main à la bouche, ronge ses ongles. Elle porte les doigts nus. Je veux dire qu’elle ne les a pas peints. Elle s’est dit que le rouge de la robe suffisait.
La lumière est là sur le balcon. La lumière attend, aussi.
Elle fume beaucoup pendant l’attente. Une, deux ou trois cigarettes, je ne sais plus. J’en ai perdu le compte. Je me concentre sur le rouge de la robe, sur le rouge de l’attente et les copeaux d’ongles qui tombent.
  • 11.6.23

Un bruit sec et court de porte qui claque

Un bruit sec et court de porte qui claque
Suivi d’un morceau de silence lourd 
Comme tous les morceaux de silence
Après un bruit court et si sec 
Qu’il vous sort du sommeil avec la soif 
La langue aussi lourde que du silence 
Réveil en sursaut puis retour au plein de la nuit 
Rien de grave en somme sinon 
Que la chose revient avec morgue
Tous les jours de toutes les nuits 
Suivie de son ami le silence lourd 
Tous les jours de toutes les nuits 
Un bruit sec et court de porte qui claque
  • 9.6.23

Par les gros tuyaux de l’enfance

Cette nuit par les gros tuyaux de l’enfance 
Me revient la table en Formica rouge 
Qui bat de ses rallonges déployées 
Les tiroirs jouent du trombone à coulisses
Les pieds s’ébrouent comme agacés de mouches 
L’un puis l’autre danse un ballet de claquettes 
Rien à faire de la famille autour empêtrée  
À jongler entre assiettes couverts et verres 
Une nébuleuse d’objets dans un vortex
Que seul mon père en son centre semble maîtriser
  • 6.6.23

Fête des mamans

J’aurai dû préparer une poésie pour maman, cette semaine. Sur du papier Clairefontaine, au stylo à plumes, près de moi un buvard pour boire les taches du temps. Compter les pieds la langue tirée, manger les vers, les recracher, chercher les sentiments dans les sonorités du printemps.
Ou bien lui faire un collier de pâtes, oublier les nouilles, préférer les penne, nouer chaque pensée comme un joli noeud. 
Ou encore un herbier dans un vieux livre aux pages couleur de rouille, des feuilles des fleurs de toutes les teintes, des herbes arrachées, bonnes ou mauvaises, du coquelicot au chiendent, peu importe. 
J’aurai dû préparer une poésie avec tout ça, en remuant longtemps les années, à feu doux. J’aurai dû, parce qu’à quatre-vingt-dix ans, il ne va pas s’en présenter beaucoup d’autres, des fêtes à maman.
Mais voilà, je ne sais pas écrire des poésies d’amour.
  • 4.6.23

Petit-déjeuner

L’air est doux aux oiseaux qui bectent le ciel
Le café passe dans un ronronnement de chat
Le pain de mie conserve une humeur stable 
Le beurre tendre continue d’être tendre
Il doit exister une mélodie au piano qui dit 
La douceur à l’heure du petit-déjeuner
Avant que l’on se mette à tanner les pensées
  • 3.6.23