C’est de mon pays que je parle, tout le temps, depuis le début, c’est de lui que je m’avoue, dans mes mots, dans mon attitude, dans mes certitudes et mes mensonges.
De cette terre, je garde des parfums rares mais pas ceux des dépliants pour touristes amateurs de slogans dépaysant, pas de ceux qui émanent des baratins de tour-operator s’adressant aux marabouts endimanchés accros à la magie africaine bardée de clichés cartes postales.
Non. Moi je garde en mémoire, enkysté en moi, mon putain de pays et mes années rues : les odeurs de suie brune qui damne l’horizon, la touffeur aigre qui s’empare de ta gorge pour mieux la nouer, le mélange du soleil en chape de con et de l’échappement carbone des vieux tacots que la salope d’Europe nous refile par bateaux entiers.
C’est de mon pays que je parle, de la haine que seul le démuni peut connaître face à l’opulence des peuples gras.
Du désespoir que tu craches quand tu vis la rue pieds nus, le bitume années cinquante usé de crevasses brûlantes et la corne que tu dois secréter pour résister à la douleur. De cette vie que les nantis se repaissent pour passer leurs petits maux, des odeurs et des crevures de vie dont ils bavassent et qu’ils ne sentiront jamais, n’auront jamais à pâtir.
C’est de mon pays que je parle pour qu’on sache les murs de chaux et les regards sales.
De cette atmosphère qui te colle les os entre eux et qui jamais repue ne cesse d’écraser ton corps. C’est le goût de la misère qui seule t’aveugle de son jaune pisseux et criard, te laissant croire que demain tu mangeras parce qu’il fait beau. Je garde cette chaleur incandescente comme une bombe à retardement coquée dans mes entrailles. C’est une mèche de bile à qui il ne manque plus que l’allumette – un seul crachat et tout explose.
Texte initialement publié sur lignesdevie.com de Gilles Bertin lors des vases communicants d'octobre. Prochains vases, vendredi prochain, avec Déborah Heissler.
- 31.10.12