Un rond-point. A sa sortie, une enclave de terre, une terre pleine de sable brun, assez de place pour stationner en cas d’urgence, une place pour s’arrêter boire, téléphoner, pisser. Depuis peu, il y a là, je dis depuis peu parce que jamais remarquées auparavant, il y a deux femmes assises sur des chaises pliantes en toile. Deux femmes depuis peu qui affichent rondeurs de jambes, croisements et décroisements quand je passe, quand n’importe quel véhicule passe tant soit peu qu’il y ait une seule personne à bord et que cette personne soit un homme. Deux femmes en rouge, un short, rouge, un top, rouge, et des sandalettes, rouges, avec des lanières en corde qui remontent haut sur leurs mollets. Elles fument, chaque fois que je passe, elles fument de longues cigarettes blondes, des 100’s menthol je présume, avec une gestuelle exagérée, des vapeurs recrachées d’une bouche en moue et le regard peint qui suit mon mouvement, un regard peint, noir et rouge.
Je passe et elles zyeutent le chaland, seules, assises sur le bord de la route. Aucun véhicule autour, elles sont perdues en pleine campagne sur cette route, assises sur le bord à la sortie d’un rond-point, rouges d’excès, possédées de chair pantelante, enfichées dans leur short trop petit moulant leur corps et leur ventre suant rebondi aux élastiques. Elles voient défiler les autos, mon auto, seul, homme, et dans le rétro, je les vise frapper leurs cuisses de dépit, torturées qu’elles sont de mots vils sur moi : encore un client potentiel qui ne s’arrête pas, qui passe trop vite avec l’œil attaché qui les scrute comme des pesteuses. Je passe et elles continuent de croiser, de décroiser, de tirer des cigarettes en bouffées. Elles restent là combien de temps, elles sont là depuis quand, jusqu’à quand, qui viendra les chercher une fois la journée terminée, qui va s’arrêter là à la sortie de ce rond-point, qui aura envie de pisser, besoin de téléphoner, de boire ?