Une ombre sur le mur

Une fenêtre se ferme
dans le bâillement du soir.

J’entends glisser
une ombre sur le mur,

monter dans l’air
l’angoisse des nouveaux nés.

Puis plus rien,

sinon cette voix en moi
qui veut empêcher la nuit de tomber.

  • 27.10.18

Avouer aux oiseaux

L’œil agacé par le soleil
tourne autour d’une idée folle.

La pensée parle trop haut,
divague puis perd l’écume.

Bien que les apparences
et mon corps soient contre moi,

il faut bien avouer aux oiseaux
qu’ici je travaille à m’oublier.
  • 21.10.18

On le dit

La rue garde des mystères enfouis dans son creux. On le dit.
Mais que dire de cet homme grattant le sol de la pointe de son pied ? On le dit. Enfin non, on ne le dit pas, on se demande ce qu’il fait penché sur le bitume. On dit qu’on se demande ce qu’il cherche. Une tache à effacer, un mégot à écraser, un toc à assouvir ? On le dit. Mais on ne sait pas. Aussi bien cherche-t-il un de ses mystères qui se cache précisément là où sa chaussure pointe, bien que l’endroit lui soit connu, bien que ce lieu, cet endroit précis du trottoir soit terrain intime pour lui comme pour toutes les autres personnes qui l’arpentent en long et en large, tous les jours ?
On le dit. Mais faut-il se mettre nous aussi à gratter le sol pour comprendre ? Pour savoir ce qui se masque à notre entendement, ce qui échappe à nos déplacements, à l’appropriation même que nous faisons de cette rue soi-disant nôtre ? 
On le dit. À moins que ce soit une erreur. À moins que cet homme ne soit qu’une erreur dans la rue, qu’un schisme dans le décor, qu’un halluciné qui cherche des mystères là où il n’y en a pas. Seule la rue sait ce qu’elle renferme d’histoires non résolues, d’énigmes indéchiffrables, de soleils dans l’amertume, de turpitudes dans le lisse, d’affolantes douleurs dans les plus belles couleurs comme dans les petites taches ineffaçables. Mais, elle, ne le dit pas.
  • 20.10.18

Tremblements

Le chemin est long
pour qui doute de son enfance.

On marche longtemps
dans les silences d’une mère,

la misère du cœur attachée
à chacun de ses tremblements.

Et dans l’escalier des manques
toujours l’oeil du père se lève.

Avec lui, la douleur d’après
qu’on pensait oubliée.

Le chemin est long
pour apaiser la mémoire.
  • 14.10.18

Girouettes

Je vois partout
le monde s’époumoner,

tourner sur lui-même
sans prendre garde aux vautours,

ces girouettes aux grandes ailes
qui s’arrogent l’impunité des dieux.

Arrêtons de lécher leurs ombres
avant que le cauchemar n’éclate.
  • 12.10.18

Évacuation

Je laisse passer les orages,
sur leur chemin la colère.

Pourtant dans les rigoles,
toujours une eau qui appelle.

À accélérer les passages
où les plaintes obsèdent.

À confier au ruissèlement
l’évacuation des peines.
  • 9.10.18

Intimité

Je regarde le soir
retirer ses guenilles.

Comme il se défroque
laissant la peau du ciel nue.

Sans honte le voilà
par-dessus un nuage,

comme un diable agrippé
aux cheveux de la nuit.

Le reste appartient aux ombres
qu’il vaut mieux laisser seules.
  • 6.10.18

Extrait de L'instant à côté - Éditions du Cygne

Derrière la naïveté des nuages,
une pâle douleur se contient
entre deux brassées de ciel
aux couleurs surmenées.

Elle cache un visage inconnu
à la peau flétrie par les âges
qui ressemble à cette pomme
sur la table restée à l’air libre.

Avec un rien d’acide en plus
quand on y plante les dents,
un relent de sucs mal digérés
par l’estomac du monde.

*

Extrait de L'instant à côté paru le mois dernier aux Editions du Cygne
http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-instant-a-cote.html
  • 4.10.18