Avant le redoux

Je cherche toujours

la fenêtre qui apaise,
le coin bleu où ranger ma peine,

la forêt qui protège,
sa clairière et son feu de bois,

ce supplément de chaleur
que seul ton corps peut donner,

simplement pour garder
l’équilibre entre deux fatigues

avant le redoux
et la grande coulée de neige.
  • 29.9.18

Petite lune oubliée

La nuit a mâché quelques rêves
et le matin a la bouche pleine.

L’envie de mordre se perd
dans l’œilleton du ciel,

cette petite lune oubliée
dans le fatras de la mémoire.

Il faudra tout le jour garder
la langue dans la brume.
  • 27.9.18

Amnésie

La rue perd la mémoire. On la voit se gratter la tête. Sur les toits des nouveaux immeubles, les terrasses fleuries sont hirsutes. Les tuiles des plus anciennes maisons regardent ailleurs à travers le vert de gris. La rue perd la boule. Elle roule dans les caniveaux à la recherche de son passé. 
Un homme passe. Un vieil homme qui ne reconnaît plus rien de la rue aseptisée. De vieux chars tournent dans ses souvenirs. Des chenilles tracent encore la route dans ses pensées ; surtout le soir lorsqu’en un éclair, il croit encore entendre les sirènes du couvre-feu dans le battement de quelques artilleries. Mais la rue ne se souvient de rien. Le bruit des bottes pourtant résonne encore dans la tête du vieux monsieur. Le souvenir gratte les toits. Gravé sur les murs des venelles ou planqué dans les caves sourdes au fracas des canons, le passé doit se taire. Il ne faut pas que la rue se souvienne. 
  • 20.9.18

Contrecœur


Je tiens le jour entre mes mains,
un regret un peu flou dans le creux.

Un air de violon échappé d’une fenêtre
lui joue une mélancolie douce.

Je serre les poings pour le retenir,
ressentir un instant ce qui fuit.

Entre les doigts et sous l’archet,
à contrecœur bât le tambour.

  • 15.9.18

Premier goût

Je vois passer les heures
dans la soupe du soir.

La cuillère plonge lasse
dans les grumeaux du ciel.

Mon absence se dispute
quelques mots sur la table.

Un oiseau glisse lentement
dans l’assiette du monde.

Dans son sillon un peu de sel
pour retrouver le premier goût.
  • 14.9.18

Parution de « L'instant à côté » aux Éditions du Cygne

Parution de « L'instant à côté » aux Éditions du Cygne. Le recueil est désormais disponible en ligne auprès de l’éditeur > http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-instant-a-cote.html

Extrait de la préface rédigée par Dominique Boudou :

Des rumeurs passent, venues de la ville. Voitures et motos dans les mirages. Cigales ou grillons au cœur des fatigues. Lampadaires comme des promontoires pour les mouettes égarées. Les trottoirs mêmes sont en sueur quand la rosée perle mal.
Puis la mélancolie rabat les vagues en lisière du chagrin. Les oiseaux sont pris en tenaille entre le ciel haut et le ciel bas. Il faudrait vivre pourtant. [La fenêtre même a envie de lumière]. Il faudrait saisir la langue étrangère de l’instant tout en répudiant [les joues du crépuscule] et [les peurs enfantines à l’heure du coupe-gorge].
Mais comment s’y prendre avec les plis et les déplis du visible, ses envers et ses revers ? Comment venir à bout du rouleau des questions ? Se croire poète suffira-t-il ?



  • 10.9.18

Rions


Dehors tourne à vide
sur un homme dans la rue.

Il rit tout seul assis
sur un banc de fer blanc.

Il rit bouche ouverte
pour que sorte la douleur.

Il rit sur une plaie aussi rouge
que le banc est blanc.

Jusqu’au moment où son oeil
retourne vers toi le malaise.

Jusqu’à cet instant où tu sais
qu’à ton tour il faudrait rire.
  • 8.9.18

Çà et là

Un regard se pose çà et là,
le long des accidents de l’âme.

Il accroche un espoir
au bout d’une ligne brisée,

construit un pont pour relier
quelques errances passées.

Rien de tout cela n’a de sens
sinon celui du chemin

où chaque blessure s’ajoute au vivant.
  • 7.9.18

Vieux chewing-gum

Une femme et son fils dans la rue. Ils marchent lentement. La mère traîne l’enfant à bout de bras. Elle voudrait accélérer le pas. Lui, il s’en fiche malgré l’angoisse blottie au fond du regard. Tous les deux ou trois mètres, il tape le sol avec la pointe de ses souliers. Il veut freiner l’allure imposée. Il se penche, ramasse un caillou, le porte à la bouche. La mère agacée tire sur son bras comme sur une corde. Ce qui a pour effet de faire basculer son petit corps mal assuré vers l’avant. Immanquablement, il tombe, crie, et cette fois, saisit un vieux chewing-gum dur comme une pierre et se met à le lécher. Une dizaine de minutes d’un tel manège et excédée, la femme lâche la main de son fils et le gifle.
Les visages échangent un long silence avant l’éclatement des pleurs.
La rue semble mal digérer l’agression. Le ciel se noie dans de longs draps d’ombres, le trottoir vacille, les voitures passent sans un bruit. L’enfant gémit. La mère reste figée à proximité d’un arbre, se laisse tomber finalement contre le tronc, baisse la tête. Le garçon se roule parterre, tape des pieds, hurle tandis que la rue souffre d’un léger tremblement. Les lumières aux fenêtres frémissent puis s’éteignent, le vent se tait, le ciel est désormais planqué derrière la honte. Rien ne sera plus pareil. Le souvenir de l’enfant gravé contre un tronc d’arbre. Chaque fois qu’il sera convoqué, il aura le goût poussiéreux d’un vieux chewing-gum. 

  • 1.9.18