L’importune

image Je me lève et me bouscule. Je ne me réveille pas, comme d’habitude. Un éclair dehors perce les volets entrouverts, une épaisse fumée entoure le rayon, résidus en suspension de mon cendrier mal éteint. La cuisine en bazar, les chats qui miaulent leur repas et quelques miettes sur la table. Un rouleau d’essuie-tout déchiqueté et déroulé sur le sol. Je peste.

Filtre, eau, trois doses et le café bruisse noir. Elle est encore là, tapie dans une encoignure, elle dépasse de la pile de publicités qui recouvre ce que je veux oublier. Une lettre frappée du sceau de la république. Une Marianne d’encre qui me nargue. Un demi-sucre, je touille et fume. D’un doigt, je la fais glisser sur la table. L’enveloppe est déjà jaunie sur les bords, toujours pas ouverte. Bête patibulaire que cette missive prioritaire. Une relance qui en veut à mon portefeuille, qui chatouille mon inertie. Une mise en demeure qui demeure vaine.

Je le sais, à l’intérieur se cache une sentence : tu paies ou on te saisit ! Et j’en suis saisi, pétrifié, confondu. Je procrastine, attends bravement la prochaine, celle qui aura de plus gros caractères, celle qui arborera la balance de la justice d’un obscur huissier de province. Je finis mon café trop fort, écrase la clope acerbe du matin. Les chats mangent goulûment leurs croquettes et je replace l'importune entre deux catalogues de supermarchés.

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  • 27.9.10

Still loving you

image Au fond de la salle, prés de la sono, les haut-parleurs dans les oreilles, je roule des pieds, les tapote légèrement sur le tempo. Un gobelet de « Banga » exotique dans une main, une assiette plastique avec une tranche séchée de « Savane » dans l’autre, je la regarde danser sur le dernier titre des « Bananarama ». Face et autour d’elle, se trémousse une armée de prétendants pédants, ils guident leur pas sur les siens, parfois la prennent par la taille pour la faire tourner. Ils rient et la font rire à gorge déployée. Couvert par la musique, je trouve son rictus muet idiot et cette cour de garçons zélés stupide.

Je baisse le regard et tombe sur mes pieds affublés d’une paire de « Stan Smith » neuve, trop neuve. Le stroboscope et le néon violet font ressortir leur blancheur éclatante si bien que j’ai l’impression d’être chaussé d’ampoules cent watts. J’ai terminé mon verre de jus de fruits mais ne sais pas où le poser. Je finis par le jeter derrière le gros haut-parleur et l’écrase avec un grand coup d’ampoule juste au moment où la musique s’arrête, à la faveur d’un enchaînement raté du disc-jockey. Un grand bruit de plastique crevé s’élève et tous les regards se braquent sur moi. Je sens mon visage s’empourprer, j’ai l’impression qu’ils regardent tous mes pieds. Je veux fuir mais je suis sauvé par l’arrivée des slows.

« Scorpions, Still Loving you » Les couples se forment rapidement, la lumière se tamise. Elle s’assoit côté droit, le côté des filles. Sur le bord de sa chaise pliante, elle bascule, elle attend l’invitation. C’est à moi de jouer. Je frotte mes pieds sur le contre-fort de la petite scène pour salir mes baskets et me jette dans l’arène. Je m’approche, essuie mes mains moites sur le cul de mon jeans « new man » et lui tends mon bras courbé sur ma hanche, comme Dany Wilde dans « amicalement vôtre ». Elle passe sa fine menotte dans l’arche et je l’emmène crâneur au centre de la piste.

J’enserre sa taille tandis qu’elle m’enroule le cou. Je n’ai jamais été aussi prés d’elle, j’en ai les « Stan Smith » qui s’embrouillent et lui marche plusieurs fois sur les « Kickers ». Elle sourit timidement, ça me réconforte. « I'm still loving you I'm still loving you, I need your love I'm still loving you » Le refrain m’excite les neurones et j’accélère le pas. Elle me retient, me fait ralentir et tire sur mes épaules pour nous rapprocher. Elle entrouvre sa bouche et laisse glisser un bout de langue sur ses lèvres. Je presse un peu plus sa taille, descend mes mains lentement sur ses fesses puis j’attends deux tours sur place pour guetter la réaction.

« Time, it needs time To win back your love again. I will be there, I will be there. » Son petit cul est maintenant dans mes paumes et son sourire donne du brillant à ses yeux. Enlacés, nous ne tournoyons plus que sur un pied. Nos têtes pivotent, mais dans le même sens. Nos nez se choquent, je souris, enfin. Je lui fais signe que je vais à droite, elle va à gauche. Sa bouche s’ouvre, se pose sur la mienne et sa langue tape mes dents. Je desserre mes incisives de mon angoisse et laisse pénétrer l’intruse. Je plonge à mon tour, m’éraille les lèvres sur les bagues en fer de son appareil dentaire, évite les petits manchons plastiques et nous commençons à tourner dans nos bouches comme on bat le beurre.

Le slow se termine et nous tournons encore nos langues fiévreusement. Je ne veux pas arrêter. Je redoute nos regards après cette première pelle. Il ne faut pas arrêter. J’ai les commissures des lèvres en feu, de la bave coule sur ma joue. Elle finit par se retirer. Dans un bruit de siphon, nos bouches se décollent et nous restons un instant reliés par un fil de salive. Nos yeux se gênent, se détournent puis se cherchent à nouveau. Elle me prend la main et me traîne vers les toilettes sur les premières mesures de « Careless whisper ».

  • 24.9.10

Mes moires

Mes moires Se souvenir comme une absolue nécessité. Obligation que je m’impose, non par nostalgie du temps reclus mais pour que cesse l’amnésie des faits, pour que s’explique leur juxtaposition, leur existence même, leur justification dans l’éclosion d’anecdotes écrites qui légitiment ou parasitent. C’est de là que naît le désir de provoquer, de savoir, de comprendre mon rapport au passé, inachevé et trouble. Alors je puise dans un gouffre sans fonds, en sors des éclairs, des histoires d’apparence ingénue mais dont le souvenir, par l’acte d’écrire, alimente par segment ce que j’ai été, du moins ce que je crois avoir été et dans quelle émotion je me trouvais dans l’instant. Et je me souviens : d’une parole de mon père, d’un geste de ma mère, d’un silence d’enfant, d’un endroit oublié et focalise, reste dans le futile, le temps de l’écriture, et une fois exhortée, écrite puis publiée, l’anodine histoire sortie de mon nulle part me donne sens. Une portée de vérité apparaît alors : écrire du vrai, de la remembrance extraite d’une perforation qui a trouvé sa source.

Ainsi d’anecdotes en inanités, se tisse la vie d’avant, celle qui explique maintenant, le provoque par le parcours, et se trouve le point de bascule entre hier et aujourd’hui. De cet équilibre précaire, s’ébroue un jeu de miroir avec moi-même, flouté par l’envie de tenir l’histoire, de regarder les évènements d’un œil différent, trompé ou lucide, bon ou mauvais, sombre ou enjoué. Un miroir aux reflets changeants au fil des expériences, qui s’enrichit d’envies de fiction, qui s’oriente d’un regard neuf en mouvement sur un présent qui devient vite passé, amolli par une quête impossible ou rasséréné par un espoir jouissif de découvrir. Fut-il ou versa t’il dans la facilité ? Tenir ce point, osciller entre deux, versatile dans l’attitude, maquillé d’un vernis futile mais constant dans l’envie de fouiller cette matière inépuisable de l’être dans sa mémoire.

Texte publié initialement sur le blog de Michel Brosseau, à chat perché, dans le cadre des vases communicants du mois de septembre.

  • 22.9.10

Les vieux sur le perron

imageIIls se retrouvent sur le perron de l’église. Ils ne sont pas de preux croyants à s’installer ainsi pour prier un quelconque dieu. Non, ils se réunissent là entre deux marches pour discuter de la météo, des derniers ragots du village, du décès d’un ami ou de l’arrivée d’un étranger. Mais, avant tout, ils viennent tous les jours, à l’heure des vêpres, tenir politique et tuer le temps de la retraite.
C’est un point de ralliement où nul n’a besoin d’être annoncé. Tout le monde est le bienvenu pourvu qu’il soit natif du bourg, réac et doté d’une langue bien pendue (fourchue est un atout supplémentaire). Il y a le bossu, le négus, l’ancien boucher et le vieux notaire, ils forment le noyau dur, les cadres du « club ». Un club aussi ouvert qu’il est étroit d’esprit. On les rejoint pour prendre le pouls du village, avoir des nouvelles de la santé de la doyenne, connaître les derniers commérages et on repart avec un cours de citoyenneté appliquée, le sourire aux lèvres.
Le bossu, dans sa posture courbée, est le spécialiste politique. Il n’est jamais aussi bon qu’à la sortie du bistrot. Imbibé de pastis mauresques, il devient un fin commentateur des dernières saillies du gouvernement. En ceci, sa devise pourrait simplement se résumer à : « de toute façon, tous des pourris et compagnie ». Le négus, de son surnom étrange emprunté à un souverain exotique, connaît tout le monde et, au fil du temps, s’est imposé comme le roi du ragot. Ses tirades racoleuses dans un style « Voici » local ne manquent jamais d’annonces truculentes, tromperies conjugales ou dénonciations perfides sur tel ou tel notable. L’ancien boucher et le notaire referment le carré magique. Installés en position de contradicteurs factices, ils ont pour mission d'haranguer la foule des curieux et d’installer le faux débat en haussant la voix ou en criant au scandale éhonté.
Et pendant des heures, se déversent lieux communs et fadaises dans une ambiance bon enfant. Chacun s’invective avec tendresse, connaissant parfaitement la position de l’autre et ne voulant surtout pas qu’il en change. Le vieux notaire parle avec emphase comme un texte de loi, le boucher tranche dans le vif tandis que les deux orateurs despotiques déroulent et renchérissent leurs monologues étriqués. Mais, dans cette assemblée de « sages », se perpétue l’oralité, lien entre les générations qui s’installe dans le verbe, beaucoup plus que dans le fonds. Peu importe le sujet et l'ineptie des propos, c’est de transmission dont il s’agit. Un jeu où le plaisir de celui qui écoute réside à effacer la confrontation des positions stupides pour laisser entrer la chaleur d’une logorrhée fraternelle.

  • 20.9.10

Je tombe

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Un corps sur un lit, mon lit, mon corps certainement. Et un trou, un grand trou, noir. Autour, un conduit conique à spirales tourne entre mes deux yeux et me tire vers le bas. Une rotation qui s’accélère, des voyants qui crépitent sur les enroulements, vert, rouge, vert, rouge. Et mon esprit fermé qui subit. Je dors ou pas.

Dans l’escalier, des pas. Non, des boules en plastique dur qui tombent sur chaque marche, en cadence. Oui, c’est ça, des billes vertes et rouges qui tombent dans le trou. Le précipice, c’est la dernière marche, le trou le palier de ma chambre, l’escalier la spirale maligne. La vis sans fin pivote, elle veut m’arracher du lit et me balancer dans ce gouffre, je ne peux pas dormir sinon je tombe. Ma tête vire, mes tempes crient une eau noire, j’essaie, j’ouvre les yeux pour que la chute cesse. Ne peux pas. Mes paupières restent fermées. Vert, rouge, vert, rouge. Mes deux pouces étirent mes sourcils et mains plaquées sur le visage, je tire mon front sous le crâne pour sortir mes yeux de leur abîme.

Rien, le vide, je tombe, je tombe. Et le réveil sonne.

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  • 17.9.10

Je t’attends

image Je t’attends, tu le sais, le redoute. Tu arrives, moment immuable du soir : ton retour à la maison. La porte que tu ouvres toujours du même mouvement de clés. Elles tintent dans ta poche, brassées par ta main chercheuse puis, tapent le fer des atours de la serrure, hésitent et trouvent enfin le creux. Tu titubes et entres d’un pas lourd mal assuré dont l’écho dans le vestibule remonte vers moi par l’escalier. Chaque pas te rapproche. Je t’attends. En haut, dans la cuisine. Mains repliées sur mes devoirs que ton arrivée fait terminer, j’écoute avec attention ta progression. Je sais à chaque seconde l’endroit où tu te trouves et le chemin qu’il te reste à parcourir pour arriver jusqu’à moi. Tu hésites, ne peux franchir les marches qui nous séparent. C’est un passage obligatoire, tu le sais. Alors, comme tous les jours, tu restes un instant interdit puis entres dans la cave et laisses la porte ouverte. J’entends le cliquetis du bouchon mécanique, me semble voir tes yeux pétiller lorsque le goulot approche tes lèvres. Je t’attends. Tu reposes la bouteille qui claque sur le vieux buffet remisé, refermes sur toi la porte de ta salle d’ivresse, ton lieu de décompression. Tu te plantes devant l’escalier et expulses une toux factice pour te donner courage et contenance. Et enfin tu grimpes une à une les marches, pénible ascension aux sons sourds de tes épaules qui frappent les murs. Maintenant, tu es là, je te vois, figé sur le seuil de la porte de la cuisine. Tes yeux qui roulent le vague, ton corps mou éprouvé, et tu piétines, avances et poses un baiser d’absinthe sur ma joue.

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  • 15.9.10

Les vieux journaux

image Se souvenir en un éclair de lui : un copain d’enfance, certainement le seul, le vrai dont je garde quelques bribes de mémoires du quotidien intactes et parsemées de refuges incongrus, d’occupations étranges mais aussi de bêtises et forfaits de notre âge.

Et de revenir sur nos mercredis après-midi, ceux de l’enfance qui ont succédé au jeudi de nos parents, un jour dans la semaine où ils ne savaient que faire de nous, pressés dans leur travail, sans possibilité de garde. Alors il y avait les grands-mères, la sienne, la mienne suivant les semaines, paires, impaires. Des petits bouts de femmes qui prenaient pour un jour le relais, la garde des mômes désœuvrés. La mienne, ma Mamé, nous accueillait chez elle, dans sa petite maison ancienne, aux murs salis d’une chaux surannée. Elle nous installait autour de la table, nous servait un chocolat chaud Poulain en hiver, une grenadine Teisseire fraîche avec une paille quand arrivaient les premières chaleurs. Puis, elle continuait ses tâches quotidiennes : nettoyer les clapiers des lapins, en égorger un ou deux pour le repas du dimanche – laver son linge à la main dans un grand lavoir en pierre au creux d’un ciel-ouvert, étrange courette plantée au centre de la maison – puis nous regarder, longtemps, d’un regard aimant mais mutique.

Nos collations avalées, nous piquions les vieux journaux du Papé - la Marseillaise puis le Midi-libre - entassés dans un carton près de la cheminée. Bien que destinés à allumer le feu, ils étaient tous rangés soigneusement, pliés comme lors de leur réception dans la boite aux lettres, Papé remettait même la collerette publicitaire pour les maintenir bien serrés. Nous en prenions discrètement une dizaine, grimpions dans les étages par l’étroit escalier en colimaçon et du palier du grenier, nous lancions chaque feuille de chou sur la large rampe serpentine. Les bolides glissaient sur les rebords, tournoyaient dans l’hélix pentu puis inexorablement dégringolaient dans l’escalier. A la fin de notre jeu, nous comptions le nombre de marches que nos journaux respectifs avaient réussi à dévaler.

Cet amusement emportait Mamé dans une colère absurde. Absurde parce qu’elle était feinte, le sourire doux qui s’accrochait sur son visage entre deux remontrances convenues en était le plus fidèle témoignage. Nous n’étions pas dupes. Rien ne pouvait effacer sa bienveillance. Mais, derrière cette autorité de façade, se cachait la peur du Papé et son courroux qu’elle devrait affronter s’il descendait à l’improviste de sa sieste, les pieds empêtrés dans les journaux. Alors, elle nous réprimandait, gentiment, dans l’espoir que dans la haute chambre, son mari l’entendît expier ces petits vauriens qui mettaient la pagaille dans sa maisonnée.

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  • 10.9.10

Le souffle de la chambre

imageDans la chambre baignée par une clarté molle, nous attendons rassemblés en chapelet. Nos respirations calées sur le souffle saccadé qui domine au centre de la pièce, dans un lit qu’aujourd’hui il ne quitte plus. De cette couche descend une ombre vêtue de râles glaives qui tranchent le silence et viennent à chaque délivrance oxyder nos propres respirations. Nous attendons. Personne ne parle, déjà, nous veillons.

Avec attention, maman et mes sœurs se succèdent pour porter dans un verre quelques gorgées d’eau à sa bouche. La déglutir est une épreuve qui échoue souvent pour n’aboutir qu’à une humectation de lèvres, un soulagement infime entre deux respirations éraillées. Et le silence percé de râles reprend après qu’il nous ait lancé un regard sec et torve, mélange d'angoisse, de repentance et de désolation. Les heures d’attente s’égrènent sur cette cadence funeste, vide d’espoir. Chacun de nous, le visage tombé sur ses pieds, abîme sa tristesse sur le carrelage noir et blanc de la pièce.

Une journée entière et sa nuit. Je reste avec ma sœur aînée pour veiller sur le souffle. Dans la cuisine, autour du café qui nous tient éveillés, déjà l’imparfait s’immisce dans nos conjugaisons. Courbés sur la table, nous nous rappelons. Le souvenir s’attarde sous nos langues sucrées de paroles pour ne pas sombrer et sa vie se touille au passé dans le fond de nos tasses. A chaque heure de cette nuit tendue, en alternant, nous ferons une visite dans la chambre pour écouter le souffle léthargique.

Au petit jour, c’est mon tour, la chambre, l’ombre, le verre d’eau et le souffle qui ne brise plus le silence. Papa s’est endormi.

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  • 8.9.10

Sept d’un coup

image Là, tu t’affaisses, tu te laisses penser, libre d’évoquer, de préciser ce qui, jadis, t’animait. Toi, l’étranger, revenu d’un crime que tu n’as pas vu naître, simplement aveuglé par un soleil trop fort. Loin du tumulte, échappé de la tempête, désormais tu te reposes à l’ombre du vent. Tu tournes dans ton vase clos, refais la scène, en extrais quelques signes cliniques, force des détails, d’objets inanimés qui, à défaut de résoudre ton énigme, précisent ton état du moment. Et, cynique, tu polis les évènements, sans les dénier, tu te laves de l’intérieur : tu nettoies, brises l’abject pour atteindre l’hygiène de l’assassin. Et ta culpabilité se réduit comme peau de chagrin, il n’y a plus que le vide autour, l’acte est admis, tu peux reposer en paix. D’ici, là, tu ne ressortiras plus, seuls les rats dans les murs sauront te rappeler qui tu as été.
Sept liens dans ce petit texte pour sept livres lus et aimés ces dernières semaines, suivant l’idée de Christophe Grossi sur le blog d’epagine.
  • 6.9.10

Notes d’entre d’eux #VasesCommunicants

image mémoire – tu y creuses – en temps d’incertitude – temps de faillefaillite et abandon au creux jamais bien loin – tu y fouillesfouailles – on apprend à vivre avec la douleur – sans doute aussi par – mais ça aurait pu être tellement plus simple – un exercice d’auto-configuration – retrouver ce qui t’a constitué – ce que tu portes du monde – relever les empreintes en toi d’un monde mort – rien d’autre qu’un entre-deux, un temps charnière – ce qui se détissait – et t’a tissé – immanquablement vous fait texte – texte fragmenté – conviendra bien à l’écriture sur site – fragments à relier – éclatement qui crée parcours de lectures – pas l’impression d’un repli sur soi – regard sur l’entour – plus de romanesque qu’il n’y paraît dans une vie ordinaire – seulement ce qu’on en fait – s’acharner ou non à inventer des histoires – le goût du brut – le confondre un peu avec l’honnête – des visages qui t’habitentdes lieux – tu n’as fait qu’approcher éloignement et retours – le prix qu’on y paye et la force qu’on y trouve – ou s’y révèle – en faire quoi de cette métaphore de la route -- des musiques – là une bonne part de ton identité – t’y être cherché – avoir tenté de t’y reconnaître – trouvé matière et mise en mots – même imprécis et d’autre langue, toujours des mots -- des lectures – jusqu’aux instruments que tu as tenus dans tes mains – rien d’anodin – cette putain d’angoisse de faire sens – là toujours que tu reviens – ne pas oublier les mots de l’enfance – là sans doute que tout se tient – que tout peut prendre corps – accéder au non-dit – nœud des mots qui t’ont tenu à distance de toi et du monde – et t’ont mené aux mots des autres – tu sais ce qu’ici tient de l’éveil – du retour à soi – du combat contre la perte et l’errance – tous ces mots que tu t’es refusélessivé d’humilité comme ceux qui t’ont engendré – combien avant toi taraudés d’entre deux – usés d’occuper un espace incertain – jamais suffisamment le leur pour y proprement parler – toutes ces approximations d’être et de langue – c’est sortir du flou et du fantasme d’écrire ces lignes – c’est revanche contre le temps perdu – ces moments où rien de possible – où toujours repousser la mise en œuvre – luxe absolu aujourd’hui d’écrire ailleurs – pas certain d’oser ces mots-là chez toi

Ce billet a été rédigé par Michel Brosseau (à chat perché, en avant route, kill that marquise) que je reçois aujourd’hui dans le cadre des vases communicants. Vous pouvez suivre ce chemin pour aller lire mon billet publié sur le blog de son site “à chat perché”.

Voici la liste des autres participants à ces vases communicants de septembre :
Christine Jeanney et Pierre Ménard
Joachim Séné et Jean Prod'hom
Kouki Rossi et Florence Noël
Anita Navarrete Berbel et Piero Cohen Hadria
Maryse Hache et Florence Trocmé
Anne Savelli et Loran Bart
Arnaud Maïsetti et Stéphanie K
Daniel Bourrion et Brigitte Célérier

  • 3.9.10

Videur de seaux

imageTu videras les seaux. Les hommes ne coupent pas et tu n’es pas assez costaud pour porter. Septembre commence toujours par cet arrêt. A quinze jours des vendanges, il s’agit maintenant de répartir les rôles. La colle, l’équipe des vendangeurs, se compose. Ta mère, tes tantes, leurs deux amies et ta grand-mère seront à la coupe, comme chaque année. Les femmes ont l’échine souple, elles peuvent se courber facilement pour atteindre la souche et elles sont plus habiles que les hommes avec le sécateur : sectionner la grappe, c’est leur métier. Jean portera la hotte sur son dos, c’est un homme jeune et robuste qui ne renâcle pas à la tâche. L’équipe composée, les jours défilent et nous attendons la date de l’ouverture de la cave coopérative pour débuter la récolte annuelle.

Vider les seaux est un métier. Faut que tu apprennes. Tu dois être vigilant, plus la colle est importante, plus il te faudra être attentif. Personne ne doit rester avec un seau plein, cela ralentit la cadence et ce temps d’inactivité est une perte de productivité, tu comprends ? Par contre, il ne faut pas vider qu’un seul sceau dans la hotte de Jean et le laisser attendre avec le poids sur les épaules. Tu dois avoir l’œil et remplir la hotte dans la foulée. Pour cela, tu attends qu’il y ait cinq seaux pleins pour commencer à le charger, tu as compris ? Et dernière indication, fais attention quand tu vides, accompagne ton mouvement, ne jette pas les raisins d’un seul coup, vide avec souplesse, les épaules de Jean sont notre gagne-pain, pigé ?

C’est le grand jour. La tension est palpable. Tu vois, j’ai fait le tour de la propriété, sondé les grappes, à l’œil (la couleur parfaite doit scintiller au soleil), au volume (le raisin doit tenir dans ma main ouverte) et je peux te dire aujourd’hui que la récolte sera bonne, mon fils ! Et si ce n’est pas le cas, garde-le pour toi, je rajouterais du sucre liquide dans la benne. Parfaitement en ligne au bas de la vigne, chacun sa rangée, la colle démarre. Très vite, grand-mère prend de l’avance et remplit son seau à une vitesse hallucinante. Arrimée au coteau et voûtée comme un aimant, elle semble gravir la vigne en varappe. Derrière, mère, mue par son statut de patronne, vise la pole position et talonne le rang de l’auteur de ses jours. Plus loin, les tantes et amies sont hors courses, elles papotent entre chaque cep de vigne et goûtent le grain de Carignan sous le regard noir du meneur de colle. Regarde-les celles-là qui traînent, la vieille les tuera tous, je te le dis ! Je vide les seaux, prends soin du dos de Jean en jouant de mes avant-bras dans le déversement du raisin dans la hotte. Ma tâche est difficile, les deux récipients du duo de tête se remplissent toujours plus vite que ceux des traînardes. Je ruse et tasse d’un coup de pied le raisin des premières pour permettre aux dernières de rattraper leur retard.

Fin de journée. Sur la table de la cuisine, le meneur de colle débriefe sur un petit cahier à spirales. Tu vois mon fils, je savais que la récolte serait bonne cette année. Premier jour et nous avons rentré plus de deux tonnes avec douze degrés de moyenne et sans sucre ! Mère et grand-mère sont avachies sur leurs chaises, déjà le mal de dos les pince. Elles n’en disent rien. Tu as fait un bon boulot, t’es un vrai videur de seaux, tu sais ? Encore trois semaines avant le bal des vendanges.

  • 1.9.10