Le temps des comptes

Le temps des comptes Fin septembre, c’était le temps des comptes, moment de tirer des traits à la règle. Fin septembre, c’était le temps de rassembler les tickets papier carbone. Au stylo bien appuyé, étaient inscrits une masse en tonne, un degré approximatif d’alcool, une date, un nom, un code : 2,2 tonnes, 12.5°, Sanchez, 1151. Fin septembre, fallait maintenant tous les retrouver, les classer chronologiquement, les additionner et poser les chiffres sur un petit cahier à spirales bleu.

Il s'installait à la table de la cuisine, ouvrait son registre et feuilletait les années passées avec un sourire mécanique sur les saisons aux récoltes abondantes et quelques raclements de gorge devant celles génératrices de mauvais crus. Il tournait les pages avec une grande préciosité. Il humectait d’abord son index à la bouche puis prenait chaque feuille par la marge haute, lisait et glissait lentement son doigt sur la tranche avant de la faire basculer d’une pichenette. Il caressait ensuite le verso comme pour apaiser les chiffres définitivement enfermés dans le papier et l’oubli.

Nouvelle page et en haut en cursives majuscules, il inscrivait le mois et l’année de la récolte, changeait de stylo et tirait son premier trait de soulignement à bille rouge. Il alignait alors tous les chiffres face aux noms de chacune de ses vignes, tournait et retournait chaque ticket, les inspectait une, deux, trois fois. Puis, à chaque levée de stylo, à chaque effet retour, ses yeux roulaient sur la journée passée, le temps et la pénibilité affrontés, les gens autour, sa fierté et la satisfaction du travail bien accompli.

Les additions étaient parfaites, chiffres alignés au cordeau des marges, bien calés sur les petits carreaux de la feuille, recomptés et comparés à leurs équivalents de la saison passée. Chaque kilogramme de raisins notifié était soigneusement courbé sans aucune biffure autorisée. Chaque pensée qui accompagnait ce travail semblait couler sur la feuille et se fondre dans la propreté et l’alignement obsessionnel de chaque nombre. Il passait ainsi dans sa cuisine plusieurs heures de silence à calligraphier sa vie de vigneron avec toute la solennité de l’ultime étape qui signifierait bientôt la bonne ou mauvaise année, la bonne ou mauvaise humeur pour l’hiver à venir.

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  • 30.9.11

La couleur du souvenir

image Alors on recrée des lieux, des fantasmes en cartes postales, un bar, quelques breloques et c’est tout un monde qui revit, se tamise dans le neuf, s’oublie du contemporain et festoie de nos mémoires. Dans le creux, entre deux piliers de plâtre blanc, on redessine la vie d’avant, celle des zincs en bois, de leur dorure qu’il faut raviver, chiffon doux et humide, on s’y colle au plus prés pour retrouver le beau de nos jours égarés. Et on mime à l’excès les apostrophes d’alors, les cantates des troquets et le juke-box de vinyles. Clin d’œil au soleil dans la carafe jaune, les petits bocks de bières et les ballons de pastis, on se vide la tête de nos modernités et on gratte le cuir rouge des tabourets si élimé qu’il en émeut. On théâtralise le décor dans un refuge de quelques mètres carrés et le reste de la maison se vide de sens, tout nous concentre autour, on prendrait presque la gouaille des titis parisiens si Pagnol n’était pas si prés de nous. Comment oublier ? On la voit la table bistrot, quatre chaises et la partie de belote qui claque, pas besoin de pellicules, pas la peine de se saccader la vision en restauration THX 3D, ici, là, nous, on a la couleur du souvenir.

  • 29.9.11

Il est

Il est des anxiétés modernes, des conserves ouvertes dans la gorge qui empêchent de déglutir, qui collent la salive sur les dentelures, qui saignent à blanc le dedans. Il est des toxiques qui ne se voient pas, des métaux étrangers et lourds dans des corps qui ne devraient pas les supporter. Il est des substances illicites auto-fabriquées, des croisillons de plomb qui assèchent les mots et lestent les silences. Il est des récurrences qui coincent aux encoignures, qui heurtent l’ego et renfrognent l’orgueil. Il est des boites ouvertes, pandore violée, qui sécrètent discrètes des acides ferreux que ne se déglutissent pas, qui collent aux parois en vert de gris dans le sang et dissolvent ce qui reste de sel de vie. Il est des petites pourritures rouillées qui, à force de cisailler la glotte, font s’évanouir la vérité, dénier les blessures et incorporent des cicatrices purulentes dans l’avalement des choses.

  • 28.9.11

Chiendent

ChiendentIl se baisse, flexion tout juste et échine pliée, dos équerre il arrache les mauvaises herbes, jaunes et violacées, à têtes de plumets, à larges éventails gras, à gros points noirs et rouges, aux filetages douillets et sournois, il arrache toutes les mauvaises de ses mains rongées comme bouffées de sel, il arrache, tire sur les tiges doigts ramassés en poing crispé, phalanges explosions, bosses craquelées aux intersections, il arrache, toute la journée, il arrache chiendents, crevures odorantes viciant la terre, sa terre, qu’il bouscule et détache, il arrache par motte molle, boule de schiste pendue aux oignons de l’herbe envahissante, il arrache sans relâche, fait des trous courbé terre, nez dans la nature, bruyante de végétaux, obstructifs organiques, il nettoie, vide, purifie, soulage de l’étouffement, endigue la montée de sève asphyxiante, il arrache le poison à la vie, sépare le bien du mal, coupe, ratisse, bouche, brûle tout et se redresse.

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  • 27.9.11

Par les mouches

image Il est allongé sur son lit. Depuis une heure ou deux, il ne sait plus vraiment. La fenêtre de la chambre est ouverte sur le jour pâle et le rideau joue avec un vent doux qui vient de temps à autre lui lécher le visage. Un visage émacié qui ne tient qu’à quelques os saillants au creux de pommettes disparues. Il a le regard fixe et inhabité, un regard plafond des jours de haute culpabilité, où on a tout perdu, de soi, et des autres. Dans la pièce voisine, la cuisine, un bruit de trancheuse à jambon tourne en boucle, un timbre lancinant qui zèbre le vide de l’appartement. Il ne semble pas embarrasser, au contraire, le son en cercle aigu le berce et ses paupières plombées clignotent. Dehors tout est calme, excepté les clameurs ordinaires : voitures qui démarrent, claquement sourd des portières, voix étouffées du petit matin et quelques sirènes de police égarées. Deux mouches entrent dans la pièce. D’abord cachées dans les voilages, elles se dirigent de concert sur le pas de la porte d’où coule un jus gras qui macule la moquette par vagues lentes. Elles volètent en duo harmonisé en lâchant leur bourdonnement par saccades puis se posent et tètent goulûment le liquide qui se répand en tache noire. Un lourd silence et elles réamorcent leur vol autour du lit, quelques secondes suspendues à son regard et elles replongent. Toujours étendu, ses yeux roulent sur le manège tandis qu’une odeur âcre vient lui exciter le nez, il suit les mouches, balayent l’air d’un revers de main et sent soudain remonter la douleur en lui. Les mouches sont rejointes par une autre siffleuse, puis deux, puis trois… Une nuée de mouches s’abat sur la chambre, elles s’agglutinent une à une sur la flaque comme abeilles sur pot de miel. Elles couvrent désormais l’ensemble de la tache et leurs ailes collées au sol laineux se colorent d’un rouge écrasé. Il se lève enfin, résolu à se débarrasser des fâcheuses, s’arme d’une chaussure et tandis qu’il jette sa main en arrière, la porte s’ouvre brusquement et le cadavre sanguinolent de sa femme, gorge tranchée, s'écrase à ses pieds.

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  • 26.9.11

Glisser sur la rampe

clip_image002Glisser sur la rampe. Ben tiens, bien sûr qu’on aimait ça, glisser sur la rampe ! Du troisième qu’on partait, sans s’arrêter, et on dévalait les étages comme des fusées. Moi j’avais la technique, jamais de short bien sûr, ni de sandalettes, un tu risquais de te brûler les cuisses, deux tu pouvais être sûr de t’embroncher les semelles dans les barreaux. Oui, moi je savais m’y prendre pour la descente sur la rampe, je grimpais puis basculais de quelques centimètres sur la gauche, de façon à glisser sur la cuisse, pas sur l’entrejambe parce que bon, tu comprends. Mais surtout fallait pas se pencher à droite, cause il y avait le vide à droite, que même quand tu commençais ça te filait le vertige le vide d’en haut, les trois étages que tu voyais en colimaçon. Un trou noir, qu’on disait, un trou noir en étoile, parce que ça faisait des étoiles à chaque palier, une sorte d’hélice d’hélicoptère, et qu’on s’encourageait tous avant de filer dans le trou noir : ne regarde pas en bas sinon tu vas pas le faire ! On a longtemps fait ces folles descentes, usé des pantalons et des cris à chaque étage, même grands encore on faisait, jusqu’au jour où Madame Clotilde, c’est la concierge, elle a eu la fâcheuse idée, tu vois, de mettre une boule en verre au bout de la rampe d’escalier. On s’est laissés avoir une fois mais pas deux.

illustration : Robert Doisneau

  • 26.9.11

Sur un air de Chet Baker

Ce soir il fait un froid qui gifle les joues, un vent lent mais transperçant. Il est sorti sur le trottoir pour s‘aérer les neurones, quatre heures au moins qu’il est enfermé dans ce cloaque à respirer l’alcool fermenté et la transpiration chaudement suintée. Maintenant, il se les caille ferme et pour se réchauffer, il fourre les mains dans ses poches et tire nerveusement sur une tige coincée entre ses lèvres. La tête en bandoulière, il traine godasses et cadence mal son pas sur le reste d‘un morceau de Chet Baker qui s‘échappe d‘un taxi stationné à quelques mètres. C’est nuit noire et sous le réverbère, seul halo dans la rue, un chien pisse son chaud soulevant des vapeurs qui se mélangent direct à ses volutes de fumée. L’odeur d’urine lui traverse les naseaux alors qu’il tire la dernière taffe et la bouille dégoutée, il balance son mégot incandescent sur le cabot qui se tire comme une balle en couinant sa mère.

Il rit fort, si fort qu’il s’étonne lui-même d’un tel éclat. La main devant la bouche, il souffle son haleine qui forme un petit nuage augmenté de whisky rance et de tabac tiède. Il en tient une bonne, une sévère qu’il n’a pas vu venir. Il se renfrogne, cherche dans ses chausses un restant de monnaie et avise le taxi d’un bras lourd. La voiture démarre et s’arrête à ses pieds. Par la fenêtre, Chet Baker lui vocalise à la tronche, il titube un instant en singeant un tour de claquettes puis trébuche sur le bord du trottoir et s’étale copieux sur le capot. Pendant quelques secondes il est bien là, dans le tiède de la tôle, la gueule à cinq centimètres du radiateur. Le chauffeur, le genre patibulaire (mais presque), descend, le décolle rapide par les épaules et le repose sec sur le trottoir. Couché dans le caniveau, il sent le vent redoubler ses percées glaciales et les yeux sur le bout de ses pompes mouillées de pisse, il entend le refrain de « The More I See You » se tailler dans la brume. Au loin, un chien hurle à la mort.

illustration : Francis Keller

  • 23.9.11

Renard sur tête

Je l’ai croisée, enfin croisée pas tout à fait, je crois que je l’ai épiée un instant, un court instant. Il me semble que c’est cela qu’elle a du ressentir à ce moment là, une agression de l’œil, un vertige persécuteur quand passant sur ce pont, j’ai été surpris par ce renard sur tête, à moins que ce ne soit ses yeux bleus qui m‘aient fait stopper net. Des yeux d’un bleu triste et cet air qu’elle a pris, levant le regard sur moi, me toisant moi l’intrus qui lui portait mauvaise attention. Offensée, elle m’a demandé ce que je lui voulais, du genre tu veux ma photo ou quoi ? Alors, je lui ai dit que oui je voulais bien la prendre en photo si ça ne la dérangeait pas, que je la trouvais belle malgré l’accoutrement, enfin je n’ai pas dit accoutrement mais c’est ce que j’ai pensé. Elle a continué à me regarder un peu surprise, le renard qui flotte au vent, ses lèvres sèches sans mot. Sa tache en haut de la joue, j’ai cru qu’elle allait tenter de la masquer, de poser une main dessus quand elle m’a vu sortir mon appareil et viser. Mais non, elle m’a juste dit de ne pas prendre ses jambes.

illustration : Mike Brodie

  • 22.9.11

Echo à #vaten de @christogrossi @publienet

Va-t’en, va-t’en… Et bien je suis parti, revenu, j’ai erré comme lui, dans des villes inconnues qu’on aimerait connaître mais pas maintenant, pas dans ce contexte professionnel. Pas le moment, sans la solitude et le gris du temps, on sent qu’on pourrait aimer, flâner, mais le cœur n’y est pas parce qu’on a une mission et que cette mission bouffe tout. Il y a la ville et ses dédales, parkings, rondpoints, souterrains, lignes de tram, où il s’égare où je m’égare. Chercher et ne pas trouver puis à un coin de rue, faire des rencontres incongrues, qui font, pour un instant, sourire. Mais pour le reste, c’est départ et retour incessants, longue route mais heureusement la musique est là - Bashung, Noir dés et bien d’autres - une permanence pour se rattacher au connu, pour se souvenir, pour se sortir du temps, et du bitume collant. Et quand enfin, on est revenu, autour les gens, le trop de mots où le silence manque, les voix sourdes, bref le malaise s’installe et pointe déjà l’envie de repartir… c’est mieux pour tout le monde.

Extraits :

Reprendre le volant, choisir un autre disque pour sortir de Mâcon, se laisser griser par le Cantique des cantiques, suave, troublant, sensuel – Alain Bashung et Chloé Mons, voix à voix, suivre leur union, leur déclaration, leur étreinte.

J’aimerais tant revenir vers un geste d’amour pur. Mais à force de nous côtoyer huit heures par jour dans vingt mètres carrés, comment faire pour ne pas ressembler à la plante verte, à l’halogène, à cette sonnerie de téléphone ? Je suis un corps-éponge. Des centaines de phrases se cognent dedans, des foules de mots. Bousculades, amorces de dialogues, voix sourdes. Je ne suis plus un corps-montgolfière.

Je suis fou de cette ville. Dans un café je poursuis les aventures de Kwak, Zak, Shelle et Melancolio. Les brasseries continuent de brusseler, Jacques Brel de chanter, Rimbaud au Saint-Germain de verlainer. Envie d’écrire, encore, de raconter aussi, de revenir. La première libraire que je vois est enrhumée. L’endroit est magnifique, il ressemble plus à une bibliothèque qu’à une librairie. Quand je sors, une passante me demande quelque chose dans une langue qui m’est inconnue ; je crois reconnaître le flamand mais n’en suis pas certain. L’accent de Bruxelles et ses façades – chantants.

Plus tard j’entre dans la salle d’étude de la bibliothèque. Depuis combien de temps ne suis-je pas entré dans un lieu comme celui-là ? Je traverse ce silence stéréotypé qu’on retrouve dans toute bibliothèque universitaire et les attitudes qui vont avec : derrière les feuilles étalées et les trousses éventrées, les mines sont défaites, concentrées, studieuses, rêveuses. On a placé de grandes tables au centre de la salle, les rayonnages sont bien là, sur tous les murs et les manuels reliés, épais, lourds, absorbent silence et savoir, secrets et mensonges.

Lire Va-t’en, va-t’en c’est mieux pour tout le monde - Christophe Grossi - Publie.net
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  • 21.9.11

Donner la pièce

Nés dans une société de biens, pas le choix c’est ainsi, il fallait, il faut toujours, de l’argent pour posséder, pour se sentir libre, pour pourvoir consommer comme les autres. Dés l’enfant qui convoite friandises, la monnaie, le billet, la pièce, le Graal est recherché, par tous les moyens, sous toutes ses formes et communs des mortels, nous sommes prêts à toutes les compromissions pour l’obtenir. Heureusement, règles et morales nous préservent, êtres bien élevés, des tentations de crimes, de vols ou autres atteintes à autrui pour arriver à nos fins. Fins stratagèmes ont toutefois droit de citer pour flouer le rapiat qui dans ses courbes doigts plantés dans des oursins garde jalousement son pactole douillé entre deux épais draps d’une armoire normande.

Feue ma grand-mère, même si la traiter d’avare serait en quelque sorte travestir sa mémoire, était de cela, de ceux pour qui l’argent n’a pas de couleurs et participe à un vaste ensemble de tabous qu’aucun vaniteux désir ne peut désunir. Dans mon souvenir, aucun porte-monnaie dans sa maison, pas plus que de billets ou pièces même de bronze égarés sur une commode, seule la fameuse armoire aux draps en forme de cassette me faisait dire, tout bas, qu’elle renfermait ici l’objet de tous ses mutismes argentés. Elle était pauvre, et c’était bien suffisant pour arrêter de songer à quelconques présents ou autres legs grand-maternels.

Qu’importe sa pingrerie supposée, la bienveillance évidente de son regard valait beaucoup plus que toute largesse pécuniaire. J’en avais pris mon parti et je quémandais mon argent de poche auprès de mes parents directs plus prompts à assouvir ma soif de dépenses inutiles et compulsives. Cependant, grand-mère ne pouvait passer outre les rendez-vous que notre culture impose : les anniversaires, les noëls, les étrennes de début d’année… Ces jours-là, je la sentais torturée du ventre, le visage soudain émacié comme si le calendrier par sa date fatidique lui retirait quelques grammes sous les joues. Elle roulait ses yeux, riait jaune face à ma cupidité taquine coincée entre les dents. Je n’avais pas besoin de lui rappeler que le moment était venu, qu’elle ne pouvait pas en réchapper, bref, qu’il fallait qu’aujourd’hui, instamment, elle crache au bassinet. Alors, sans mot dire tout en grommelant de l’intérieur, elle ouvrait la normande, fouillait entre les étoffes, ouvrait le tiroir à petite clé et sortait une boite métallique, ancien emballage de biscuits secs à l’anis. Couvercle rabattu en parade à mon regard qui tentait de compter pièces et liasses de billets, elle enfouissait sa tête à l’intérieur, grattait quelques longues secondes son trésor (il est l’or, il est l’or, monsignor) et ressortait l’offrande pliée dans son poing cagneux. Poing qu’elle me tendait brusquement au visage comme si elle voulait me filer une droite dans les gencives puis elle tirait ma main vers elle pour que je la lui ouvre et en desserrant lentement la sienne, y faisait rouler une grosse et rutilante pièce de cinq francs. Elle quillait ensuite son doigt au ciel et yeux obliques en signe d’avertissement grave, me rappelait comme la bienséance et la morale l’exigent qu’il me fallait être économe et surtout ne pas bêtement tout dépenser en une seule fois.

illustration : Dmitri Kessel

  • 19.9.11

Sous le clocher

J’ai habité sous un clocher. Enfant, dans mon lit je dénombrais les coups de butoir, pour connaître l’heure, pour savoir s’il était temps de me lever. Aux heures tardives du dimanche matin, il m’arrivait fréquemment dans l’embrume de perdre le compte, neuf, dix, onze, je ne savais plus. Parfois, inquiet, je n’entendais qu’un seul coup, un son de cloche perdu dans la matinée qui n’annonçait rien d’autre, un quart d’heure plus tard, que le repic d’une heure que j’avais perdue. Il me fallait alors patienter encore jusqu’au prochain défilé de sons creux et évasés, les accrocher un à un sous mes yeux clos pour ne perdre aucune de leur résonance. A onze, pas avant, je me levais, débarrassé de l’angoisse d’un lever trop tôt et la journée sous le clocher continuait.

Régent du jour comme de la nuit, le haut beffroi balançait également ses airains pour avertir les fidèles d’une cérémonie à venir : danse joyeuse de la messe dominicale, solennelle et grave marche pour les vêpres au crépuscule ou même fanfaronnade païenne pour les annonces du garde-champêtre, foires artisanales et autres marchés locaux.

Mais du métronome du temps qui passe aux avertissements de la vie au village, demeurent des coups de cloches qui résonnent encore creux dans ma tête. Une série funeste en forme de bourdons retentissants qui alarmait tous les habitants et qui soufflait dans les rues la question rituelle et morbide, si angoissante que sous le clocher la vie semblait s’arrêter. Les gens qui savaient répondaient aux curieux, d’autres cherchaient sur les perrons pour qui pouvait bien sonner ce terrible glas. Et après la longue et interminable litanie grise, le défunt identifié, les heures reprenaient les cloches en main, battants réguliers qui remettaient en place le balancement du quotidien.



  • 18.9.11

Au spectacle

clip_image002Moi je suis le spectacle, le music-hall et toi, tu n’es rien, que dalle, une fourmi que je peux écraser d’un pied, d’un orteil, d’un léger vent percé de ma bouche. Pfff, et plus rien. Et tu te crois original, beau, dans le coup, bran-ché, mais tu vaux pas un pet de lapin, chéri. Dégage de mon chemin, je ne veux rien de toi, moi, je suis maestria, je suis dame, je suis princesse sur la scène tandis que toi, tu te tords au rang orchestre, pour zyeuter sous ma jupe, pauvre dégueulasse. Ne nie pas ! Je t’ai vu au deuxième acte quand j’ai élevé ma voix de diva, repris ce magnifique refrain écrit rien que pour moi, tu crois qu’on ne voit pas depuis la scène, que les sunlights nous aveuglent, que la masse applaudissant est noire pour nous, qu’elle serait public qui ne ferait qu’un en scandant un seul grand bravo assoiffé de bis repetitas ! Et bien non, moi je sens la foule comme je peux voir les individus de ton espèce, les uns, les autres, les petits, les grands, les gros, les maigres, les beaux, les laids, je suis grande moi, je te surplombe et dans mon regard baissé, tu vois comme ça, tout en continuant mon métier d’artiste parce qu’on ne me déstabilise pas facilement à moi, je t’ai vu canaille cogner ta main sur ton ventre, j’ai vu tes épaules se secouer quand tu as aperçu ce que tu cherchais comme un diable, j’ai vu ton regard lubrique et ton rire éclater quand tu t’es rassuré sur ce que tout le monde sait déjà. Et bien oui, ducon, je suis un homme et même si tu veux tout savoir, je m’appelle Maurice. Dégage détraqué ou j’appelle la sécurité !

illustration : Ruven Afanador

  • 17.9.11

#todoliste hors série sur photo de @cjeanney

 

photo @christine jeanney


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  • Penser entre chien et loup évidemment et à toutes autres paraboles, comparaisons, métaphores bucoliques et animales. Pourquoi le chien, pourquoi le loup et pas un chat tout aussi inquiétant au crépuscule et une hyène – non pas la hyène c’est trop déchirant pour le tableau.
  • Penser le beau, c’est sûr, et l’exprimer de et avec l’émotion qu’il se doit et tout à coup dans l’échelle des images hypnotiques y voir autre chose dans cet invariable empilement de couleurs comme un gros sandwich, un hamburger long avec ses strates de ciel, de fromage-soleil fondu dessus-dessous - et sourire à l’évocation stupide.
  • Et jusqu’où les arbres vont-ils percer comme ça, à force de monter, de trancher le ciel en plusieurs couleurs ? Même un qui essaie de dépasser les nuages, l’idiot, encore un ego à la dure écorce.
  • Avoir une envie irrépressible de long cheese bacon puis se dire quand même que tant que les crépuscules seront aussi beaux et qu’il y aura des personnes pour les capturer, tout n’est pas encore complètement foutu.

Clin d’œil aux #todoliste (liste de 4 choses à faire sur photo offerte) de Christine Jeanney. C’est tous les jours jusqu’à la fin du siècle et c’est ici.

  • 17.9.11

#schizoumi - 10

#schizoumiIl, ils désordonne, désordonnent, hiérarchie des moi, holà, trop gratté de l’intérieur, Je suis, nous sommes, ils sont. Trouve, trouvent d’autres maladies pour plus dire que c’est, ce sont, ce sera, ce seront toujours des injonctions à plusieurs langues. Aucune qu’il, ils connaît, connaissent. Seul, seuls, seules. Des voix alors Je est des voix, sans voie de réadaptation. Encore un mot en –ion comme transmission ou extinction. Le Je ne joue plus. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 16.9.11

Entre bruits

Silence alors. Entre mots, entre bruits, il trouve toujours l’instant pour s’immiscer, entier, lourd, présent, trop présent, insupportable. Sa masse arrive impromptue, son poids s’abat sur nos corps, les yeux roulent pupilles cherchant sa forme et les battements de vie deviennent cris. Et de la pression déborde l’urgence de tailler, il nous le faut parcellaire, vacataire entrecoupé de paroles, il nous doit être respiration pas puits sans fond. Je l’aime pour le repos quand dans son sein je nous retrouve mais le déteste pour ses angoisses, ses traits qu’il trace sous nos yeux, les questions qu’ils posent dans nos têtes embrumées. Face à toi, toi qui parles, qui devrais parler, me parler, il se fait peur, abysse. Mes deux pieds sur la crête, la crainte sur toute ma longueur, je suis trop haut et il me joue vertige en pointe, corps en cage me fait vaciller. Je lutte alors pour le briser, pour décrocher mâchoire, soulever menton, il me faut l’inspirer, le saisir dans ma bouche par une grosse lampée d’air pour le rompre dans une large expiration, souffle long de mots en faconde pour éviter de nous laisser en plan filer dans son blanc aphasique. Je ne veux, je ne peux pas rester trop longtemps dedans, seul oui, mais pas avec toi là à côté, avec tes yeux vagues qui ne disent plus ou qui disent trop sans paroles. Je ne veux pas glisser dedans, nous y enfermer, nous murer dans, nous perdre dans son interdit. Alors bruits.

Illustration : Les pierres du silence – Yannick Le Quilleuc

Texte publié initialement chez Franck Queyraud dans le cadre des vases communicants du mois de septembre.

  • 15.9.11

#schizoumi - 9

#schizoumiIl, ils guérit, guérissent les cas comme moi/nous/eux. Ce sont culture, condition, population qui veulent ça, guérir c’est bien, guérir c’est moderne. Alors, il, ils parle, parlent en –tion, addiction, dépression, solution, ablation, opération avec les mots, tous rassemblés sur un canapé, les vois les voix et Je. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 15.9.11

Quand

C’était hier, déjà, il fera beau longtemps si je m‘accorde quand, que je disais encore. Puis, effet papillon, un vent, une humeur et tout a foutu le camp, quand. Quand il est rentré du boulot-bistro, le regard torve et les mains dans les poches, quand ses épaules ont dansé en ombres sur les murs, tapaient les meubles, quand le verre qui tinte trop, la vaisselle sale dans l’évier, le jouet sur le sol sur son passage, un repas pas préparé, quand ses yeux sont montés du ventre furibonds, quand j’ai vu, encore une fois, son sang bouillir, senti ses paroles suinter le porc, quand il s’est mis à me traiter, à le traiter sans raison, sans que rien ne le lui autorise, sans que je ne puise rien y faire, quand son odeur de lie est montée jusqu’à ma bouche, qu’il a éructé sur le petit, vomi son repas de midi, quand il a bondi, déchirant ma chemise, moi, dans la fenêtre, le petit loin, trop loin, quand j’ai senti son corps s’abattre, se dédoubler dans le miroir au-dessus du lit, quand il s’est endormi sur mes seins, la bave aux commissures, le souffle lourd dans mes oreilles, quand son poids m’a étouffé le cœur, qu’il m’a rendue stèle, alors j’ai compris que pour qu’il fasse encore beau c’était demain, déjà, qu’il me faudrait fuir.

illustration : Robert Doisneau

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  • 14.9.11

#schizoumi - 8

#schizoumiIl, ils continue, continuent replié(s) sur les anti. Antipsychotique, encore un –ique. Le Je n’en vaut pas la bougie qu’il, ils me donne, donnent yeux décuplés d’anti. Il, ils lutte, luttent, dresse, dressent des parades pour me/nous/les faire revenir à une unicité. Peine perdue, on/Je/ils n’écoute(nt) plus. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 14.9.11

#schizoumi - 7

#schizoumiIl me, ils me, toujours des mots toujours plus gros. Prégnance, déni. Reflux vers le petit (mais c’est un troupeau de petits), pour chercher le nœud. Veut, veulent le défaire, est, sont fou(s). Dedans, le dedans du dedans est multiple de Je, nombre premier égaré. Sait, savent pas, sait, savent rien. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 13.9.11

#schizoumi - 6

#schizoumiIl, ils assène, assènent dépendances, causes, encore à coup de –ique. Puis de drogues, saint homme, symptômes, série en –om. Hum, est, sont trop singulier(s) autour, blouses blanches qui parlent et n’arrive(nt) pas à parler à mes pluriels. Je/tu/il/ils/nous grammaires à accorder pour gruger. C’est un métier, fausser, s’oublier au Je. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 12.9.11

#schizoumi - 5

#schizoumiIl, ils me veut, me veulent faire dire 1 mais non, Je est nombreux. Alors, il, ils siffle, sifflent cervelle, renverse, renversent psy et autres en –ique. Paroxystique, très haut, hauteur, haut-le-corps, autour, auteur, autistique, génétique, psychotique, anarchique, gênes et tiques, Je souffle colchique. Et il, ils lâche, lâchent, lâches, les mots, mon/mes/nos/tes esprit(s). Mouvement des mains. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 11.9.11

#schizoumi - 4

#schizoumiIl, ils mange, mangent goût-couleurs-ne-se-discutent-pas mais Je, mais euh, discute toujours. Et bataille, plusieurs cerveaux dans même tête, nous, Je. Impossible de partager, voix, internes, ils, mais que veulent-ils à Je ? Il, ils rompt, rompent partage, partagent, des millions de jonctions en chatouille. Retour au début du Je. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 10.9.11

Un peu couillon

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Il est sympa ce petit jeune là. Si, tu sais bien, le reporter des troquets là ! Ah ! Tu te rappelles. Et bien regarde donc la trombine qu’il m’a fait cet imbécile, c’est lui qui m’a pris l’autre jour au bistrot. Oui, oui, c’est moi là ! Souris bien fort qu’il m’a dit avant d’appuyer sur le gros bouton rouge de sa bête là. Alors, tu vois, j’ai souris du mieux que j’ai pu, ai l’air un peu couillon quand même, tu trouves pas ? Non ? Ah t’es gentille toi. Moi j’trouve que je lui écarquille un peu trop les bajoues au petit jeune, que ça me fait une tête de Mickey ce sourire là. Mais bon… Ah oui, tu trouves que j’ai de beaux yeux toi ? Ecoute, c’est parce que tu sais, c’est un brave gars le petit jeune, alors quand il vient au bistro avec son gros appareil là, qu’il me raconte un peu sa vie de photographe, tout ce qu’il trouve chez les gens simples, dans les portraits costards qu’il leur taille et bien tu vois, tout ça, ça me rend heureux alors les yeux, ils suivent. Ils trompent rarement les yeux, tu le sais bien toi ça hein ? Avec ton regard de biche pas farouche et tes grosses prunelles sous cils qui badinent l’air, que même je m’y perds dedans chaque fois que tu me lorgnes d’un peu trop prés. Oh rougis donc pas ! Tu sais bien que t’es belle, ma douce.

illustration : Lutz Dille

  • 9.9.11

#schizoumi - 3

#schizoumiIl, ils dit, disent ensemble d’un commun accord avec lui-même, eux-mêmes, Je. Tiraillement du soi, soit, soient, ne pas trancher, caméléon suivant l’autre, couleur du temps, changement intempestif, Je suis sûr que Je me reconnais pas, nous. Peu importe, dissociant, dissociable, associatif, asocial. Il, ils distrait, distraient, Je. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 9.9.11

Fat

Elle passe sur son ventre une main curieuse, caressant les remous que fait sa graisse agglutinée là depuis des mois, des années peut-être. Elle caresse sans s’en rendre compte son estomac repu de tant de souffrances avalées. Des déglutitions sévères, du mal ingéré à forte dose, des raisins secs d’une colère qui ne lui appartient plus : elle constate et tente de se rappeler, sans pouvoir trouver la piste, sans savoir et expliquer quelles turpitudes l’ont rendue ainsi, dans cet état de grosse, dans cet état d’obèse qu’elle est devenue. Que doit-elle faire désormais, depuis que ses mouvements sont réduits, depuis que sa gorge, en remembrance de cette atomisation de bouffes grasses, la serre si fort qu’elle ne peut plus rien ingérer ? Enfoncée dans son grand fauteuil de cuir, les cuisses débordantes scotchées à l’assisse, elle ne parvient plus à réfléchir, juste elle pose et caresse machinalement son mal enfoui, sa main sur cette montagne ventrale. Là dans le dedans du dedans demeure engloutie sa vie, elle l’aura mâchée, passée au rayon de quelques sucs gastriques, mais jamais elle ne l’aura totalement digérée. Désormais enclavée dans son corps, elle ne file plus qu’en rémanences adipeuses, de l’amnésie gazeuse comme fil conducteur et pour finir ses jours, un aggloméré de souvenirs perdus.

Illustration : Ambre Langlois


  • 8.9.11

#schizoumi - 2

#schizoumiIl, ils veut, veulent tout et son contraire, Je. Être et vouloir être, nombreux suivant les saisons, opportunisme de passage ou ouverture d’esprit trop large. Plein de la certitude de ne pas en avoir, il, ils avance(nt) à plusieurs facettes, Je. Noir, blanc, enfants et succubes. Tout à la fois, il, ils joue(nt) au Je. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 8.9.11

#schizoumi - 1

#schizoumiJe joue, miroir dedans, depuis toujours. Qui es-tu, toi, reflet ? Et le temps de dire, mouvement de lèvres, Je suis contour écran, décalage, qui compte ses plusieurs. Il, ils. Tu peux me dire Je, tu sais, nous pouvons te dire Je. Papier-caillou-schizo. #schizoumi

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  • 7.9.11

Passé des nuits

Passé des nuits

Passé des nuits, j’ai passé des nuits à courir la vie devant le poste, lumière blafarde et convexe du tube cathodique Radiola. Des rêves éveillés pour me fondre réalité, des films policier, western, cape et d’épée ou trublions gendarmes, des émissions qui font peur comme ce générique aux basses assourdissantes censé nous dévoiler des dossiers sur l’écran. Passé des nuits, bloqué sur la même chaîne, la une, la deux ou la trois pas encore de télécommande, fallait se lever pour changer, appuyer sur les gros boutons en plastique argenté. Toutes façons il n’y en avait que trois des chaînes et les programmes se valaient tous, on compulsait magazine avec attention pour choisir et ne plus se lever de la nuit. Sur la Une, Antenne 2, FR3 passé des nuits sans pouvoir décrocher des images saccadées vingt-cinq par seconde, comme hypnotisé par la vie du dedans de la lucarne. Ces êtres, comme moi mais en mieux, eux, ils passaient à la télévision, tard dans la nuit, pêcheurs dans histoires naturelles, des canards et des cuissardes dans les marées ou la mire qui figeait l’écran après le vol des hommes-oiseaux de Folon, la mire, cible quadrillage lumière qui semblait dire ici la vie est finie vous pouvez dormir tout en nous gardant un pied dans son monde de couleurs, le nom de la chaîne au centre, rectangle noir et du multicolore autour. Passé des nuits, je croyais passer des nuits alors qu’à onze heures de l’à-peine noir c’était déjà fini.

illustration : Trent Parke

  • 6.9.11

#petitehonte - 20

C’est condamner à jamais la peau qui tend les joues, le ventre en creux, et les échappées belles. C’est ne plus risquer la prise en défaut, mais se souvenir, sourire tendu, des défis manqués, des crocs-en-jambe, des doigts et des pieds croisés, des genoux mercurochromes et des pantalons troués. C’est ne plus croiser de regards espiègles, revenus à la mémoire comme tels alors qu’on les croyait bourreaux. C’est voir défaillir les jours rosis. Finie la #petitehonte.
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  • 6.9.11

Des vies dedans des gens

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Le jour la ville, des vies dedans des gens et des dédales grillages autour. De l’organisation, des règles pour, des interdits pour ne pas, des absolues vérités partagées par tous. Une fusion commune, parfaite, acceptée. Faire partie des ombres, normées les ombres, facilement identifiables, des qu’on peut placarder sur des portes, stylisées : longilignes hommes aux cheveux carrés, profil impeccable pantalons droits et décontractés du bulbe pour femmes évasées des hanches aux poils longs sur tête qui sourit et jupes parallélépipèdes pour pas confondre avec autre animal. Et des trajets alentour, avec, pour, dans, vers, à l’intérieur, avec du tracé de lignes qui montent, descendent, forment courbes aussi, mais dans le code, toujours dans le code, sinon honnis : dans la marge, sans rampe, sans règles, c’est chaos qu’ils disent, anar, trop, trop libre, on peut pas, on veut pas, toujours des droites, des gauches, des pôles inverses mais ordonnés, ensemble contre l'originalité, trop peur, trop grand, trop éloignés de la masse, la masse. Le jour la ville, des vies dedans des gens et des dédales grillages autour.

illustration : Ray K. Metzker

  • 5.9.11

#petitehonte - 19

C’est grandir et ne plus connaître, ne plus se rappeler la petite honte. C’est s’être barricadé, emprisonné de conventions, d’évitements, c’est vivre entre adultes qui ne cherchent plus rien, ne regardent plus que leur nombril. C’est ne plus rire, ne plus s’exclamer « Oh la honte lui ! ». C’est être devenu trop grand pour aimer par facétie.

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  • 5.9.11

#petitehonte - 18

C’est celle restée plantée là, dans le dedans, le dedans du dedans. Celle perdue sans défense, attaquée de toute part. Petite devenue grande, avilissement dans l’adulte, qu’il est grand ce petit, dans les vocables descriptifs, de la barbe sur le menton, les joues en explosion. C’est la garder, l’apaiser, la répandre plus tard, tare lourde sur le divan, un quidam qui l’écoute.
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  • 4.9.11

Sans tête

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Hey là, qui es-tu, toi, là avec ton zoom sur moi, zoom, zoom, dézoom, me regarde pas, quitte cette position, s’il te plait. Qu’est-ce t’as à me lorgner à moi, là, qu’est-ce qui t’intéresse dans ma tête, mes croûtes sur les lèvres, mes joues en copeaux, mes yeux tessons chargés de cette putain de vie ? Allez file de là, fous-moi la paix, garçon, reste pas ici, c’est pas un endroit pour toi, rien de ben beau à photographier, ça pue la mort, mon gars et ma tête longtemps qu’elle dit plus rien à personne ici ou ailleurs. Toute façon, vois, hop, j’ai pas de tête, plus ma tête, perdue, suis devenu sans tête, comme le chevalier noir là, tu sais, sur son cheval. Faisait peur, celui-là, faisait peur quand il arrivait dans la maison par la lucarne, la musique qui venait aussi avec lui, ‘te rappelles, le crescendo magnifique, les basses qui montent lentement et les violons à la pointe. Ah là, on aurait dit du sang ces violons, le son qui vrillait, dis-donc, comme un sabre qui tranche, tu sais, l’archet c’est une arme, mon garçon, c’est coupant comme un sabre, et le son c’est du sang qui coulait encore de sa tête au chevalier là. Et c’était le lourd après, tu sais, le lourd que ça te faisait dans ta tête à toi, dans ma tête à moi cette musique quand il cabrait son animal, son cheval noir, les deux pattes sur l’écran que tu te disais, c’est pas possible, il va me retomber dessus l’animal là, le cheval là et sa musique lourde. Et le sabre qu’il dégainait haut dans les airs le chevalier sans tête pour encore aller couper des têtes, d’autres têtes dans un glissement d’archet. Ah là ! Puis tu vois, oumpf, m’a coupé ma tête à moi aussi. Me regarde plus, s’il te plait, zoom, zoom, dézoom et va-t-en ! T’entends pas là les violons de la mort ?

illustration : Raymond Depardon

  • 3.9.11

#petitehonte - 17

C’est ne jamais présenter aux autres sa petite honte. C’est en perdre le reste de ses émotions, c’est être légume devant la gêne, trop préserver, trop réserver. C’est ne jamais dire un mot plus haut que l’autre, couper autour, misanthrope en guerre avec soi-même. C’est avoir la honte chevillée et ne jamais la montrer, ne jamais rien montrer du tout. Mourir de.
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  • 3.9.11

J'ai vécu heures... #VasesCommunicants

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alors bruits. échos du monde. J'ai vécu heures. nu. "Nu, j'ai vécu nu. Naufragé de naissance. Sur l'île de Malenfance. Dont nul n'est revenu. Nu, j'ai vécu nu. Dans des vignes sauvages. Nourri de vin d'orage. Et de corsages émus. Nu, vieil ingénu. J'ai nagé dans tes cieux. Depuis les terres de feu. Jusqu'aux herbes ténues..."

alors bruits. échos monde. vécu heures. nu, n'ai plus parlé. me suis tu. te regarder. te respirer. voyais les imabes autour moi, omgres des autres s'agiter... te regardais. fut bref, ce regard. regard. soudain, l’univers… disait mais… u’est-ce que tu me veux toi ? deux silences se sont épanouis, rencontrés, lianes lierres cailloux genoux et tentacules, se tendre, tendre, l'un vers l'autre. mangé tes cheveux, nez, joues, cannibale, il n'est plus rien resté.

alors bruits. échos. hors. tympans ailleurs. "Nu, j'avance nu. Dépouillé de mon ombre. J'voulais pas être un nombre. Je le suis devenu.” me manques dès que tu tournes coin de rue. suis tes lianes. suis toi. Dire, pas dire. Tu ne sais pas dire...

plus parler ; te regarder, toucher ! oui, toucher... presque tu parles onomatopées... suis effaré par... perdu mots… yeux…

silence alors. Chu…

Silence

En italique, hommage au poète parti.

Ce texte a été rédigé par Franck Queyraud dans le cadre des vases communicants. Vous pouvez le suivre sur son blog Flânerie quotidienne sur lequel il accueille aujourd’hui en échange mon texte Entre bruits.

Et voici la liste des autres participants à ces vases communicants de septembre :

G@rp et Quentin
Ana NB et François Bon
L'autre je et Mel 13
Jacques Bon et Daniel Bourrion
Louise Imagine et Pierre Ménard
Maryse Hache et Michel Brosseau
Danielle Masson et Camille Philibert-Rossignol
Caroline Gérard et Christopher Sélac
Cécile Portier et Piero Cohen-Hadria
Anne Savelli et Benoît Vincent
Guillaume Le Vot et Christophe Grossi
Josée Marcotte et Samuel Dixneuf
Christine Jeanney et Xavier Fisselier
Laurent Margantin et Francis Royo
Murièle Modély et Anna Jouy
Isabelle Pariente-Butterlin et Arnaud Maïsetti
Jean et Brigitte Célérier
François Bonneau et Wana Toctoumi

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  • 2.9.11

#petitehonte - 16

C’est se dire que c’est normal, biologique quoi. Que le derrière des gens rosit aussi quand on les fouette, que le sang leur monte à la tête quand ils sont face à leurs errances de langage, d’actes manqués ou derrière leurs désirs en fuite. Se dire qu’on est toujours le honteux de quelqu’un, le souffre-douleur d’un mot, d’un geste passés à travers.
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  • 2.9.11

#petitehonte - 15

C’est compter les petites hontes comme des trophées. Les comparer en intensité, se dire qu’avec le temps, on les esquive mieux, qu’elles ne tendent plus le ventre comme avant. Qu’on est grand maintenant, que la sagesse prévaut. Mais ne pas oublier les douloureuses, celles qui, même si elles ont fixé cafard dans le cœur, ne reverront plus jamais le jour. Que ces jours sont finis, terminés les jours du gosse aux petites hontes continues.
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  • 1.9.11