Libre ?

Libre. Arbitre. Jouer avec. Des mots, manipulation et sourires feints. Quelques mots égrenés pour dire ou ne pas dire. Car c’est là malaise de la communication moderne, faire croire que, émotionner le tout dans une solution aqueuse : veuillez shaker et dégustez lentement pour être inoculé !

Est-ce voir le mal à sa porte ? Le regarder en face, grande gueule ouverte sur l’impossible et pourtant y être attiré, se l’approprier pour le faire glisser et se le dénier. En conscience, être sûr que quelque chose cloche, pas en accord, en résistance mais y aller pour dissiper le doute, pour pouvoir légitimer des actes, pour suivre la folie parce qu’elle fait du bien, la folie, elle gargarise la vie en pleine bouche. Un grain, juste un grain en bouche, le faire rouler dans une tête flanquée sur des épaules droites. Là, las des principes, s’émanciper d’une éducation aux bornes figées par les sutures du temps qui lâchent

S’avancer, y croire, prendre le hasard d’une rencontre comme un fil de vie, un chemin aux balises troubles, mais un chemin encore. Sus aux embûches, rester droit dans ses bottes même si le caoutchouc sent des pieds.



  • 28.4.12

Il faut qu'on soit grands Norbert

Grand, beaucoup plus grand. Tu l’as entendu comme moi, n’est ce pas ? Il va être grand cette année. Pas comme l’autre, le sortant, celui qui y croit encore du haut de ses talonnettes. Alors il faut monter, trouver la hauteur, notre hauteur, ne pas se laisser distancer par le sommet d’un état alouette. Après tout, la France, c’est nous. C’est nous avant tout, c’est nous qui la décidons, qui la faisons dans le marbre de la république, sous les tableaux aux encadrements dorés. Alors, il faut qu’on soit grands Norbert, très grands, plus grands que.
Viens, grimpe avec moi qu’on l’attende ensemble !
Photo extraite (comme nombreuses de ce blog) du remarquable blog de Franck : http://fantomatik75.blogspot.fr/

  • 22.4.12

Tiens, je souffle

Alors que l’histoire s’étirait en filaments spongieux, alors que j’optais pour une lecture transversale, les mots qui composaient mon livre du soir sont tombés. Oh, pas en une seule fois, non, grain par grain, lettre à lettre, ils se sont fait la malle !

Il faut dire que depuis l’incipit, ils s’ennuyaient fermes. Les plus fringants ont renoncé face aux mots en laine qui crissent sous la dent et les allitérations poisseuses que l’on mâchonne freedent dans la bouche.

Ils ont rendu âme, au papier vierge.

Ils ont décroché comme j’ai décroché. Les mots, parfois ils filent sous les yeux car ils ne rentrent pas en bouche. Il se délayent dans le néant, se noient entre les lignes, louchent sur la page suivante en cherchant le sens qu’ils n’ont pas réussi à exprimer à la phrase précédente. Sont sauvages, ces mots.

Mais, cette fois-ci, jamais vu des mots aussi pluvieux, aussi pressés d’en finir. Délités dans la page, assoiffés de sens, sans dessus-dessous, ils ont chu. Un à un, la lettrine collée à la marge, le point cagneux et la virgule chagrine ont chaviré au delà de la couverture. Les syllabes en cavale et les voyelles consonantes, signe à signe et sans gesticulation inutile, ils ont fui le livre. 
Je les trouve plutôt courageux. Les voilà libres désormais de recomposer, de réaménager en « scrabblisant » l’ordre qui les rendra heureux, à nouveau à la conquête du sens. Et peut être, par un hasard habile, ils se retrouveront ensemble balancés de poésie. 

Tiens, je souffle.



  • 16.4.12

Et soudain le silence

Et soudain le silence. Là où on ne l’attendait pas, à l’endroit même où personne ne croyait qu’il put exister. La rue et ses ruades, le trottoir claquant des talons et l’avenue suante de carbone, la route et son bitume craquelé noir de bruit. Et pourtant, il est arrivé, sans prévenir, a barré la route de part en part. Deux plots de silence, un blanc, un rouge au travers de la route comme pour nous dire, à nous les bruyants, je m’installe ici, pour un temps, pour un rien, pour une paix éphémère.

Et nous dedans, autour, sur le pavé éberlués automobilistes devenus piétons. Marcheurs aveugles de bruit, sourd à la quiétude soudaine. L’endroit nous a changé d’espace, nous propulse désormais dans un irréel passage. Par un vortex imprévisible, il a plongé nos vies dans le calme et nous rappelle combien nous sommes le bruit, combien c'est nous qui causons le vacarme et non la rue, le trottoir, l’avenue, tous ces espaces vierges de bruit que l’on accuse de tous les tapages. La ville et ses nuisances. La ville et ses pollutions sonores. Elle ne possède rien, la ville, elle n’émet aucun son la ville quand on l'épargne de nos présences agitées, quand on la vide de nos déchets ronflants.

Demain, la rue, le trottoir, l’avenue redeviendront bruit, retourneront ancre dans nos vies, bruits réconfortants, identification du lieu par le bruit que nous générons malgré nous. Et soudain le silence ne sera plus et nous serons rassurés.

  • 15.4.12

Du haut du tabouret


Il descendait du tabouret comme s’il s’agissait d’une montagne. En rappel. La cordée arrimée au zinc se formait de bras aidants, petits piolets sécurisés pour maîtriser le vertige naissant. Des bras forts en maîtrise supportaient le poids de son corps imbibé. D’uns soutenaient les épaules, d’autres se portaient à la taille pour éviter que le tournis du vide ne prenne sa tête et ne fracasse sa carcasse dégingandé au sol, la tête explosée sur le parquet rocheux du troquet.

Il avait les yeux mi-clos et le râle facile. Des grognements anisés accompagnaient des gestes pâteux censés se débarrasser de l’aide inconvenante. Mouvements asynchrones qui n’arrivaient même pas à chasser les mouches. « Je vais y arriver, poussez-vous donc ! » grommelait-il ponctuant ses ruades verbales de petits rôts hoquetés. Et dans l’agacement son pied gauche glissait sur le barreau cerclé du tabouret, en va-et-vient, du talon aux bouts de ses sandales. Un faux mouvement et le rond de bois filait entre son pied et la semelle lisse de transpiration. Prisonnier de son joug, il se débattait dans un équilibre précaire pour retrouver appui et consistance. L’autre pied dans la même action errait en apesanteur formant des ronds dans le vide, le grand vide sous les hauteurs transalpines du tabouret. 

Une oscillation de bassin, infime mais brusque, et c’était la chute. La cordée braillait des « oh » et des « doucement, on va t’aider ! ». Des ricanements en échos résonnaient dans la salle, réflexion des hautes cimes, narguant l’intrépide buveur qui avait voulu s’attaquer au Mont Blanc de la biture.

Descendre, maintenant, il fallait descendre. Ou pas. « Patron, c’est la mienne ! »


  • 8.4.12

Calcaires #VasesCo par Anna Jouy



Crois-moi je le connais ce mur, comme de la peau flasque derrière laquelle dormiraient des algues et des désirs
Je le connais du bout du doigt, de la langue, de ce goût de salpêtre que me laissent la nuit, le froid et les briques, une à une cimentées entre nous
Mur qui dort, mur qui marche
Je n’entrerai nulle part, aucune faille pour mon lierre, pour l’affleurée essentielle
Il paraît que de l’autre côté il y a un jardin sans écaille où déambulent des poissons d’amour
La muraille de ton corps est faite des rubans de tous ceux qui en sont morts
Je vois l’épouvantail mitrailleur, le gardien à deux têtes
Je n’entrerai pas
Alors collée adhésive sangsue, je ventouse les pierres
Chaque caillou chaque gravier pour pénétrer ton secret
Parmi les montagnes, il en est sûrement une au col étroit, à l’utérus assoupli
Je glisserai entre toutes mes eaux patiemment cultivées.
Tu sais sans le savoir mon désir, le désir de vivre.
Dépouillée parfaite comme un œuf entre tes doigts
Tu finiras par m’accorder naissance.- Ose ton métier d’homme qui est de faire des femmes- !
Tu finiras, juste pour la magie je sais. -pour l’art me diras-tu
Et dans ma coquille neuve
je frapperai le mur, la prison où tu me laisseras mourir
sans doute
sans m’accorder le droit à mes oiseaux.

Anna Jouy

Plaisir d'accueillir aujourd'hui Anna Jouy du blog éponyme. Allez découvrir sa poésie tranchante et à fleur de peau.

Vous trouverez mon texte en échange ici enseveli et ici bien visible la liste des autres participants aux vases communicants d'avril toujours préparée par l’infatigable Brigitte.

  • 6.4.12

1601 - retour sur #VasesCommunicants

1601 jours quils sont partis. 1601. Jai compté chacun de ces jours, chacune de ces minutes, chacune de ces secondes pour en arriver à ce décompte imparfait. Et le 16/01 à 16h01, je me surpris à trouver juste cette numération : 1601. Ce chiffre si mal mené, si mal rond, si grand et si vide de sens se justifie par la coïncidence du temps. La date et lheure comme un témoin de plus à limpensable, limpossible, lirréelle réalité. 1601. Lincongruité du mal. Parce que cest bien de cela dont il sagit, quand je repense à cette suite humaine mise à plat sans aucune dimension, lorsque je me retrouve démuni et lâche pour mes aïeux devant cette fresque immortelle peuplée de vies éteintes.

Un passage dhistoire et des voix étouffées, un train - le 1601 Drancy-Buchenwald - et de la fumée qui pique les yeux, qui perfore la vue et lentendement comme les œillets qui crèvent leurs visages ignorants. Voilà en corps oubliés ce quil reste de Chamira à la longue popeline de velours, de Gad au costume clair seyant et à la moustache impeccable, de la vieille Emouna leur mère et belle mère bâtisseuse despoir. Suit leur descendance détourée de blanc, flanquée sur un mur comme une estafilade sur nos cœurs : Adam, Simon, fils de Chamira et Gad, et leurs épouses Gayil et Tsipia puis leurs enfants, petits-enfants aux prénoms oubliés parce que trop peu usités, trop neufs, trop peu ancrés dans la vie pour être mémorisés, trop vite partis. Une litanie de prénoms sans nom, car la famille nexiste plus depuis 1601 jours, depuis que le train de la mort a craché un épais voile de vapeur sur la vérité.
Texte écrit dans le cadre des vases communicants du mois de février chez Christine Czottele. Le prochain vase, ce sera vendredi avec Colette Maillard sur son site annajouy.ch tandis qu'elle investira le fut-il, la poésie tendue.
  • 4.4.12

Elle m'a dit vague

Elle m’a dit avec les yeux. Elle, l’insondable, au détour d’une vie dans un terrain vague. Elle m’a dit vague quelque chose d’indicible pour les trop-parlants, d’invisible pour les tout-voyants. Un œil pointé sur moi plutôt que sur le vide, c’était là, dans l’objectif de – quoi ? Je ne sais pas – pourtant dans mon objectif capturé. Et pour l’être (objectif), je ne suis pas sûr d’avoir tout saisi de ce noir pupilles, de ces yeux braqués sur moi, de ce rien qui dit tout, de ce « tu peux pas savoir » lancé avec fierté à moi, indigent bourgeois engoncé dans ma béatitude.

Et pourtant, elle est restée là un instant, prise dans le neutre, empêtrée dans mon regard qui en disait long sur mon désarroi. Passe, sembla-t-elle me dire, je ne te comprendrai pas, pas plus que tu ne me comprendras. Passe. Passe ton chemin, grand brun, mon acide te tente mais tu n’es pas de taille à me dévisager. Tu n’es pas des miens, passe et va raconter ce que tu as vu dans mes yeux, ce que tu vas sans vergogne propager sur moi et ma tribu, fonce te complaire dans ton confort et propage à qui veut l’entendre combien tu me trouves paumée. Fonce, vas-y !

Et je n’ai pas foncé, ni parlé, ni propagé quoi que ce soit parce que je n’ai pas compris. Je ne comprendrai jamais et ça, l’incompréhension, l’indétermination, le trouble ressenti m’ont permis de saisir bien plus que la vie qui se traine dans ce regard noir, fixe et lourd, bien plus que le stéréotype que j’aurai pu facilement en déduire et disperser ad libitum. J’ai appris, et ce que j’ai saisi c’est qu’il ne fallait surtout pas saisir, pas essayer de comprendre, juste regarder et apprécier la blondeur et la pureté du visage, le souffle de vie qui pointe dans ses yeux massues, la douceur qui – paradoxe – en émane. Et passant mon chemin comme elle le souhaitait plein du discernement de ne pas discerner, j’ai évité le jugement facile et le truisme ordinaire.

Illustration : Mike Brodie

  • 1.4.12