Bleu du fond

Malgré la fatigue des gestes,
les renoncements mal assumés,
le désarroi qui parfois affleure,
ne pas toucher le bleu du fond.

Faire avec les fissures de l'âme
comme si on reprisait nos frusques,
chercher l'aiguille dans la botte,
ne pas avoir peur d'espérer.

2019
  • 24.7.25

Kif-kif

On commence une discussion puis on regarde ailleurs.
 
Par la fenêtre, une ombre sur le mur comme une aile.
 
Il s’agit de savoir si l’on dit Kiev ou Kyiv.
 
Ou si sur le mur la guerre avance.
 
C’est kif-kif, dans nos têtes que du bruit.
  • 2.3.22

Mardi Gras

Mardi Gras sur un banc en face des bureaux, un pigeon finit un reste de sandwich américain.

Mardi Gras dans les bureaux, nous sommes restés masqués pour l’occasion.

Mardi Gras et le pigeon un peu plus gros s’envole tandis que tombe un peu de confiture sur mes souliers.

  • 1.3.22

Son lot d'espadrilles et de bermudas

15h50
 
L’été a apporté son lot d’espadrilles et de bermudas sous les bureaux. On entend les orteils craquer au bout des jambes allongées sur des cartons de ramettes de papiers à imprimante. (Ils font de très bons repose-pieds pour le travailleur fatigué.)
On sifflerait presque des airs entraînants, quelques tubes des étés précédents pour nous apporter un peu de Monoï dans les narines. Mais l’heure est davantage à la micro-sieste où chacun s’évade vers sa destination préférée. Les paupières clignent puis se ferment, cachées par la paume de la main qui s’ancre sous nos fronts comme si nous étions soudain plongés dans une grande réflexion.
Pendant une petite heure suspendue, on fera mine de ne pas entendre les lourdes respirations que personne n’ose vraiment nommer ronflements. 

  • 6.7.21

Ligne de fuite

13h20

Tu remarques le bruit lancinant de la climatisation qui revient comme un marronnier de saison. Cette ligne de fuite dans nos oreilles, ligne de basse qui accompagne nos doigts sur les claviers. 
Hier encore, elle n’existait pas. Hier encore, premier jour de grosse chaleur et au démarrage la machine a eu des ratés. Un petit chaos comme chaque année, la climatisation ne fonctionne pas. Grosse chaleur dans nos dos. Et réunion au sommet au milieu des bureaux. Dix personnes, dix cadres qui discutent pendant une heure de la chaleur, des solutions à échafauder pour rafraîchir la pièce. Sinon la grève, sinon on dévisse. Ça menace. Ça va être chaud. La température sociale suit la montée du mercure. 
Alors est appelée à la rescousse une armée de techniciens en blouse blanche. Clim de fortune à bout de bras avec gros tuyaux d’évacuation à poster devant les fenêtres. Faire sortir leur nez dans l’entrebâillement qu’il faudra ensuite bâillonner de bâches plastiques afin que l’air chaud ne remonte pas vers nous.
Nous, nos figures défaites, peaux allongées et flasques de sueur, regardons stupéfaits le ballet des exécutants et le monde des penseurs qui s’agglutinent ajoutant du bavardage à la chaleur. 
Mais aujourd’hui 13h20, tu remarques le bruit lancinant de la climatisation qui revient, ligne de fuite, ligne de basse. On est bien.
Ailleurs, les cadres remplissent leur déclaration d’incident. 

  • 19.6.21

Les corps se tordent

16h04
 
Les corps se tordent sur les chaises,
chacun cherche à dompter son inconfort.

Les voix montent puis redescendent,
les torses dans le même mouvement.

On attend l’incident la rupture
qui va délier nos gestes.
  • 9.6.21

Si on était bons

15h55
 
La journée a des couleurs changeantes. Le soleil court autour de la pièce comme s’il voulait tour à tour poser son faisceau sur un poste, une personne, un écran. Chacun a droit à son problème de réverbération, puis de scintillement de l’écran à l’œil, de l’œil à l’écran.
Gloire à mon collègue d’en face que la lumière aiguë coiffe d’une sorte d’auréole juste au moment où, agacé par une erreur de production qui lui saute aux yeux, il se lève d’un seul bond. Mi-ange, mi-démon, du sang sous les paupières, les bras levés au-dessus des bureaux, il souffle sa colère à toute l’équipe surprise par sa saute d’humeur.
Le ciel bascule, l’ombre mange la lumière, les têtes plongent sous les écrans et on entend monter depuis une autre pièce attenante une voix sereine et claire : « Du calme, si on était bons, on ne serait pas là. »
  • 9.6.21

Parution de « Les heures creusent » aux @EditionsDuCygne

Heureux de vous annoncer la parution de mon nouveau recueil aux éditions du Cygne : Les heures creusent.

Si on le retourne, on peut lire :

« Les heures creusent : ce sont des heures de veille dans un open-space dédié à la supervision du trafic et à l’information des voyageurs pour une grande entreprise de transport. Le temps passe lentement au rythme des départs, des arrivées et des retards. Les bureaux agencés en cercle constituent le plateau d’employés et tout autour, les pensées de chacun s’entrechoquent, quelque part, ailleurs. Les heures creusent ici le poème pour tenter de restituer ces errances »

Le livre est disponible en commande auprès de votre libraire préféré ou chez l'éditeur ici > http://editionsducygne.com/editions-du-cygne-heures-creusent.html
 
74 pages au format 13 x 20 cm broché

ISBN : 978-2-84924-648-1 - 12,00 euros




 
  • 18.3.21