10 minutes, sur trois bancs

Trois bancs au soleil 
Un homme sourit à son téléphone et parle fort
Deux jeunes filles : 
Une lit, l’autre sourit aussi à son miroir mais se tait
Un couple d’amoureux : 
Lui étendu sur ses genoux à elle
Lui gratte les joues  
Lui fait les points noirs
Le soleil luit, descend puis remonte, sourit, se tait
Presque noir
Trois bancs avant l’orage

  • 29.4.23

Lente observation

Il n’y a qu’une lente observation qui permet de voir ce que dessine le ciel à travers la fenêtre. J’y suis derrière, en poste comme consigné de force. Je prends mon quart pour tenir entier le reste de la journée. Là, avant les bruits, je regarde les éléments qui se présentent. Parfois, rien. 
Mais aujourd’hui, une ombre joue des arabesques sur le mur d’en face. Née du réverbère qui regarde fier le jour avant de s’éteindre et du balancement d’un fil électrique orphelin, elle donne une seconde vie sur le paysage de théâtre que m’offre le mur naissant. Je n’ai plus qu’à l’observer danser. Lentement.
  • 27.4.23

Les choses simples

Là à chercher les choses simples dans le jour finissant
On descend de la pluie par les chéneaux, quelques gouttes 
À peine, le temps de se demander qui est ce « On »
Que s’oublie l’intention, le plus simple se dérobe
Reste le temps sous les toits et aux murs cet écoulement d’entonnoir
  • 25.4.23

Le peu ou le trop

je marche avec une enfance peu sûre
mes pas sur le gravier garde le souvenir
des poursuites sous les préaux

j’avance avec le souvenir du manque
le peu ou le trop 
tout ce qui pour moi pèse
pour les autres n’est que caprice
frustration d’enfant gâté

pour un peu je tape des pieds
je marche pour qui tire le maillot
me poursuive jusque sous les préaux
  • 23.4.23

Elle vient et revient

Elle vient et revient sur le balcon. Craignant le crachin d’avril, avant de s’asseoir, elle regarde le ciel, fait une moue et s’installe. Sur son dos, une couverture en guise de bâche. Elle se recroqueville dans son espace réduit comme on se blottirait au fond d’un puits. Je ne vois que son dos, lignes courbes d’une petite montagne de duvet bleu. Posée sur le balconnet, son territoire à tabac et à téléphone, elle porte la voix jusqu’à l’appareil, fume, respire. Je sais qu’elle respire parce que la montagne bouge, vaguelettes de son cou jusqu’au bas du dos, poussées par le vent quand il crache ou les vibrations de sa voix qu’elle a, en alternance, aussi douce et violente qu’un temps d’avril.
  • 22.4.23

La nuit n’a pas suffi

La nuit n’a pas suffi, je cherche le poème 
À lire qui dirait la fatigue étalée sur la table
Le rai de soleil complexe qui cogne à la vitre 
Je plie les pensées aligne trie croise toise 
Me viennent des verbes sans conjugaison 
Les mots n’ouvrent rien, la nuit n’a pas suffi
  • 19.4.23

Parfois une ombre

Parfois une ombre suggère un souvenir. Ça arrive quand on s’y attend le moins. L’ombre de la branche de cet arbre par exemple danse exactement comme ma mère quand elle entendait Julio Iglesias à la télé, le samedi soir dans les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier. Son micro argenté avec des paillettes qui agaçaient l’iris, sa drôle de façon de tordre la bouche et son coup de nuque vers le haut qui ne suggérait pas le souvenir mais bien un coup de reins. Parfois l’ombre d’une branche sur un mur et c’est maman qui à nouveau se déhanche, discrètement émoustillée par le crooner espagnol. Le tombeur de ces dames est là, dans cet arbre avec toute sa sève. Maman danse. Parfois une ombre.
  • 17.4.23

Je n’ai plus de corps

Je n’ai plus de corps. Je me suis réveillé avec ça, ce matin. Ou plutôt sans ça. Sans le corps ni l’odeur. Mais j’ai gardé ma tête. Montée sur un mât, elle ressemble à ces têtes rétrécies par quelque tribu primitive, sur un mât et plantée dans la terre en haut d’une colline. Le soir descend alors qu’il n’est que sept heures. La colline est brune, un chien aboie ; quelques nuages gris, une odeur de brûlé à la place des émanations naturelles et un vent froid qui ne prend plus mon corps puisque disparu mais me siffle dans les oreilles. Je n’ai plus de corps. Je me suis réveillé avec ça, ce matin. Se recoucher.
  • 15.4.23

Les choses tremblent

Ce matin les choses tremblent sur la table
La tasse de café a peur du livre qui s’ouvre 
Le livre de la main la main du livre je bois 
Quelques mots de la nuit avant de les oublier 
Les choses tremblent ne rien y chercher d’autre
  • 14.4.23

Me prend ces temps-ci

Me prend ces temps-ci 
D’aller par les rues la nuit 
Voir si j’y suis – d’abord 
Puis si j’y peux prendre l’aube de vitesse
Je ne cours pas je marche 
Je ralentis puis j’accélère je la feinte
Un jour je l’aurai 
Ce qui doit me donner une drôle d’allure
À qui de sa fenêtre 
Ces temps-ci dans la nuit 
Voit ce vieux – d’abord 
Tous les jours avant l’aube  
Sur le trottoir s’envoyer promener
  • 11.4.23

La dame au cinéma

Hier après-midi, la dame au cinéma qui se déplace d’un siège puis d’un autre au fur et à mesure qu’une nouvelle personne s’installe au rang précédent juste devant elle parce que, me dit-elle, je ne vois pas l’écran, je suis petite et le monde est peuplé de grandes personnes à grosses têtes ; 
cette dame qui, dans ses déplacements, fait suivre toutes ses affaires du siège d’à-coté au nouveau siège d’à-coté, ses vêtements - manteau, chaussures qu’elle a enlevées et posées entre les bonbons et le magazine des sorties (j’ai les pieds qui gonflent) puis pull qu’elle remettra en se levant en plein milieu du film parce qu’il fait frais dans ce cinéma quand même, c’est encore trop tôt pour mettre la clim à fond, non, vous ne trouvez pas ? – mais aussi une petite collation avec bouteille de coca en plastique qui, une fois qu’elle l’aura bue, fera craquer entre ses doigts au trois-quarts du film, pile au moment où l’intrigue tend le suspense à son maximum, masquant ainsi l’un des dialogues les plus importants ;
cette dame, eh bien, j’en aurai bien fait Mon Crime.
  • 9.4.23

Douleur et bateau

Le jour naissant porte une vieille douleur
Entre deux nuages l’esquisse d’un bateau
Perdu comme je le suis dans un songe
Ou alors est-ce un rêve : douleur et bateau
Je cherche le signifiant, ce que tient mon regard 
Lourd sous les signes opaques du matin
  • 7.4.23

Comme on retrousse une chaussette

Elle est sortie en trombes et à chaudes larmes. Son visage a tourné sur lui-même comme on retrousse une chaussette. Elle a évacué tout ce qu’elle ne pouvait plus tenir dans un si petit corps. Elle a choisi le balcon pour une série de sanglots longs, d’abord retenus puis lâchés à la rue et à ma fenêtre. Ça a duré, respiration et haut-le-cœur se sont enchaînés la secouant mais lui donnant aussi force et élan pour les pleurs suivants. Ça a duré. Elle a fait de la peine à tout le quartier. Ça va ? Elle m’a vu démuni fixer son regard enflé par le chagrin. N’y tenant plus, la honte l’a rentrée chez elle comme par effraction. La femme au balcon a pleuré ce soir, beaucoup.
  • 6.4.23

La rue est à la nuit

La rue est à la nuit, occupé à regarder 
Sur ses bords ce qui dépasse de lumière
Il me semble pénétrer des choses lointaines
Qui n’existent que parce qu’à moi s’opposent
Les unes se retrouvant dans les autres  
Gigognes de l’aussi vieux que merveilleux
Jeu d’ombres et de lumières
La nuit est à la rue, je peux vivre un peu
  • 5.4.23

J’habite un orage

J’habite un orage avec à l’intérieur des bouts de silence. Quand le vent pousse, ils se transforment en bâtons. Ce qui ne se dit pas ne peut déclencher d’orage. Quelques bourrasques et la nuit passe et le jour passe. On est demain. N’y pensons plus. Rangeons les bâtons. Sachons garder nos orages pour plus tard. Pour jamais.
  • 3.4.23

La boucle de nuit

La boucle de nuit, la poésie me sauvera
Bientôt de la mélancolie, déjà elle court entre les pieds
S’agace des petites léthargies bloquées dans les yeux 
Les heures tournent autour de la lampe, la poésie sauve 
Les meubles et donne consistance aux formes, les heures refont
  • 1.4.23