J’ai somnolé quelques heures sur le canapé. Un canapé confortable en cuir vert à la large assise mordue et aux accoudoirs renfrognés. Juste quelques heures à attendre son retour et m’est revenu le jour où nous l’avions choisi avec ma future belle-mère, ce devait être notre cadeau de mariage. Un vaste hall chez le commerçant comme si tous les salons bourgeois s’étaient donnés rendez-vous au même endroit. Des univers figés dans un espace parodié, deux fauteuils, un sofa, une table basse et la promesse d’un bonheur infini dans un doux et tranquille foyer. Après avoir testé plusieurs cuirs, nous avions choisi la couleur de l’espoir et la peau retournée au toucher velours : le nubuck vert. Ce cuir déjà élimé au papier de verre allait être le symbole d’un couple et de sa lente érosion.
Allongé, la tête sur l'accotoir noirci, j’ai revu un instant nos deux corps enlacés en chien de fusil, un plaid sur nos jambes à regarder quelques inepties à la télévision. Ces même deux corps dans des prises de fièvre amoureuse pour une « petite vite » dans le salon quand les enfants enfin s’étaient endormis. Ce même canapé déménagé trois fois, raclant les murs du vieil appartement pour s’installer souverain dans la nouvelle maison ensoleillé. Les amis, les rires, les interminables discussions où l’on refait le monde autour d’un copieux apéritif et toujours le canapé pour accueillir les plus imbibés et leur nuit de sommeil éthylique.
Douze ans d’un canapé qui a partagé notre vie, qui a amorti plus d’une fois nos chutes jusqu’au jour où nos trois enfants, sagement assis sur le nubuck vert, nous ont écouté leur annoncer notre séparation. J’avais gardé de ce salon un fauteuil aujourd’hui mis au rebut. Le canapé, lui, est toujours là dans la maison de mes enfants. Il continue sa vie sans moi avec bien d’autres souvenirs enfouis sous les coussins.
- 31.10.10