Quoi qu'il en soit

Quoi qu’il en soit du monde
toujours l’oeil revient au rêve.

Une aigrette dans les cheveux
étourdit le bruit des bottes.

Le sourire d’un enfant
allège le poids des valises.

Quoi qu’il en soit du monde,
la légèreté de l’oiseau dans l’oeil.
  • 28.4.18

Réponse

L’ombre tient dans son châle
l’ignorance des lendemains.

Un doigt se lève pour solliciter
une lumière – mais à qui ?

Seul maître le temps dépense,
le doigt retombe, l’ombre se retire.

Il n’y a de réponses qu’à l’aune
des rendez-vous manqués.
  • 27.4.18

Extrait de « Sept variations sur le même thème » paru aux éditions La Centaurée

N’oublie pas la blessure. Le pansement ne cache rien. Dans la plaie résiste une peur que tu ne peux soigner. L’onguent du temps ne soulage rien. La douleur passe à travers la peau malgré l’oubli des peines. Elle est têtue, purulence d’un destin caillé dans notre for intérieur. Sur nos corps affaiblis, au matin des sirènes hurlantes lorsque nous vient l’idée de réformer le monde, elle se gorge de son propre pus. La blessure explose aussi résolue que le regain d’une tumeur – pleine et ardente, à vicier nos vies.

Extrait de Sept variations sur le même thème, recueil accompagné des encres de Valérie Ghévart, paru aux éditions La Centaurée.
  • 26.4.18

Vieux ticket

Peu à peu, la rue était devenue excessivement uniforme. Les trottoirs luisant aussi forts que les néons des lampadaires les éclairaient, plus aucune ombre n’apparaissait, plus aucun halo de lumière ne tombait dans la rue. Une couleur jaune et linéaire se répandait tout le long des pâtés de maisons. On aurait dit qu’un grand linceul usé recouvrait le corps de la rue pour en masquer le moindre défaut de nivellement et faire disparaitre toute obstruction qui aurait pu se glisser entre ses arcanes et le regard qu’on lui portait. Pourtant, les habitations bien rangées étaient toujours là. On les distinguait grâce à leurs toits qui se détachaient du paysage homogénéisé de la rue. Ils faisaient office de repères afin que l'on puisse retrouver son adresse. C’étaient des toitures aux couleurs criardes arrachées à un jeu de Lego dont une des tuiles rectangulaires arborait un numéro qui, par un système de rétro-éclairage ingénieux, se répercutait sur le pas des portes. La rue était devenue une large bande d’un jaune passé sur laquelle on avait affiché des nombres dans un ordre décimal impeccable. Finalement, la rue ressemblait à un gigantesque vieux ticket de loto où chacun tentait encore sa chance.

  • 23.4.18

On pourrait encore avoir faim

La nuit à peine dégagée
que déjà le ciel flamboie.

Où sont passés les chiens galeux
qui hurlaient nos petites morts ?

Les voisins pleins de sommeil
écartent le soleil des balcons.

On pourrait encore avoir faim
que personne ne le remarquerait.

  • 21.4.18

Trop court

Il suffirait d’un pas plus long
pour dépasser les limites,

sortir de la logique torturée,
dégager la part de misère aimée.

Il suffirait d’un rien pour qu’enfin
explose la joie neuve de l’enjambée,

s’échappe la foulée ordinaire
mais le sursaut a des jambes trop courtes.

  • 18.4.18

Éphélides

La rue est un corps auquel s’agrippe le tumulte de la ville. Un corps couvert d’ombres aussi fines que des particules de fumée. On déambule en croisant ces points microscopiques et sombres qui s’arriment à nos peaux comme des éphélides. Au loin, on sait quelqu’un souffler des mots en forme de comptines salaces qui traversent la rousseur du ciel, qui flottent au-dessus des arbres le long desquels on chemine sans crainte. Rien ne nous protège de ses attaques continuelles, de ses chants fusant dans l’air comme des balles et étalant à grands jets invisibles la souillure originelle. La rue est un corps atteint d’une maladie d’enfance incurable.

  • 15.4.18

Retourner au rêve

Du sable sous les yeux,
un reste de nuit crisse
en rabattant le drap du jour.

On entend le ciel monter
sur son échafaudage
la voix serrée d’un enfant

Un linge humide passé
sur les paupières suffirait
pour retourner au rêve.

  • 13.4.18

Enfants de la rue

Il y a encore dans la rue des histoires d’enfants que l’on se raconte entre grandes personnes. Des légendes qui traversent le temps et la rue. On les voit courir parfois comme des feux follets entre les pavés disposés là comme des tombes. Elles changent de peau, grossissent ou font semblant de mourir pour mieux renaître. Des histoires qui se disent millénaires, bombant leur torse dans la bouche de certains, perdant leur jus et leur sens pour d’autres qui les passent au moulin à paroles. Chacun y va de la sienne : du voisin bizarre à l’étranger dangereux, du passant au regard de meurtrier au chien maigre et inquiétant qui rôde sur les trottoirs, de la vieille dame acariâtre avec son missel de malheurs au poivrot détraqué assis en tailleur près d’une porte cochère. Des histoires et des fables que l’on se transmet de génération en génération, dont les personnages semblent interchangeables, dont les chutes sont tour à tour défaites et reconstruites par la langue qui évolue. Une langue bien pendue qui dans la rue ressasse et plie des anecdotes pour en faire des contes qu’une fois rentrés dans leur maison, les gens s’efforceront de rendre vivants, comme si nous étions encore des enfants de la rue.

  • 11.4.18

Clown triste

Il faudrait tendre un fil
entre les épaules du ciel,
s’y suspendre par les pieds.

Pouvoir y jouer funambule,
clown triste en goguette,
dessoûler de ses idées noires.

Mais pas de ligne disponible,
toutes encombrées qu’elles sont
par des oiseaux sans âme.

  • 9.4.18

Rabattre

Une peur s’ouvre se ferme,
paupière sur l’œil de la mer.

À cette idée dans le vent,
rabattre vite le caquet.

Avant que ne fore la vague,
il faudra cligner des yeux.

  • 7.4.18

Accident de mouches

On attend qu’un oiseau s’étourdisse
d’un accident de mouches pour en faire

le constat à l’amiable entre soi et soi,
sans jugement de valeur sur le drame.

Puis, une mouche chassant l’autre,
lentement on passe à un autre oiseau.

  • 4.4.18

Inconsolés

Derrière l’horizon, la rue approche avec son lot d’inconsolés, têtes basses. La rue, cet espace non protégé où l’homme, toujours aux aguets, tire sur le quotidien comme on souffle sur des braises. Sans cesse il alimente le feu de la marche. Parie sur son équilibre précaire, défie la peur de tomber. Prie pour que ce qui lui permet d’être debout, lui l’étrange bipède, tienne encore un peu tandis que la rue avance avec son convoi d’imprévus, de masques sous l’ombre, de lumières trop crues, de vertiges aux épaules larges, de pensées bizarres, de craintes irraisonnées face à tous ses voyages aléatoires. Il marche sans trêve dans la rue qui approche, vers ce véritable monstre aux dents rentrées, au corps irrigué de pulsions imprévisibles. Il continue de croire que la rue nous maintient ensemble, nous les passants anonymes, nous les marcheurs invétérés, nous les éternels inconsolés, qu’elle nous contient dans un groupe qu’il nomme encore société. 

  • 3.4.18

L'écume du soir

La main du vent secoue le rideau
comme une page tendue vers toi.

Une ombre et son souffle passent
un baume sur les plaies vives.

Tu vides un corps de trop de soif ;
malgré l’usure, voilà l’écume du soir.

  • 1.4.18