Chère application - 30 juillet

Chère application,

Samedi 30 juillet. Les voisins du dessus m’ont laissé un petit mot sur la poignée de la porte. J’ouvre, il tombe. Ils m’informent de petits travaux qu’ils vont effectuer dans leur cuisine et s’excusent par avance de la gêne que cela pourra occasionner. Une semaine que le papillon a été déposé et je n’ai toujours rien entendu. 

Samedi 30 juillet. S’excuser pour la nuisance que l’on peut procurer à autrui, c’est de bon aloi. Mais il ne suffit pas d’avertir, il faut passer à l’acte. Ce matin, n’y tenant plus, j’ai rédigé ce petit mot que j’ai déposé soigneusement sur la poignée de leur porte :
« Chers voisins,
Vous m’avez informé de votre intention d’effectuer des travaux dans votre cuisine et des nuisances qui pourraient en découler pour mon confort auditif. Il se trouve que cela fait exactement huit jours que cette missive m’est parvenue et, à date, aucun bruit n’est arrivé jusqu’à moi. Aucun coup de perceuse, ni de marteau. À ma connaissance aucun déplacement de meubles intempestif, pas plus que de raclements sur les murs ou bruits de plâtre qui tombe. 
Donc, comme vous avez su m’informer, il faudrait maintenant se mettre au boulot parce que moi, j’attends. Et cette attente est insupportable. J’espère que vous comprendrez l’anxiété que cela me procure et que vous ferez en sorte que les travaux débutent comme vous me l’avez annoncé. 
Dans cette attente, je vous prie d’agréer, madame, monsieur, ma plus sincère sympathie de voisinage. 
Christophe Sanchez »

Samedi 30 juillet. 
PS : De plus, je n’ai croisé aucun artisan dans l’escalier de l’immeuble. Il faut arrêter de prendre les gens pour des imbéciles. 

À demain, chère application.
  • 30.7.22

Chère application - 29 juillet

Chère application,

Vendredi 29 juillet. Est-ce parce qu’il fait gris aujourd’hui ou que la fin de semaine apporte son lot de fatigue. Je ne sais pas. Mais par la fenêtre ce sont des visages anciens qui viennent remplacer la vue sur les murs voisins. 
Je tourne à la nostalgie, je lèche les ombres. Un drap blanc étendu entre les fenêtres fait défiler des images. C’est cinéma pour rien. Des bandes annonces de la mémoire, mille fois vues. 

Vendredi 29 juillet. J’aime quand même les revoir. Ce sont mes fantômes avec leur lot de fatigue, leurs jours gris. Il me semble entendre des rires dans la rue. Des gens regardent le drap blanc, se moquent de mes images. Mais non, il n’y a que moi qui les vois. Je le sais bien. Je replie le drap bien serré et le remets dans l’armoire, dernière pile en haut, à côté du bonheur. 

Vendredi 29 juillet. 
Bientôt huit heures
aucun bruit de travaux dans la rue
c’est gentil d’avoir attendu
la fin de la séance. 

À demain, chère application.
  • 29.7.22

Chère application - 28 juillet

Chère application,

Jeudi 28 juillet. L’orage est passé cette nuit. Par un trou de souris, il s’est glissé soulevant le ciel et les montagnes. Ce matin, je n’entends que des gouttes qui tombent comme échappées d’un robinet qui fuit. Il n’y a pas vraiment eu d’orage. Juste une percée dans un rêve. 

Jeudi 28 juillet. Je descends des escaliers aussi longs qu’un train de marchandises en rase campagne. Ils n’en finissent pas. Je n’arriverai jamais en bas. 
L’orage et les escaliers sont des leurres. Des espoirs de pluie et d’échappatoires. Je tiens le matin dans la main, le jour dans mes yeux. Je ne vais pas interpréter plus avant le rêve. Je le laisse s’écouler goutte à goutte. 

Jeudi 28 juillet. 
Les pensées se croisent 
s’évacuent se singent  
et le train file à travers la plaine. 

À demain, chère application.
  • 28.7.22

Chère application - 27 juillet

Chère application,

Mercredi 27 juillet. Connais-tu Fabienne Swiatly ? Si ce n’est pas le cas, je t’invite à aller fureter du clic sur son blog La trace bleue https://latracebleue.net ou alors tu peux fouiller sur Facebook, tu la trouveras. 
Hier, elle écrivait son dernier texte de la série Caboulotte. Contraction de cabane et roulotte. Endroit où elle vient de passer quelques mois durant lesquels elle a retracé (en bleu) sa vie dans cette aire naturelle, sorte de camping autogéré par 18 personnes. Ça parle d’écriture forcément, mais aussi communauté et solitude, arts et culture, poésie et amitiés…

Mercredi 27 juillet. Elle part de la caboulotte pour un road-trip en fourgon équipé pour le jour et la nuit qu’elle a surnommé Mon chéri. Une nouvelle série va s’ouvrir pour le plus grand bonheur de ses lecteurs. 
J’ai évidemment pensé à Cortàzar et Dunlop partis sur l’autoroute dans les années 80 dans leur combi baptisé Fafner. Le livre « Les autonautes de la cosmoroute », mon livre fétiche, qui parle si bien du voyage, de l’amour, de la littérature et qui m’accompagna si bien lors de mon périple autour de la France en 2015. Il en reste quelques traces ici : https://www.fut-il.net/search/label/TFV

Mercredi 27 juillet. 
Si je n’étais pas devenu
si paresseux je repartirais bien
comme ça à l’aventure
avec l’écriture comme compagne. 

À demain, chère application.
  • 27.7.22

Chère application - 26 juillet

Chère application,

Mardi 26 juillet. Le sifflement de la machine me réveille. C’est une ligne dans le petit matin qui traverse la ville. Tout le monde l’entend et la fait sienne. C’est un La ou bien une autre note, je ne sais pas. Dans tous les cas, on est sur sa portée. À cheval sur le fil qu’elle tend entre nous. 

Mardi 26 juillet. Tenir la note. Se lever et savoir que tout le jour il faudra la suivre. Tenir bon dans la représentation de soi. Au travail, entre collègues. Se hisser au niveau du visage que l’on a façonné aux yeux des autres. Se le figurer simplement car on ne connaît pas vraiment le reflet du miroir. Suivre le sifflement de la machine. Être la machine. 

Mardi 26 juillet. 
La ligne des travaux 
revient dans la rue. 
On en finit pas de percer. 

À demain, chère application.
  • 26.7.22

Chère application - 25 juillet

Chère application,

Lundi 25 juillet. Le café est trop chaud. Il me brûle les lèvres. La nuit remue encore. J’en vois des morceaux tombés dans la rue. Le matin a du mal à étirer les bras, coincé qu’il est entre deux pensées pas très claires. 
Je remue. Lentement. 

Lundi 25 juillet. Je reprends le travail aujourd’hui. Va falloir nettoyer tout ça. Pousser la nuit, empêcher les mouvements trop brusques. Je finis mon café, il a un goût de pluie qui ne vient pas. Il est sec et âpre, prompt à me réveiller.
Je le remue. Lentement. 

Lundi 25 juillet. 
Le jour plante les coudes
sur la table basse. 
Accroupi il me sourit 
avec ses dents jaunes. 

À demain, chère application.
  • 25.7.22

La femme au balcon LVIII

Ce midi, c’est haricots verts et nuggets. Repas que va préparer la femme au balcon. Ses enfants sont contents. Plus pour les nuggets que pour les haricots verts, j’imagine. D’ailleurs, D. (D. c’est la petite fille) exulte. Elle court dans l’appartement, s’enfourche dans les jambes de sa mère. D. va t’asseoir, maman prépare à manger ! D. n’en fait rien et continue de tourner en criant « Des nuggets ! Des nuggets ! ».
Le micro-ondes sonne. Ding ! Les haricots verts sont réchauffés. Mais ce sera pâtes à la place des nuggets. Je ne peux réprimer ma déception et sors sur le balcon : « Ah non ! T’avais dit des nuggets ! ».
  • 24.7.22

Chère application - 24 juillet

Chère application,

Dimanche 24 juillet. J’ai trop pris le soleil. Ma tête et mon corps me le disent. Lâche ce soleil qui t’embrouille l’esprit ! Les idées se ramassent là-dedans, cherchent une sortie. Rester sur la plage quelques heures forme un effet de serre dans les entrailles. Ce n’est qu’un coup. Un coup de soleil que j’ai attrapé. Maintenant, faut le lâcher. 

Dimanche 24 juillet. Un air déjà lourd danse sur le balcon. Ma voisine sort imbibée du soleil de la veille mais aussi d’alcool. Je le sens d’ici. Son haleine plane jusqu’à moi, se mélange à l’air lourd. Hier soir, c’était la fête chez elle. Amitiés débridées sur balcon ouvert. Apéritif dînatoire puis vespéral puis apéritif de toute la nuit. Personne n’a mangé. Un coup de chaud qu’ils ont attrapé. Maintenant, la femme au balcon tente de le lâcher. 

Dimanche 24 juillet. 
J’ai attrapé un coup de soleil
un coup de labour 
un coup de j’te jette 
J’sais pas comment 
(Christophe Cocciante)

À demain, chère application.
  • 24.7.22

Chère application - 23 juillet

Chère application,

Samedi 23 juillet. La ville est en roue libre, une sorte de sommeil l’entoure. Tout semble sourd. Mais si on tend l’oreille, il y a bien des bruits lointains qui la tiennent éveillée malgré sa somnolence : raclement du tram sur les rails, ronronnement des moteurs de climatisation, claquement de volets et là, à l’instant, des pas sur le pavé : cliquetis des talons d’une femme. 

Samedi 23 juillet. Rapide, sec, léger, aigu. La femme joue des claquettes dans le matin vide. La femme est un talon aiguille, accompagnée de ce que j’imagine être un sac à mains à bandoulière. Dans la cadence de ses pas, il joue le métronome en claquant sur ses jambes. Un bruit mat tous les deux trois pas. Clic clic clic poum clic clic clic poum. La ville ne dort jamais. 

Samedi 23 juillet. 
Une douleur accompagne
la dame au cliquetis. 
Son pas est trop rapide 
pour être tranquille. 

À demain, chère application.
  • 23.7.22

Chère application - 22 juillet

Chère application,

Vendredi 22 juillet. J’ai rêvé de vent cette nuit. D’un vent puissant qui balayait tout. Les gens s’accrochaient aux réverbères, ballottés comme des drapeaux. Les voitures ne pouvaient plus circuler, les avions décoller, les trains sur les voies ne tenaient plus. C’était le chaos. 

Vendredi 22 juillet. J’ai rêvé de vent cette nuit. D’un vent puissant qui arrachait les arbres, démontait les toits. On ne pouvait plus sortir ou alors avec un harnachement d’alpiniste : cordes, piolets, casque… On suivait les murs en cordées pour ne pas s’envoler. Les autorités étaient dépassées. Des filets au bout des rues avaient été installés pour retenir les imprudents. Un conseil de défense était programmé pour le début de la semaine prochaine. C’était le chaos. 

Vendredi 22 juillet. 
Ce soir il faudra 
que je pense à éteindre
le ventilateur 
avant d’aller me coucher. 

À demain, chère application.
  • 22.7.22

Chère application - 21 juillet

Chère application,

Jeudi 21 juillet. Les travaux dans la rue s’éloignent comme une bête fatiguée. Je n’entends plus que le râle d’un camion et le remuement au ralenti d’une pelle mécanique. 
La chaleur aussi part lentement. Elle laisse éclater quelques spasmes sur le bitume chaud. Ploc. 

Jeudi 21 juillet. J’ai revu hier un chemin que j’empruntais enfant. Fait de grosses pierres blanches et d’arbres aujourd’hui fatigués. Il s’éloigne dans ma mémoire au fur et à mesure que j’avance. Il ne se ressemble plus. À mon bras, ma mère avec les gestes lents d’une pelle mécanique. La marche difficile et la parole brouillonne. Le chemin n’a pas de nom mais il nous ressemble. 
J’ai lu en rentrant un texte de Pierre Carrive. Un texte avec une route qui pourrait être ce chemin. 

Jeudi 21 juillet. 
«  …/… Sur ce plateau, le vent semble y habiter, les vaches ont une magnifique robe brune et des cornes impressionnantes, les framboises sauvages pullulent dans les talus.
Et il y a cette petite route que je nommerais désormais, la Route qui parle de nous. »
Extrait du blog « Hors champ » de Pierre Carrive., 20/07/2022

À demain, chère application. 
  • 21.7.22

Chère application - 20 juillet

Chère application,

Mercredi 20 juillet. Ça sifflote dans la rue. Un air inconnu. Juste quelques notes pour se sentir moins seul. Pour se donner du cœur à l’ouvrage. C’est l’ouvrier avec son casque anti-bruit. Il ne s’aperçoit pas qu’il siffle fort. Les mains dans les poches, il regarde le travail effectué hier avec satisfaction. Il tâte du pied le revêtement pour en éprouver sa solidité. Une voiture peut passer dessus, sans risque. Très bien. 

Mercredi 20 juillet. Je me mets aussi à siffloter par mimétisme. Je cherche le bon air. J’ai envie de siffler quelque chose que je connais. Une chanson qui entraînera le jour, qui le fera sourire, qui le fera tenir bon. Je me lève, fais le tour de mon lit. Tâte de la main mon matelas. Je pourrai à nouveau dormir là ce soir. Très bien. 

Mercredi 20 juillet. 
J’ai trouvé l’air 
qui m’entraîne au bout de la nuit 
Les démons de minuit. 
Qui ça qui ça ? 

À demain, chère application.
  • 20.7.22

Chère application - 19 juillet

Chère application,

Mardi 19 juillet. Le point de rosée est à 21°. Le taux d’humidité de 84% assure une température de l’air à 21º. C’est ton amie l’appli météo qui le dit. Tout ça ne va durer. Et le propriétaire de l’immeuble, que j’aperçois ce matin dans la cour enclavée derrière chez moi, le sait bien. Il profite de ces quelques heures de fraîcheur toute relative pour rempoter des fleurs. Il est attentif au point de rosée, compte l’eau avec préciosité. Trois gouttes pour une azalée, quatre pour les impatiens. Il sait l’eau rare. 

Mardi 19 juillet. Mon propriétaire est un vieux monsieur. Je ne le vois que tôt le matin. L’air embrumé, le visage rosé, il compte plus sur ses fleurs que sur l’attention de ses locataires. Ne parle pas. Ne semble pas voir le monde autour, clos dans sa courette, seul avec sa trouée de ciel bleu, il est sourd aux autres. Son point de rosée comme seul guide. Quand elle disparaît, il disparaît aussi. 

Mardi 19 juillet. 
Qualité de l’air : dégradée 
mais meilleure qu’hier
à peu près à la même heure. 
Une goutte de plus 
pour les impatiens. 

À demain, chère application.
  • 19.7.22

Chère application - 18 juillet

Chère application,

Lundi 18 juillet. Je cherche la poésie dans le renflement du bruit. Il est un cône long et flexible dans lequel tourne une vis sans fin. Il faut y ajouter des couleurs et une parole dans la modulation des fréquences. Je cherche la poésie dans les aigus quand ça perce, dans les graves quand ça dégorge. C’est dur. 

Lundi 18 juillet. Les travaux dans l’avenue ont repris après une longue pause due au week-end du 14 juillet. C’est reparti fanfare et dans les coins de rue, les passants ne sont plus à la fête. 
Je tente de lire dans le brouillard sonore ce que je peux en tirer comme notes neutres. À force sort une ligne de basse sur laquelle je me pose. 

Lundi 18 juillet. 
Toujours Sexton
et ce matin elle me dit ça :
« Je me suis cachée dans le placard comme on se cache dans un arbre »

À demain, chère application.
  • 18.7.22

Bref

L’orage viendra
semble dire 
dans un dernier souffle 
la mouche grillée sur le balcon

(Bref, j’ai envie d’une bière)
  • 17.7.22

Chère application - 17 juillet

Chère application,

Dimanche 17 juillet. Mes yeux roulent sur eux-mêmes, se regardent dans le blanc. Trop de lumière encore ce matin, avec un peu d’ail dans l’air. Comme si quelqu’un par ici sur un des balcons qui me dominent manger une soupe avec un morceau de pain gratté d’ail à tremper dedans. Ce n’est que dans mon nez, il roule sur lui-même. J’ai l’imagination olfactive. Trop de lumière. 

Dimanche 17 juillet. Et de cet ail reconnaître mon odeur que je tiens de mon père. Un espagnol, ça sent toujours un peu la soupe, l’été. Avec un relent d’ail dans la bouche après un déjeuner bien arrosé et épicé. Mon père et son pan con tomate que l’on sert désormais dans les bars à tapas, un peu partout dans le monde. Mon père et son arrière-goût d’ail et de vin. Je n’ai jamais aimé l’ail. Je roule sur moi-même. Trop de lumière. 

Dimanche 17 juillet. 
Une petite musique 
sort d’une fenêtre. 
Trois notes qui se répètent
jouées sur un piano d’enfant. 
C’est de là que vient l’ail. 

À demain, chère application.
  • 17.7.22

Chère application - 16 juillet

Chère application,

Samedi 16 juillet. Il y a une bosse sur le dos du jour. Je le vois claudiquant dans la rue, courbé sur ses pieds. Il marche et il va marcher. Je peux en être sûr. Il a le soleil pour lui. La bosse n’est qu’une ombre, une ombre venue des murs. Une illusion d’optique. Une création de mon esprit. Le jour marche avec une ombre sur le dos. Elle se dissipera, chemin faisant. 

Samedi 16 juillet. D’où vient cette idée de bosse ? C’est un poids assis sur le matin, sur mes mains qui gonflent, sur mon cou qui peine à s’étirer. Il faudra faire craquer les idées et libérer mes doigts de la pesanteur de l’instant. En attendant, je me graisse au café pour rallumer la machine, me touche l’échine, repars. Il y a une bosse sur le dos du jour. 

Samedi 16 juillet. 
Regarde plus loin
que le mur d’en face. 
Tords le cou 
aux pensées du ventre. 

À demain, chère application.
  • 16.7.22

Bref

Je ventile surventile hyperventile 

Ça tourne sec dans la machine
à 37.5 finalement on est bien
juste à la température du corps 
sous le ronron des pales du ventilo 

Je ventile surventile hyperventile

Ça tourne sec dans la tête 
les pensées bouillon ronron
de la machine suent du rachis
cervival crânent jusqu’à la moelle

Je ventile surventile hyperventile

(Bref, j’ai envie d’une bière)
  • 15.7.22

Chère application - 15 juillet

Chère application,

Vendredi 15 juillet. J’écoute ce matin François Bon dans sa série de très courtes vidéos intitulée « Histoire de la littérature ». Passent ici, sur Instagram mais aussi Tik Tok toutes sortes d’anecdotes sur nos grands écrivains. Allez écouter, allez voir, Bon est devenu notre père Fouras de la littérature.
Aujourd’hui, Blaise Cendrars déchire ses livres pendant ses voyages, dix quinze pages qu’il glisse dans la boîte à gants de son auto pour ne pas s’encombrer du livre entier. 

Vendredi 15 juillet. Évidemment, déchirer les pages d’un livre peut apparaître comme un sacrilège mais on peut aussi l’envisager comme une appropriation du texte, un marqueur dans le temps qui fera ressortir ces pages lues, les ancrera dans la mémoire. On découpe bien virtuellement des pages en les photographiant pour les poster ici ou ailleurs. Souvent d’un livre il ne me reste que les extraits ainsi mis en partage sur les réseaux. Cendrars faisait la même chose : quinze pages volées pour mieux se les approprier. Les coller, les lire sur la peau même du monde, dit François Bon. 

Vendredi 15 juillet. 
« Et alors, j'ai pris feu dans ma solitude car écrire c'est se consumer.
L'écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d'idées et qui fait flamboyer des associations d'images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes.
Mais si la flamme déclenche l'alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c'est brûler vif, mais c'est aussi renaître de ses cendres. »
(Blaise Cendrars, Lettre à Edouard Peisson, Aix-en-Provence le 21 août 1943)

À demain, chère application.
  • 15.7.22

Chère application - 14 juillet

Chère application,

Jeudi 14 juillet. La voisine époussette une nappe par la fenêtre. Les miettes du petit-déjeuner tombe dans la rue comme de la neige. Lentement. Tout est ralenti. Même le livreur de journaux passe sans allure, avec son tricycle électrique. Il n’a pas l’air de vouloir vraiment avancer. Il est là, devant une porte, un Midi-Libre à la main et dans l’autre son téléphone. Il balaie l’écran d’un pouce lent. 

Jeudi 14 juillet. Les miettes n’ont pas fini de tomber. Le livreur de journaux n’a pas redémarré. Le midi est libre de faire ce qu’il veut. Les cloches de l’église sonnent mollement. Au loin, il y a bien de l’agitation. Un feu d’artifice doit se préparer, quelque part. Pour l’instant, la vie ressemble à un pétard mouillé.

Jeudi 14 juillet. 
Fête nationale 
Mais surtout
Saint Camille
Bonne fête, ma fille. 

À demain, chère application.
  • 14.7.22

Bref

La lumière est crue. Il avance chassant les bords du trottoir avec les pieds. Il voudrait élargir la rue, marcher droit sans trébucher. Les murs dansent et crachotent de la poussière. Ses pieds tapent, talons pointes. Lui aussi danse au son de l’enceinte qu’il porte autour du cou. Elle balance le flow d’un rappeur mou. La lumière est crue. Les bords du trottoir flous. 

(Bref, j’ai envie d’une bière)
  • 13.7.22

Chère application - 13 juillet

Chère application,

Mercredi 13 juillet. La chaleur fait tourner de l’œil. Dans tous les sens. Par tous les trous. Des vues à 360º sous 36º. On est proche de l’hallucination. Et le virus que l’on connaît bien maintenant en profite pour faire une nouvelle percée. Autour de moi, on le redoute, on l’attrape, on tente de le relâcher, on s’isole, on patiente, on flippe de le rattraper. Sale bête. 

Mercredi 13 juillet. C’est le feu. Tous les feux le feu, comme le titre du recueil de Cortázar dans lequel on trouve la fameuse  nouvelle « L’autoroute du Sud ». Grand embouteillage qui dure des jours, des semaines, qui ne semble jamais vouloir finir. Qui devient inquiétant et excite toute une galerie de personnages.
Tous les feux le feu dans cette pandémie sans fin, bloqués que nous sommes depuis des années ou au ralenti avec l’obligation de regarder droit devant, les yeux écarquillés. 

Mercredi 13 juillet. 
« Grimpé sur le toit de sa Simca, la joyeuse vigie eut soudain l'impression que l'horizon avait changé (c'était le soir, un soleil jaune coulait sa lumière rasante et pauvre) et que quelque chose d'inconcevable était en train de se passer à cinq cent mètres, à trois cent mètres, à deux cent cinquante. »
L'autoroute du Sud, Julio Cortázar, L’imaginaire/Gallimard. 

À demain, chère application.
  • 13.7.22

Bref

L’air est épais l’air est bloc
La rue sue la rue suffoque
C’est l’été sous cloche l’été éther 
Trop de bleu tue le bleu
Je fume bloc contre bloc
Souffle de plomb 
Une volute écrase un passant 
L’air est épais l’air est bloc 

(Bref, j’ai envie d’une bière)
  • 12.7.22

Chère application - 12 juillet

Chère application,

Mardi 12 juillet. J’ai vu bébé M. sourire, regarder avec les yeux de sa mère, balayer les visages, se lever en appuyant les mains sur le canapé. J’ai vu bébé M. à quatre pattes fouiller partout, faire tomber les chaises, tomber sur ses fesses et baragouiner des mots doux. J’ai vu bébé M. et sa figure de canaille. Neuf mois à peine et le bonheur autour qui irradie. 

Mardi 12 juillet. En contrepoids, j’ai appris la maladie qui jusqu’alors était passée inaperçue. La maladie dont on n’ose pas dire le nom, que l’on tait parce que le bonheur par ailleurs est trop fort. J’ai vu le mélange que ces émotions violentes provoquent. Une sorte d’amnésie partielle. On se range toujours du côté de la vie. Je n’ai pas vu l’arrière-grand-mère de bébé M. J’ai vu l’inquiétude se lever, s’accrocher à nos jambes, les figures qui se tordent. Le courage qu’il faut pour dérider la peur. Je vous embrasse. 

Mardi 12 juillet. 
La joie dans un sourire
se cogne à la table. 
On range les jouets 
dans une caisse en bois. 
On cherche les mots 
pour continuer. 

À demain, chère application.
  • 12.7.22

Chère application - 11 juillet

Chère application,

Lundi 11 juillet. Nouvelle semaine de pilonnage. Les travaux reprennent. Ils sont programmés jusqu’en 2025. Je me demande quand ils vont se déplacer plus loin dans l’avenue pour me laisser un peu de répit. 
En attendant, c’est moi qui me déplace un peu. Mentalement, faire abstraction du bruit, s’évader au moins dans sa tête. Aller pilonner ailleurs. 

Lundi 11 juillet. J’ai déballé les derniers cartons de livres restés dans un coin depuis mon dernier déménagement, par manque de place, de bibliothèque pour les accueillir. Je n’ai pas plus de place aujourd’hui pour les ranger mais envie de les redécouvrir. J’en ai posé quelques-uns sur la table basse comme des amuse-bouches à picorer. Garcia Lorca que j’ai peu lu, Séféris, Michaux également mais aussi mes proches contemporains comme Jean-Baptiste Pédini ou encore Isabelle Flaten dont un recueil de nouvelles intitulé Les empêchements qui me fait un clin d’œil ce matin. Clin d’œil à ce pilonnage du cervelet qui m’empêche de réfléchir. 

Lundi 11 juillet. 
Passant l’été ¹
Trois poèmes secrets ²
couvrent Les empêchements ³
Ô Épreuves, exorcismes ⁴

À demain, chère application.

____
¹ Passant l’été, Jean-Baptiste Pédini, Cheyne Éditeur
² Trois poèmes secrets, Poèmes 1933-1955, Georges Séféris, Poésie/Gallimard 
³ Les empêchements, Isabelle Flaten, Éditions La dernière goutte
⁴ Épreuves, exorcismes 1940-1944, Henri Michaux, Poésie/Gallimard
  • 11.7.22

Chère application - 10 juillet

Chère application,

Dimanche 10 juillet. Je repense à N. qui m’a acheté il y a quelques jours trois paires de socquettes. Car elle m’a vu en short avec des chaussettes (longues) repliées dans les baskets. C’est moche. C’est vrai. Mais elle ne l’a pas dit. Elle m’a juste acheté trois paires de socquettes. Pourquoi ? Et pourquoi je n’y pense que maintenant ?

Dimanche 10 juillet. Le temps me parait de plus en plus court. Comme une paire de chaussettes qui se transformerait peu à peu en paire de socquettes. C’est vrai qu’il ne reste finalement pas grand chose avant d’être pieds nus à l’horizontale, rangé dans une boîte. Et là, fini les problèmes de longueur de chaussettes. 
Ah ! Je me souviens pourquoi les chaussettes me sont revenues à l’esprit. J’ai lu hier un poème de Clara Molloy, extrait de son recueil paru chez Cheyne et intitulé Tempe a païa ; ça signifie Le temps et la paille, mais le titre n’a rien à voir avec les chaussettes qui me
préoccupent. Dans ce poème, il est question de tennis jaunes et mes chaussures étaient jaunes. Jaune. Baskets. Chaussettes. Voilà. 

Dimanche 10 juillet. 
La boîte aux lettres 
avale sans broncher 
son lot de grasses publicités 
et moi j’accepte 
ces tennis
jaunes 
à tes pieds. 
(Clara Molloy)

À demain, chère application.
  • 10.7.22

Chère application - 9 juillet

Chère application,

Samedi 9 juillet. Le matin a la parole mais n’en fait rien. Rien à dire. Alors je parle à sa place. Je brûle les minutes au son des oiseaux. J’ai faim alors je fume. J’ai soif alors je bois du café. Mes gestes sont lents. Encore engourdies, les pensées cherchent une échappatoire. Toujours. Ne pas les laisser seules décider. J’ai la parole.

Samedi 9 juillet. Ça stridule sur les balcons. Une cigale perdue dans la ville a trouvé refuge dans un vieil arbuste défraîchi. Elle a le chant. J’en suis dépourvu. Elle en fait des tonnes, couvre le cri des oiseaux. Le voisin se lève. J’entends se déclencher la ventilation de sa salle de bains. Ça fait un bruit de manivelle. Je remonte la nuit. La cigale se tait. Les oiseaux se recouchent. Je laisse la parole. 

Samedi 9 juillet. 
Prises dans la lumière des phares,
les angoisses ont du ressort
pour sauter sur le bas-côté du chemin. 
Je brûle les mauvaises herbes. 

À demain, chère application.
  • 9.7.22

La femme au balcon LVII

Le marteau-piqueur s’est arrêté à seize heures trente. Le marteau-piqueur a laissé derrière lui un silence en forme de soulagement. Il m’a semblé entendre la rue soupirer d’aise. Le marteau-piqueur à cet instant nous a fait du bien. Ça fait du bien quand ça s’arrête. 
Seize heures trente, c’est le moment qu’a choisi la femme au balcon pour sortir. La femme au balcon est au marteau-piqueur ce qu’est le silence après le marteau-piqueur. Elle fait du bien. Les fenêtres autour ont suivi le mouvement, se sont ouvertes comme des joues qui remontent pour laisser filer un sourire. La femme au balcon a souri aussi, je crois, puis elle a dit à son garçon qui maintenait encore fortement ses mains sur les oreilles : « Le marteau-piqueur est parti, c’est bon. Il ne reviendra que lundi, maintenant. »
À la radio, est passé un Nocturne de Chopin. J’ai monté le son pour fêter ça.
  • 8.7.22

Chère application - 8 juillet

Chère application,

Vendredi 8 juillet. Ce n’est pas pour me vanter mais je vis en plein centre-ville et il n’y a plus d’autos qui passent sous ma fenêtre. Elles ont été remplacées par un gros marteau-piqueur qui casse le trottoir. Il a commencé son œuvre à 7h30. Par petits à-coups, il mange le bitume comme un pic vert le ferait de son arbre. Ce n’est pas pour me vanter mais c’est très désagréable. 

Vendredi 8 juillet. On entend que lui. Les oiseaux se sont tirés vers la plage. Les fenêtres sont fermées. Le trottoir n’est plus qu’un amas de cailloux. Ce n’est pas pour me vanter mais je me demande si je peux en récupérer une paire pour faire des serre-livres. Ce serait joli. J’inscrirais dessus : Avenue Clémenceau 2022, avant le grand effondrement, morceau de trottoir découpé par un marteau-piqueur qui a dérangé tout le monde le 8 juillet à 7h30. 
C’est peut-être un peu long. 

Vendredi 8 juillet. 
C’est un trou dans le bitume 
où chantait les passants 
accrochant follement
aux fenêtres des bâillons. 
(Christophe Rimbaud)

À demain, chère application.
  • 8.7.22

Bref

À l’heure du thé 
je boirais bien autre chose
qui réveillerait ma langue
ramollie par la chaleur. 

Et la langueur ne serait plus 
cet abrutissement des sens 
mais revigorant coup de fouet
qui claquerait le museau du soleil. 

(Bref, j’ai envie d’une bière)
  • 7.7.22

Cher Christophe - 7 juillet

Cher Christophe,

Jeudi 7 juillet. J’ai trouvé des photos de tes vacances à Gruissan dans l’application Photos. J’ai pensé que ça te ferait plaisir que je les mette ici. Comme un petit album de ces quelques jours. Ou comme des cartes postales que tu ne m’as pas envoyées. Ce n’est pas parce que je suis une application de prise de notes, un suite numérique de codes, d’octets en apparence sans vie qu’il faut m’alimenter uniquement de textes. J’aime bien aussi de temps en temps voir quelques photos. Ça change de tes ruminations matinales. 

Jeudi 7 juillet. Sept heures vient de sonner quelque part dans un clocher de village. Quelqu’un se réveille avec des pensées à évacuer. Il écrit depuis son canapé ce qui lui passe par la tête. Moi, mon job consiste à agencer les mots tel qu’il le veut. Je soigne la présentation. J’essaie de me faire toute petite pour ne pas le gêner. J’aimerais un peu plus de considération, même si je sais que je ne serai jamais une grande application comme Instagram ou Tik tok. 

Jeudi 7 juillet. 
628 notes
Dernier enregistrement : 
7 juillet 
7h15

À demain, cher Christophe.


  • 7.7.22

Chère application - 6 juillet

Chère application,

Mercredi 6 juillet. Même la mer s’épuise. Elle lutte contre le vent qui aplatit les vagues. La mer s’agace et les baigneurs aussi. Tout y est ralenti, emporté vers le large. Un groupe de jeunes gens tente vainement une partie de volley, les gestes sont lents malgré l’envie de partage. Les garçons plongent le torse en extension, muscles saillants sous le regard des filles mais l’effet se brise sous le poids du vent. Au bord du sable, on vient glisser timidement un pied dans l’eau glacé. Certains à genoux semblent prier Éole de calmer le jeu, de laisser la mer à ses vagues. 

Mercredi 6 juillet. On quitte aujourd’hui Gruissan la ventée pour rejoindre Montpellier la belle. Cinq jours de parenthèse sur le littoral audois. Des retrouvailles, du vin blanc Camas Chardonnay, de la Piña Colada, la plage et ses soleils saoulants. Le vent va tomber sur la route une fois que nous aurons passé Narbonne ou Béziers. De quoi apaiser nos têtes et laisser les vagues nous revenir. 

Mercredi 6 juillet. 
Le port s’éclaire lentement
laisse une chance aux oiseaux 
de s’enfuir vers une autre nuit. 
J’ai la tête pleine de mouettes. 

À demain, chère application.
  • 6.7.22

Chère application - 5 juillet

Chère application,

Mardi 5 juillet. J’ouvre mes vacances en compagnie d’Anne Sexton. Ce n’est pas vraiment une lecture de plage. Déjà le titre du recueil « Tu vis ou tu meurs » annonce la couleur. La première partie aussi, « Retour partiel de l’asile ». J’ai hâte d’atteindre la dernière, plus apaisante :« Poème d’amour ». La maladie, le deuil, la maternité contrariée, l’enfance retorse. On est loin de la lecture légère, les pieds dans l’eau avec une paille dans la bouche et une odeur de Monoï dans les narines. Mais c’est original et brillant et Anne Sexton sait ouvrir des brèches pour nous laisser respirer.

Mardi 5 juillet. Tandis que j’enfile mon tuba pour plonger dans Sexton, une visite au marché du village de Gruissan redonne de la légèreté à l’été. C’est vivant et plein de soleil dans les allées. Vendeur de bibelots et de souvenirs côtoient fromagers et charcutiers, vendeurs de vins de pays ou de fruits de saison. Derrière les étals, ça braille, raconte des boniments à qui veut bien les croire. Ça blague, ici un vendeur de chaussettes à 1,50 € les trois ne veut pas nous rendre la monnaie sur dix euros, chahute, brocarde. Ce n’est pas très fin mais c’est léger. Là, le cultivateur de melons nous explique pourquoi ils sont si gros cette année, si gros qu’il les vend sur ce marché parce que les grandes surfaces n’en veulent plus. C’est pas très malin mais c’est léger. 

Mardi 5 juillet. 
Les bateaux dorment encore 
que déjà le vent se donne
aux têtes ébouriffées. 
Il est ici aussi célèbre 
que le vin de pays. 

À demain, chère application.
  • 5.7.22

Chère application - 4 juillet

Chère application 

Lundi 4 juillet. La mer a des reflets d’argent, chantait Charles Trenet. 
Si j’essayais de les compter sur la mer calme du port, j’en dénombrerais des milliers. On entend même les pièces de monnaies qui tintent dans les mâts des bateaux. L’argent, je l’ai vu de près sur cette plage privée où nous nous sommes installés. Toutes sortes de monnaies, d’échanges sans contact avec nos cartes ou nos téléphones. Ça faisait bip bip sur les transats pour une bouteille d’eau, une bière, un cocktail ou un petit encas. La plage a des reflets d’argent à quinze euros le matelas. 

Lundi 4 juillet. Il y avait parasols, restaurant, table de massage. Bip bip. C’était bien. Cher mais bien. Il y avait des gens aux couleurs de l’été, quasi nus sous leur portefeuilles, les pensées au repos. Il suffisait de tendre le bras pour être servis. Bip bip. On pense alors qu’on a de la chance de pouvoir se payer ça, de jouer avec les reflets de l’argent comme un selfie permanent dans lequel on n’arrête pas de se mirer. On se voit danser le long des golfes clairs. On n’a que ça à livrer. Bip bip.

Lundi 4 juillet. 
« Si j’essayais
de te livrer autre chose,
une chose m’étant externe,
tu ne saisirais pas 
que le pire de chacun
peut être, finalement,
un accident d’espoir. »
Anne Sexton

À demain, chère application.
  • 4.7.22

Chère application - 3 juillet

Chère application,

Dimanche 3 juillet. Port de Gruissan, sept heures et des mouettes. Ça ricane sur les toits. Je cherche à me réveiller en m’accrochant aux mâts des bateaux. J’y parviens et le soleil me tend vers la journée. Les oiseaux ont leur compte de soupirs et d’étirements ; en voilà un qui décolle, le plus vaillant entraîne les autres qui le poursuivent comme s’ils lui en voulaient de les avoir réveillés. 

Dimanche 3 juillet. Hier après-midi à la plage, un petit groupe d’oiselles, voisines de serviettes, ricanaient à peu de choses près aussi fort que les mouettes de ce matin. Le jeu des jeunes filles consistait à noter les garçons de 1 à 10. N. et moi avons souri. Un tel a obtenu 6 peut mieux faire, un autre 8,5 bien payé, le suivant un 7 solide. Et les rires de l’insouciance soudain ont décollé. 
Je mets 9 aux oiseaux qui s’envolent sur le port, mention très bien, continuez !

Dimanche 3 juillet. 
Le soleil chauffe la place. 
Les rideaux de fer du port
dévissent le petit matin. 
Soudain, le jour. 

À demain, chère application.
  • 3.7.22

Chère application - 2 juillet

Chère application,

Samedi 2 juillet. Premier jour des vacances d’été. J’ai débranché toutes les applications professionnelles de mon téléphone : Twitter, WhatsApp, Teams, Outlook, Planner, OneDrive… Réglages / Notifications / Non. Car en 2022, le travail nous suit partout, tout le temps. Alors pendant les congés, il faut faire taire les appels à y retourner. Je vais devoir résister à ne pas ouvrir les dites applications, éviter le geste d’habitude ou de conscience professionnelle. Ne pas croire que je serais perdu à la rentrée si je ne lis pas ce qu’il se passe durant ces trois semaines de coupure.
On restera entre nous, chère application Notes. Facebook restera aussi ouvert, bien sûr. Je ne travaille pas ici, – je lis, écoute, souris, ris et pleure aussi. 

Samedi 2 juillet. Rose est partie et je lis votre émotion, ce matin. Je la partage. Elle va beaucoup nous manquer. Je ferme les yeux et je repense à elle que j’ai rencontrée brièvement en 2015, déjà au combat avec la maladie. Mais c’est tous les jours sur cette application que je la retrouvais. Elle nous tenait entre ses failles et son courage, son humour et sa douleur, sa légèreté et sa colère. Je ne débranche pas. Bisous, Rose ♡ 

Samedi 2 juillet. 
« Si seulement nous avions le courage des oiseaux » Dominique A. 

À demain, chère application.
  • 2.7.22

Chère application - 1er juillet

Chère application,

Vendredi 1er juillet. Le voisin murmure et je l’entends. Je n’avais jamais remarqué le murmure du voisin. Il parle si bas que je suis étonné de l’entendre. Le mur qui nous sépare est pourtant très épais. Les bruits de la rue devraient couvrir sa voix. Mais non, aujourd’hui, j’entends murmurer le voisin. Il doit téléphoner car je ne décèle pas de réponse, aucun interlocuteur à côté de lui. Il est seul et chuchote à quelqu’un loin et puis à moi aussi qui maintenant l’écoute, essaie de déchiffrer les frisotis de sa voix. 

Vendredi 1er juillet. Elle est étrangement basse, sa voix. Grave et basse. Il n’articule pas, il lance des sons qui rebondissent sur les murs, gonflent mais ne trouvent pas de sens. Ils se cognent, me cognent et éclatent comme des bulles de savon. Un mot, un son, un soupir, une respiration, un sourire, un claquement de langue, une hésitation, un regret, un sanglot. C’est incompréhensible et à la fois si humain. 

Vendredi 1er juillet. 
L’air du matin a un goût 
de noisette et de pomme. 
Ça s’accorde bien avec le café
et la dépression du voisin. 

À demain, chère application.
  • 1.7.22