Trop de lumière

La voix des voiles sur le port
n’arrive plus à faire écho.

Une rumeur d’un drap blanc
recouvre le baratin des artimons.

Trop de lumière hache le ciel
pour comprendre sa langue.

  • 30.3.18

À droite puis à gauche

Un homme traverse rapidement la rue. D’un trottoir à un autre, une poignée de secondes pendant lesquelles il regarde, à droite puis à gauche. Une poignée de secondes où il s’avise, en même temps qu’il traverse, de la longueur puis de la largeur de la rue, de sa position sur le trottoir puis très vite de celle, nouvelle, où il se trouve au milieu de la chaussée. Il s’est engagé pendant qu’il vérifiait si aucune voiture n’était à portée de lui, ni à droite, ni à gauche. L’homme savait qu’il pouvait faire les deux actions de façon concomitante – vérifier et s’engager – car, depuis le premier trottoir d’où il est descendu, son angle de vision d’approximativement cent quatre-vingts degrés lui permettait facilement d’anticiper le fait qu’il n’y avait aucun danger, que ce soit à droite ou à gauche, qu’aucune voiture n’était assez près de lui pour qu’il ne craignît quoi que ce soit et dès lors, pouvait s’engager. Cependant, à l’instant où il est arrivé sur le trottoir d’en face ou peut-être juste peu de temps après – les choses se sont tellement vite enchaînées –, un autre homme a crié. Un autre homme qui face à lui s’apprêtait comme son vis-à-vis à regarder à droite et à gauche puis à traverser la rue, mais dans l’autre sens. Cet homme qui lui, visiblement, voulait prendre son temps pour regagner l’autre trottoir. Cet homme qu’on peut caractériser de prudent et pour lequel on est en droit de penser que rien ne pouvait lui arriver, a pourtant crié comme s’il voulait nous avertir d’un danger immédiat que le premier homme manifestement n’avait pas vu. Il a crié si fort que tout le quartier fut alerté. Il n’a fallu attendre que l’équivalent du temps que le premier homme a mis pour traverser la rue, c’est-à-dire très peu de temps puisque ces mouvements comme dit plus haut se sont déroulés à très grande vitesse, pour comprendre que l’autre homme avait crié non pas pour alerter d’un danger quelconque mais parce que le premier homme, tellement absorbé par son engagement précipité dans la rue et sa vérification à droite et à gauche, était arrivé sur lui en trombe et lui avait rudement écrasé les pieds.

  • 29.3.18

On a cessé de croire

L’histoire dénoue une boucle
dans le buisson de tes cheveux.

Un herbier entre les pages
raconte la fronde des amours.

Le reste est taillé dans le réel
auquel on a cessé de croire.

  • 27.3.18

Un mensonge

Un regard par la fenêtre et la rue déplie un mensonge. Une courbe bat de l’œil. Quelque chose se maquille au loin. Une part de vérité disparaît pour briser l’immuable. Elle laisse la place à une autre rue, celle qu’hier encore le regard n’osait pas rêver. La rue n’est plus rue mais théâtre à l’amorce d’un nouvel acte. Changement de décor, la scène tourne dans le silence de ses engrenages bien huilés. Une volte-face et des panneaux de ciel remplacent les murs gris. Une mer de synthèse par quelques vagues élastiques contredit la régularité du bitume. Un regard par la fenêtre et la rue se replie. Seul l’œil perpétue le mensonge.

  • 26.3.18

Absence de durée

On abolit le temps dans la faille
où l’on se tient ensemble serrés.

On abolit en marge de la peine
la mort étendue sur nos ventres.

Seul le diable semble à même
de contrarier notre absence de durée.

  • 26.3.18

Inapaisable

Tout se tient dans la fatigue du vent,
une averse en prend la mesure.

La pensée vagabonde d’eau en eau
balayée par l'inapaisable voix.

Celle du doute que la bourrasque
ramène à soi comme un réveil d’exil.

  • 24.3.18

La matineuse

Ce matin, la rue a fait sa toilette avant tout le monde, mis du rouge au trottoir, quelques fards aux joues du jour. Ce matin, la rue s’est habillée avant les autres. Chaussée de soleil sous nos yeux encore embrumés, on dirait que c’est elle, la matineuse, qui avance sous les rares gens qui l’empruntent et non pas l’inverse. On se laisse conduire ainsi de l’aube au grand jour, nous les voyageurs immobiles sur son tapis roulant. On suit son axe ordonné, sa ligne claire sous ses cheveux lissés, séduits que nous sommes par sa belle gueule d’enfant. Mais où nous emmène-t-elle comme ça avec tant d’apprêts ?

  • 23.3.18

Traverse

On traverse l’heure, l’éclair,
nos pas perdus derrière.

Une image remue pour dire
le monde en train d’oublier.

Et le temps, et la lumière,
de nos visages se détachent.

  • 22.3.18

Le temps et l'image

La rue débouche sur un terrain vague. Une friche où l’œil écarte les hautes herbes pour retrouver l’équilibre. Des cartes imaginaires foisonnent sous l’ovale, dans la forme ouverte d’un nouveau paysage. Un lieu sauvage entre deux crépuscules. On rêve à peine la nuit tandis qu’un champ s’ouvre au-delà de l’esprit présent. On oublie la rue qui continue à crier dans le courant d’air. Les traits violents du visage s’adoucissent. Un baume sous cage avec juste la place du regard. Plus loin, une palissade retient le temps et l’image.

  • 21.3.18

Une autre aube

Les contours du trottoir s’amollissent sous la fatigue du temps. Un chat maigre dans un recoin joue avec une toile d’araignée. Une gouttière épuise une flaque d’eau. Deux rayons de soleil efflanqués se croisent sans un mot l’un pour l’autre. Sur l’arête fine d’un toit, une sterne s’interroge. Par-delà les toits, toujours la même ligne vide s’évade vers l’horizon. On aimerait qu’elle défie la perspective. Qu’elle brasse un rêve en route. Qu’elle ait juste le courage d’aller chercher le courage. Quelques graines pour l’oiseau. Un bol de lait à laper au soleil. Une dernière larme à sécher. Que la rue attrape la faim d’une autre aube.

  • 20.3.18

Nuage

Une parole s’éteint sous la lampe,
plus aucun mot pour dire l’ombre.

La soif abonde sous tes lèvres
mais personne pour la diluer.

Pas même ce nuage de lait
qui cherche sa tasse de thé.

  • 20.3.18

À vide

L’œil roule sur lui-même,
au plus près du souvenir.

Mais la clé tourne à vide
dans la serrure du temps.

Une pensée s’échappe
sous la nappe des détails.

Alors on continue à mentir,
une huile rance sous la paupière.

  • 17.3.18

Sans l'ombre d'un doute

Ce soir, la rue est figée. Aucune voiture, aucun passant, aucun souffle. Entre les silences qui déambulent sur le trottoir, on croit pourtant apercevoir une ombre, on pense entendre une voix, une voix qui parlerait tout bas, qui dirait à l'ombre de ne pas oublier qu'elle n'existe que par la lumière. Bien sûr, on sait combien on se trompe. Qu'il n'y a pas plus de voix que d'ombre ce soir dans la rue figée. Que la voix n'existe que par le corps qui l'expulse. Que la lumière et le corps n'ont pas grand chose à voir entre eux. On sait tout ça dans la rue figée que l'on voit ce soir par la fenêtre, que d'autres voient aussi bien que nous depuis leur balcon, depuis l'oeilleton de leur porte, depuis simplement leurs pensées, bien installés dans leur fauteuil, plongés dans un livre rempli d'ombres ou devant une télévision diffusant une trop forte lumière. On sait tout ça puisque, mis à part notre propre ombre qui pourrait s'étaler dans la rue figée, si tant est qu'on décide de sortir pour la dégourdir, mise à part la lumière qui dans quelques minutes va peut-être jaillir de la rue par une porte entrebâillée, mise à part notre voix intérieure qui, par définition, jamais ne sort, il n'y a rien ni personne dans la rue figée ce soir. Que du vide. Sans l'ombre d'un doute.

  • 16.3.18

Au bout de la rue grise

La rue a remis sa robe grise. Elle bâille parfois s'ébroue contre le vent mais rien n'arrête le gris qui la recouvre. Il en faudrait du temps pour écrire ce qu'elle souffle au visage du passant. L'odeur est indescriptible, nappée de fuel et de boules de pollens venues des maigres mimosas qui la bordent. Fuel jaune à l'arôme d'un rendez-vous derrière la station-service, au bout de la rue grise. Mélange de parfum délicat et de danse macabre dans le tableau de ces deux jeunes gens glissant à travers les pompes pour aller s'en griller une en douce, sans peur de voir s'embraser leurs bouches d'un bouquet d'étincelles. Il en faudrait du temps pour savoir ce qu'elle a dans la tête, la rue grise, pour ainsi laisser libre deux adolescents grisés par la découverte du feu. Mais peut-être est-ce mieux qu'ils découvrent eux-mêmes le danger, et du gris, et des flammes qui peuvent sortir à tout moment de leurs corps et les calciner sur place. Peut-être est-ce mieux qu'il faille du temps pour savoir qu'un baiser peut prendre feu, au bout d'une rue grise.

  • 14.3.18

Partir d'ici #JourSansE

Tout à sa transpiration,
il sarclait son lopin à cailloux
sachant qu’un jour il partirait.

Partir d’ici
où un mauvais plant habitait sa chair,
où tout buisson ourdissait son chagrin.

Là-bas, il irait la voir dans son pays,
là où un flux divin incitait l’outil,
là où au travail l’amour s’unirait.

#JourSansE
  • 13.3.18

Dans un grand halo #JourSansE

Au loin, un point brillant dans un grand halo l’attirait. Son corps par l’attraction chuta dans un trou sans fin. Il filait sans bruit fixant son pouls sur sa vision. Son parcours fut long mais il finit par aboutir aux abords d’un lac où un point plus grand, mais toujours aussi brillant, donnait au pays un noir si profond qu’à sa chair à jamais la nuit s’attacha.

#JourSansE : Les utilisateurs du réseau social sont invités à tweeter sans utiliser la lettre « e », en hommage au roman de Georges Perec « La Disparition ». Un défi à l’initiative du réseau d’éducation Canopé. En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2018/03/13/joursanse-twitter-joue-a-georges-perec_5270222_4832693.html#DOTuusjH4Q6czur6.99
  • 13.3.18

!

Un nuage pas plus gros qu’un point passe sous un ciel fragmenté de virgules comme des soupirs ininterrompus. Toi, tu poses ton ombre entre deux rochers. Pour une heure, seul avec la pauvreté du relief, ta langue joue à former des mots inconnus, des mots comme des ballons qui prendraient de l’altitude. Mais la phrase manque d’air, se plante telle l’autruche dans le sable sans que tu parviennes à en extraire le sens. Une vague, quelque inertie plus loin et le poème crie toujours famine. Une virgule attend l’envolée, le nuage pas plus gros qu’un point une exclamation.  
  • 12.3.18

De nous

Un reflet passe sur l’étang,
l’image tremble de soi.

Ondulation vers le large
et le passé lentement s’efface.

Que garde de nous
la mémoire de l’eau ?

  • 12.3.18

Petits foudroiements

Ce sourire est un piège,
à ses lèvres on se mord.

L’orgueil abat la langue
entre soi et le monde.

Rien ni personne ne retient
nos petits foudroiements.
  • 11.3.18

Sous la caresse

Dans le geste un mot se cache,
sauras-tu le découvrir ?

Il dit le contraire de la main
sur la main qui réconforte,

comme une vérité dissimulée
dans la paume d’une caresse.
  • 11.3.18

Sur nos fatigues

Le sommeil nous surprend
à ainsi écouter la vague.

On se noie à trop vouloir
ériger son chant en vérité.

Un rêve perdu et l’ombre
déroule sur nos fatigues.

  • 9.3.18

Relier les lignes

On pointe souvent un sourcil
pour évaser la ligne sous l’œil,

pour masquer la poche gonflée
de longs voyages immobiles,

pour relier les lignes du front
avec les manqués du cœur.

  • 9.3.18

Quel qu'en soit

De l’angle où rien n’a été vu,
chercher un corps derrière l’œil.

Le corps de l’histoire que cache
l’image ruminée dans le miroir.

Quel qu’en soit son poids,
on devrait lever le doute.

  • 8.3.18

Un seul battement

Quelque part une ombre agite l’invisible,
déplie son corps, nous rend risibles.

On passe outre, sentant vivre en nous
la lumière aveuglante des esquifs.

Un seul battement de voile sous nos yeux
et nous voilà repartis comme des dieux.
  • 8.3.18

Un vice qui crie

Il suffit parfois d’ouvrir la fenêtre,
de tourner ses épaules comme des gonds.

On entend alors un grincement délicat,
un vice qui crie dans le corps las.

Se dire qu’on a pris de la bouteille,
qu’on aimerait la rendre à la mer.

  • 8.3.18

La recluse

Au travers du rideau tricoté au crochet avec de larges losanges aux fanfreluches grisonnantes de poussière, la voisine, ses yeux ronds et vides, scrute le dehors, son ennemi depuis qu'elle vit recluse. Elle épie le passant, le moindre bruit suspect : une portière qui claque trop violemment, une voiture qui démarre trop vite, le vrombissement de la mobylette du facteur ou encore le ballon du gamin qui rebondit sur le trottoir menaçant à chaque instant de briser une vitre.

En arrêt derrière sa fenêtre, un fauteuil confortable, un magazine télé et la télécommande, elle garde un oeil suspect sur la vie du dehors. Car, elle, sa vie, c'est à l'intérieur que ça se passe, c'est dans la télé, Pernaut et les nouvelles qui mortifient. Alors, le dehors devient suspect, les gens du danger, les bruits quotidiens des alertes. Tout est vrai, ils le disent dans la lucarne. Tous les jours, tous ces drames, toutes ces agressions, toutes ces catastrophes, le monde est insécure et depuis qu'elle l'a compris, elle ne sort plus.

Elle est certaine que tous ces gens, là dans sa rue, peuvent à tout moment représenter un risque. C'est eux qui sont responsables de tout ce qui se passe dans le poste. Ils peuvent déborder, s'en prendre à elle, à son intégrité, à sa liberté. Ils peuvent tout remettre en cause, s'introduire chez elle, la déposséder du peu qu'elle a réussi à obtenir. Il faut qu'elle veille, au plus près d'eux sans se faire remarquer. À son poste d'observation, entre les mailles de son rideau jaunâtre, elle reste à l'affût, sur le pied de guerre, et qui croise un jour son regard le sait : mieux vaut ne pas s'aventurer trop près d'elle. Ses yeux gros semblant quitter leur orbite vous foudroient. Les plis de son visage qui glissent de la pénombre jusqu'à la rue vous transforment en enfant apeuré. Ses dents qui sortent de sa bouche comme un molosse montre ses crocs vous dissuadent pour toujours de longer ses murs.

Faudrait peut-être lui couper la télévision pour que quelque chose change.
  • 8.3.18

Du 15 au 18 mars, la galerie Z' accueille la revue La Piscine

Nathalie Febvre Séverin et l’équipe des maîtres-nageurs auront le plaisir de vous retrouver à la Galerie Z’, 6 rue des sœurs noires à Montpellier pour une exposition photos & peintures, des ateliers d’écriture et artistiques, des rencontres avec les contributeurs et des lectures de textes parus dans la revue.

C'est du 15 au 18 mars, vernissage le samedi 17 à partir de 19h, et le programme détaillée est disponible ici > https://revuelapiscine.com/2018/02/24/du-jeudi-15-au-dimanche-18-mars-2018-la-galerie-z-accueille-la-revue-la-piscine/


  • 8.3.18

Muette

Quelques hommes coiffés de casques oranges éventrent la rue. Une plaie en plein milieu de la voie se forme et laisse entrevoir les entrailles purulentes de la terre. Embrouillamini de tuyaux et des fils, terre noire ressuscitée d'où l'on craint de voir sortir quelque rat dérangé, eau fumante et verte qui cherche désespérément une issue vers la liberté, rivière souterraine dont on devine le cours palpitant par l'oeilleton de la blessure. La chair à vif, la rue est mutilée aux yeux de tous. On se prend à imaginer sa douleur à chaque coup porté à son ventre, son cri rebondir sur les murs et se répandre en écho dans toute la ville. Un hurlement sans fin et insoutenable qui mettrait les hommes à terre, mains sur les oreilles, corps en convulsion, jambes battant le pavé. Ils imploreraient la rue de se calmer, d'arrêter de leur imposer une telle souffrance. Le monde deviendrait fou d'entendre ainsi la rue se vider en lamentations infinies. Mais voilà, même meurtrie, la rue reste muette. La rue n'a pas d'émotions, la rue n'est faite que de bitume et d'arcanes souterrains sans vie. Sa douleur n'a pas plus de sens que son existence n'a de coeur et même si elle palpite de mille galeries enfouies, même si le courant qui la traverse est comme du sang dans les artères de la ville, même si les rats qui pullulent s'assimilent aisément à des sucs gastriques éliminant la congestion des hommes, son corps reste de pierre, insensible à la violence des éventreurs.
  • 6.3.18

Mêmes portes

On marche sur le trottoir d’une ville, le long d’un ensemble hétérogène d’habitations. On perd un peu l’équilibre devant le petit appartement de plain-pied et ses deux pièces engoncées dans le béton. On lorgne de l’autre côté d’un jardin clôturé de broussailles au sein duquel un petit pavillon flétrit. On étire le cou sur l’immeuble à hublots qui tutoient le ciel. On lâche notre hébétude sur la tour inhumaine flanquée de miroirs qui déforment la rue. Derrière, on sait les mêmes portes, les unes les autres, s’imiter. Pourvues de la même huisserie menuisée, du même battant, du même coulissant, de la même serrure, poignée, sonnette ou marteau. De la même matière neutre. Seules les couleurs varient de quelques tons, du gris, du marron, du blanc, du noir. Des mêmes portes fermées. Que la lumière disparaisse et c’est la fenêtre qui dira l’enfermement au travers d’un rideau aussi flottant qu’une nouvelle frontière ; ombres fugaces, scènes syncopées, gestes décousus, corps qui se cachent. On marche au bord des portes qui étouffent.
  • 2.3.18